Fin de saison pour Angers Nantes Opéra avec la reprise de la Flûte Enchantée mozartienne telle qu’imaginée par Patrice Caurier et Moshe Leiser, production créée in loco en 2006 mais qui s’est déjà installée sur les planches du Staatsoper de Vienne, un beau destin pour cette scénographie ravissante. S’inspirant du théâtre de tréteaux avec sa machinerie à vue, cette mise en scène prend pour cadre les coulisses d’un théâtre qu’on imagine aisément être celui dans lequel nous avons pris place, en l’occurrence Graslin, avec ses bleus et ses ors. L’histoire imaginée par Mozart et Schikaneder se déroule ainsi sous nos yeux avec une virtuosité pleine de naïveté et de poésie, nous faisant littéralement retrouver notre âme d’enfant, une sensation qu’il fait bon d’éprouver. On prend un plaisir gourmand à voir les trois Enfants s’envoler dans les airs et entraîner avec eux Pamina vers les épreuves où l’attend son prince, et les trappes qui font surgir et disparaître personnages autant qu’accessoires achèvent de faire fonctionner à merveille cette féérie aux couleurs bariolées.
Une Flûte de féérie
Le plateau réuni pour cette reprise répond à merveille au projet voulu par les deux metteurs en scène, et on est heureux d’entendre la musique de Mozart servie avec autant de respect et d’humilité. Les Enfants issus de la Maîtrise de la Perverie font de leur mieux de tout leur cœur, autant que les des seconds rôles tous bien chantants, des deux hommes d’armes à l’Orateur noble et percutant de Tyler Duncan. Le trio des Dames formé par Katia Welletaz, Emilie Renard et Ann Taylor fonctionne admirablement, trois voix et autant de personnalités très différentes mais qui s’apparient avec bonheur, parfaitement complémentaires. Juché sur ses échasses durant toute la représentation, James Creswell réussit néanmoins à offrir un Sarastro de haut niveau, à la ligne de chant d’une belle égalité, grâce surtout à une clarté d’émission devenue rare parmi les voix de basses, permettant pourtant une exacte profondeur dans les notes graves. Sa nocturne rivale, la Reine de la Nuit, trouve en Olga Pudova une interprète de choix, un rien timide durant la première partie de son air d’entrée mais aux vocalises assurées et au contre-fa triomphant. La jeune soprano russe abat ses meilleures cartes dans son second air, d’une grande précision jusque dans le suraigu et porté par une énergie vindicative du meilleur effet. Irrésistible Papageno, Ruben Drole porte parfaitement son nom, tant sa composition se révèle attachante et pleine d’humour. Il bénéficie en outre de la quasi-intégralité des dialogues parlés dévolus à son personnage – complétude inhabituelle mais ô combien indispensable pour une totale caractérisation du rôle –, ce qui lui permet toutes les facéties. Vocalement, il paraît avoir choisi une émission plutôt rustique, un rien pataude et quasiment campagnarde, et il surprend dans de nombreux passages en allégeant soudain sa voix, découvrant alors un timbre totalement différent, et osant quantités de nuances rarement exécutées. Un portrait aux multiples facettes, qui lui vaut un triomphe au rideau final. Excellente Pamina, Marie Arnet reprend le rôle qu’elle incarnait déjà lors de la création de cette production en ce même lieu. La chanteuse suédoise trace les contours d’une figure féminine forte et volontaire, à l’image de son chant très incarné et généreusement déployé. Son air lui permet en outre de dérouler un phrasé élégant et de belles demi-teintes, en une très belle performance.
Remplaçant Stanislas de Barbeyrac initialement prévu, le ténor islandais Elmar Gilbertsson demeure pour nous la révélation de la soirée, tant il correspond à un art du chant que nous défendons ardemment dans ces colonnes. Dès son entrée, pourtant redoutable et redoutée par plus d’un chanteur, il expose une émission très percutante et concentrée, claire et puissante, assumant fièrement la vaillance contenue dans l’écriture musicale. Si son air du portrait, scrupuleusement chanté – mais dans des positions physiques qui ne facilitent pas la régularité du soutien –, pourrait cependant gagner encore en abandon et en tendresse, dès son arrivée devant les trois portes il comble nos attentes dans ce rôle, avec une exactitude dans les voyelles et un impact dans la projection qui font notre bonheur. Un nom à suivre, dont en entendra certainement reparler dans le répertoire mozartien.
Galvanisant le chœur maison, d’une grande musicalité, et l’Orchestre National des Pays de la Loire, Mark Shanahan offre aux artistes un accompagnement idéal, véritable écrin pour les voix. Attentif aux chanteurs, il les suit comme leur ombre, ajustant tempi et nuances, dans une écoute qui force l’admiration tant elle paraît rassurante pour tous. Un admirable travail de vrai chef d’opéra, un modèle du genre.
Le public nantais ne boudant pas son plaisir de retrouver le chef d’œuvre de Mozart, c’est un triomphé mérité qui a salué cette magnifique reprise, une fin de saison au goût d’enfance, un régal.
Nantes. Théâtre Graslin, 28 mai 2014. Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte. Livret d’Emmanuel Schikaneder. Avec Pamina : Marie Arnet ; Tamino : Elmar Gilbertsson ; Papageno : Ruben Drole ; La Reine de la Nuit : Olga Pudova ; Sarastro : James Creswell ; Papagena : Mirka Wagner ; Première Dame : Katia Welletaz ; Deuxième Dame : Emilie Renard ; Troisième Dame : Ann Taylor ; Monostatos : Eric Huchet ; L’Orateur et le Premier prêtre : Tyler Duncan ; Les trois enfants : Enfants de la Maîtrise de la Perverie ; Second prêtre et Premier homme d’armes : Gijs van der Linden ; Second homme d’armes : Guy-Etienne Giot. Chœur d’Angers Nantes Opéra ; Chef de chœur : Xavier Ribes. Orchestre National des Pays de la Loire. Direction musicale : Mark Shanahan. Mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser ; Décors : Christian Fenouillat ; Agostino Cavalca ; Lumières : Christophe Forey