jeudi 28 mars 2024

Compte rendu, opéra. Lille. Opéra de Lille, le 2 juin 2015. Puccini : Madama Butterfly. Serena Farnocchia, Merunas Vitulskis, Armando Noguera… Orchestre National de Lille. Antonino Fogliani, direction. Jean-François Sivadier, mise en scène.

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Fin de saison passionnante à l’Opéra de Lille ! La première mise en scène lyrique de Jean-François Sivadier revient à la maison qui l’a commandée il y a plus de 10 ans. Il s’agît de Madama Butterfly de Giacomo Puccini. Antonino Fogliani dirige l’Orchestre National de Lille et une excellente distribution de chanteurs-acteurs, avec atout distinctif, Armando Noguera reprenant le rôle de Sharpless qu’il a créée en 2004.

 

Butterfly lilloise, de grande dignité

butterfly opera de lille sivadier critique compte rendu classiquenewsMadama Butterfly était l’opéra préféré du compositeur, « le plus sincère et le plus évocateur que j’aie jamais conçu », disait-il. Il marque un retour au drame psychologique intimiste, à l’observation des sentiments, à la poésie du quotidien. Puccini pris par son sujet et son héroïne, s’est plongé dans l’étude de la musique, de la culture, des rites japonais, allant jusqu’à la rencontre de l’actrice Sada Jacco qui lui a permis de se familiariser avec le timbre des femmes japonaises ! L’histoire de Madama Butterfly s’inspire largement du roman de Pierre Lotti Madame Chrysanthème. Le livret est le fruit de la collaboration des deux écrivains familiers de Puccini, Giacosa et Illica, d’après la pièce de David Belasco, tirée d’un récit de John Luther Long, ce dernier directement inspiré de Lotti. Il parle du lieutenant de la marine américaine B.F. Pinkerton qui se « marie » avec une jeune geisha nommée Cio-Cio San. Le tout est une farce mais Cio-Cio San y croit. Elle se convertit au christianisme et a un enfant de cette union. Elle sera délaissée par le lieutenant trop léger, qui reviendra avec une femme américaine, sa véritable épouse, pour récupérer son fils bâtard. Cio-Cio San ne peut que se tuer avec le couteau hérité de son père, et qu’il avait utilisé pour son suicide rituel Hara-Kiri.

Ce soir, un très grand public a accès à la tragédie puccinienne, puisque l’opéra est diffusé en direct et sur grand écran sur la grande place à l’extérieur de l’opéra, mais aussi retransmise sur plusieurs plateformes télévisuelles et radiophoniques. Une occasion qui peut s’avérer inoubliable grâce aux talents combinés des artistes engagés. La Cio-Cio San de la soprano italienne Serena Farnocchia surprend immédiatement par sa prestance, il s’agît d’une geisha d’une grande dignité, malgré sa naïveté. Elle réussit au IIème acte,  l’air « Un bel di vedremo », à la fois rêveur et idéalement extatique. Si elle reste plutôt en contrôle d’elle même lors du « Che tua madre », l’interprète arrive à y imprimer une profonde tristesse qui contraste avec la complexité horripilante de son dernier morceau « Tu, tu piccolo iddio ». Le Pinkerton du ténor Merunas Vitulskis a un beau timbre et il rayonne d’une certaine douceur, d’une certaine chaleur dans son interprétation, malgré la nature du rôle. Il est appassionato comme on aime et a une grande complicité avec ses partenaires. Armando Noguera en tant que Consul Sharpless fait preuve de la sensibilité et de la réactivité qui lui sont propres. Aussi très complice avec ses partenaires, il interprète de façon très émouvante le sublime trio du IIIe acte avec Suzuki et Pinkerton « Io so che alle sue pene… ». La Suzuki de Victoria Yarovaya offre une prestation solide et sensible, tout comme Tim Kuypers dans les rôles du Commissaire et du Prince Yamadori, davantage alléchant par la beauté de son instrument. Le Goro de François Piolino est très réussi, le Suisse est réactif et drôle et sévère selon les besoins ; il affirme une grande conscience scénique. Remarquons également le Bonze surprenant de Ramaz Chikviladze et la Kate Pinkerton touchante de Virginie Fouque, comme les chœurs fabuleux de l’Opéra de Lille sous la direction d’Yves Parmentier.

Cette première mise en scène de Sivadier présente les germes de son art du théâtre lyrique, dont les jalons manifestes demeurent la progression logique et le raffinement sincère de la méthode qui lui est propre. Ainsi, les beaux décors minimalistes de Virginie Gervaise, comme ses fabuleux costumes, ont une fonction purement théâtrale. L’importance réside dans le travail d’acteur, poussé, ma non troppo ; dans une série de gestes théâtraux, parfois complètement arbitraires, qui illustrent l’œuvre et l’enrichissent. Ce travail semble plutôt rechercher l’aspect comique caché de certains moments qu’insister sur l’expression d’un pathos déjà très omniprésent dans la musique du compositeur dont la soif obsessionnelle des sentiments intenses est une évidence. Le résultat est une production d’une certaine élégance, tout en étant sincère et efficace. Une beauté.

L’Orchestre National de Lille participe à cette sensation de beauté musicale sous la direction d’Antonino Fogliani. Si hautbois ou basson se montrent ici et là, étrangement inaudible, la chose la plus frappante au niveau orchestral reste l’intention de prolonger l’expression des sentiments grâce à des tempi souvent ralentis. Un bon effort qui a un sens mais qui requiert une acceptation totale et une entente entière avec les chanteurs, ce qui ne nous a pas paru totalement évident. Or, la phalange lilloise se montre maîtresse de la mélodie puccinienne, de l’harmonie, du coloris. Les leitmotive sont délicieusement nuancés et le tout est une réussite générale. Nous conseillons nos lecteurs à découvrir l’oeuvre de Sivadier et la géniale prestation des interprètes, sur les plateformes diverses (internet, radio, tv), ainsi que le 7 juin à l’Opéra de Lille ou encore les 19, 24 et 26 juin 2015 au Grand Théâtre de Luxembourg.

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