jeudi 28 mars 2024

Compte-rendu opéra. Opéra de Lyon, Ravel, L’Enfant et les sortilèges, 1er novembre 2016. Solistes du Studio, Orchestre et Chœurs de l’opéra de Lyon, Martyn Brabbins (direction), Grégoire Pont (concept et vidéo), James Bonas (mise en espace), Thibault Vancraenenbroeck (décors et costumes), Christophe Chaupin (lumières), Philip White (chef des chœurs).

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

pre-generale-enfant-et-sortilegescjean-pierre-maurin-2016_15075L’Opéra de Lyon a choisi cette année comme thème la Mémoire, qui propose au public de revoir trois grandes productions mythiques ayant marqué l’histoire du genre. Gageons que cette nouvelle production de l’Enfant et les sortilèges ira rejoindre le panthéon de ces joyaux lyriques, grâce à un dispositif vidéo d’une grande ingéniosité qui suscite un émerveillement de chaque instant. L’orchestre est au fond de la scène, masqué par un écran géant qui occupe tout l’encadrement de l’espace scénique et tandis que les personnages prennent leur rôle des traits blancs s’animent comme par magie et dessinent la bergère, la théière, ou encore, dans la scène de la forêt, les nombreuses espèces animales qui peuplent le conte de Colette. S’offre à la vue des spectateurs un véritable tableau magique où évoluent d’éphémères arabesques qui agissent comme autant de pulsations rythmiques d’une densité rare qui contraste avec la brièveté de l’œuvre.

 

 

 

Un Ravel enchanteur

 

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Ainsi, de la maman, on ne voit qu’une main géante, en conformité avec la didascalie du livret, la Princesse fait jaillir de sa baguette le chevalier au cimier couleur d’Aurore, l’instituteur vomit des chiffres, la chauve-souris projette contre l’enfant des centaines de ses congénères, tandis que le duo des chats est illustré par une animation cartoonesque qui s’achève de façon presque horrifique. Le remarquable travail de Grégoire Pont évite la facilité de l’ingéniosité technique gratuite (piège dans lequel était tombé José Montalvo dans les Paladins de Rameau au Châtelet en 1999, spectacle auquel cette mise en scène fait penser en partie) et colle toujours à la vérité du texte et de la musique. Jamais une lecture du chef-d’œuvre de Ravel n’avait mieux révélé et respecté ce que la fantasmagorie de la pièce voulait dire. Jamais le mot « sortilèges » n’avait été aussi bien incarné. L’univers graphique flamboyant et toujours inattendu se fait ici l’écho idéal de la richesse musicale de la partition ravélienne. La technique est d’abord au service de l’œuvre et ne se sert pas de celle-ci comme prétexte. Il en résulte un travail d’orfèvre où le dispositif scénique montre parfois des détails inattendus, comme dans la très belle scène poétique des pâtres où les couleurs chatoyantes, cuivré de l’orchestre, font penser à un impressionniste champ de blé derrière les personnages en noir et blanc dessinés de façon très poétique sur l’écran.
Face à ce déluge d’images qui mériterait pour chacune un commentaire, la distribution semble légèrement en retrait, comme absorbée par l’enchantement visuel sans répit. Les solistes du Studio opéra sont pourtant loin de démériter et on ne peut que louer la remarquable homogénéité de l’ensemble. Dans le rôle de l’enfant, la mezzo Katherine Aitken, qui a déjà une solide expérience (de Mozart à l’opéra contemporain), se démarque par sa vaillance, un timbre bien projeté et une androgynie vocale des plus efficace. Même qualité chez Alix Le Saux dans les rôles de la chouette et la bergère ou Éléonore Pancrazi, impériale dans le rôle de la Maman, de la Tasse chinoise ou de la libellule, tandis que le baryton Pierre Héritier séduit dans ses miaulements félins et sa métronomique plainte de l’Horloge comtoise. Et les graves onctueux de Thibault de Damas passent sans encombre du Fauteuil à l’Arbre. Excellentes prestations également de Catalina Skinner-Moreno, à la fois Pâtre, Chatte et Écureuil, d’André Gass, théière, Petit Vieillard et Rainette tout aussi crédibles. En revanche, on regrettera les timbres un peu verts de Rocio Perez (le Feu, le Rossignol et la Princesse) et de Pauline Rouillard (la Pastourelle et la Chauve-souris), pourtant techniquement impeccables.
Dans la fosse, Martyn Brabbins dirige l’orchestre de l’Opéra de Lyon avec un raffinement et une précision qui forcent le respect. On avait pu l’entendre dans de mémorables productions contemporaines (Birtswistle, Andriessen). Il contribue, avec les Chœurs de l’Opéra excellemment préparés par Philip White, à l’extraordinaire réussite de cette production interactive unique en son genre.

 

 

 

Compte-rendu opéra. Opéra de Lyon, Ravel, L’Enfant et les sortilèges, 1er novembre 2016. Solistes du Studio, Orchestre et Chœurs de l’opéra de Lyon, Martyn Brabbins (direction), Grégoire Pont (concept et vidéo), James Bonas (mise en espace), Thibault Vancraenenbroeck (décors et costumes), Christophe Chaupin (lumières), Philip White (chef des chœurs). Illustration : © JP Maurin

 

 

 

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