jeudi 28 mars 2024

Compte rendu, opéra. Milan, Scala, le 28 mai 2016. Puccini : La fanciulla del West. Barbara Haveman / Chailly, Carsen…

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Le public a été bien inspiré d’assister à la dernière de ce rare opus de Puccini le soir de la finale de la Champions League, seul moyen d’éviter les hordes de supporters madrilènes qui avaient envahi la ville. Si l’œuvre n’est pas la plus populaire du compositeur de Torre del Lago, malgré la célèbre scène de partie de poker du second acte, le spectacle était de haute tenue et méritait largement le détour. On est loin en effet des séductions mélodiques qui caractérisent les précédents opéras (Tosca, Butterfly) ou ceux qui le suivent (Il Trittico, Turandot). La fanciulla del West, qui fut donné la première fois au Metropolitan de New-York en 1910, puis à la Scala deux ans après, oppose un traitement vocal d’une grande âpreté à une opulence orchestrale d’un suprême raffinement (voir par exemple la superbe scène du baiser du second acte), qui en fait une sorte d’ovni lyrique dans la production de Puccini. On a l’impression que c’est le texte qui ponctue la musique, et non pas la musique qui accompagne la dramaturgie du texte. L’œuvre oscille entre western, théâtre et music-hall, et le livret de Civinini et Zangarini s’inspire d’une précédente pièce de David Belasco, The Girl of the Golden West. Le retour de ce western opératique était très attendu, plus de vingt ans après la dernière production donnée à la Scala (en 1995, dirigée par Sinopoli). Robert Carsen s’est justement inspiré de cette triple influence pour offrir une lecture sans surprise, mais respectueuse de l’esprit de l’œuvre et surtout dramatiquement efficace.

 

 

 

Minie n’est pas Mimi !

 

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Dès le lever de rideau, le chœur des mineurs assiste à la fin de la projection de My Darling Clementine ; puis, aussitôt après, on est plongé dans le saloon « Polka », dominé sur le fond par une sorte de plateau d’où apparaîtra Minnie, tenancière de l’établissement. Figure féminine attachante, forte, très éloignée des héroïnes évanescentes des autres partitions du maître, elle ne se laisse pas abuser par le shérif qui la convoite. Le dialogue entre Minnie et Dick, son amant, se déroule dans un espace qui continue à jouer de cette multiple influence artistique : les fines bandes noires qui défilent devant nos yeux nous donnent l’impression d’assister une nouvelle fois à la projection d’un vieux film. Carsen transfigure habilement les effets dramatiques que suggère un chromatisme binaire, en noir et blanc, à travers un jeu subtil sur les projections d’ombre (l’apparition du shérif et de ses sbires) qui rappellent cette fois le cinéma d’un Fritz Lang (impression renforcée par les gouttes de sang de Dick qui s’étalent exagérément le long des parois en bois de la maison, transformant pour quelques instants le western en film d’horreur), ou encore l’étirement des lignes de fuite (la maison de Minnie du second acte qui rappelle une grotte aux proportions expressionnistes), tandis qu’au troisième acte, la présence de rideaux permet de nouveau la projection de bouts de films en noir et blanc, avant de voir dans la scène conclusive les mineurs faire la queue devant le théâtre Apollon où est donné cette fois-ci la version cinématographique de The Girl of the Golden West.

 

Robert CarsenLa lisibilité de la mise en scène, magnifiée par les très beaux costumes de Petra Reinhardt et les lumières de Carsen et Peter van Praet, trouve un bel écho dans la direction inspirée de Riccardo Chailly, décidément interprète hors pair de Puccini, et dans le chœur parfait de la Scala, admirable d’élocution (dirigé par Bruno Casoni). Le raffinement orchestral est ici rendu dans les moindres détails, toujours dans une optique d’optimisation dramatique qui rappelle combien Puccini est avant tout un formidable compositeur pour le théâtre, même lorsque les voix semblent moins à leur avantage et que le livret est, comme ici, à la limite de l’indigence. La distribution réunie pour cette occasion n’est hélas pas à la hauteur et ne risque pas de faire oublier la mythique production de Gavazzeni de 1965 in loco, avec le non moins mythique Franco Corelli. Si le ténor qui défend Dick Johnson, Roberto Aronica est loin de démériter (c’est d’ailleurs parmi tous, celui qui tire le mieux son épingle du jeu), révélant même une voix puissante et solidement charpentée, le rôle-titre tenu par Barbara Haveman déçoit par son manque de charisme et une projection chaotique, tandis que Claudio Sgura (Jack Rance) pèche par un timbre engoncé, sans clarté. Les autres interprètes, cependant, sont tous d’une grande probité (en particulier la basse Romano Dal Zovo ou le baryton Jake Wallace, qui nous a gratifié d’une très belle romance au début du premier acte). Les faiblesses du livret et les inégalités de la distribution n’auront à la fin guère suffi à entamer le plaisir de la redécouverte de ce western lyrique décidément bien trop rare.

 
 
 
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Illustrations : © M Brescia, R. Amisano / Scala de Milan 2016

 
 

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