L’année Rameau 2014 est fêtée à Lille avec une nouvelle production de Castor et Pollux ! Au Concert d’Astrée d’Emmanuelle Haïm associe une jeune et brillante distribution, très investie dans la mise en scène insolente et insolite, mais surtout pertinente, de Barrie Kosky, directeur de l’Opéra Comique de Berlin. Une soirée riche en émotions et en audace où Rameau est mis en valeur par la force des talents combinés ! Castor et Pollux voit le jour en 1737 dans une version plus longue avec un prologue allégorique sur le traité de Vienne. Les Lullystes acharnés sont alors très critiques et méprisants, ils ne savent pas encore qu’en 1754 l’opéra repris et remanié sera un exemple illustre de l’école française de musique effectivement créée par Lully et dont Rameau deviendra le dernier véritable représentant d’envergure, voire le sommet, avec le mélange de science et d’émotion qui lui sont propres. La version mise en scène pour cette production est celle de 1754, dont peut-être seul l’aspect dramaturgique est réellement amélioré.
Castor et Pollux de chair et de sang
La mise en scène de Barrie Kosky est une créature bizarre que l’on trouve rarement en France. En une transposition absolue de l’histoire et un expressionnisme certain, quoi que plus ou moins abstrait, la production est une recette qui ne plaira guère aux puristes, mais, en l’occurrence, une formule qui marche très bien et qui même rehausse l’oeuvre. Nous sommes donc dans un décor unique, une boîte en bois où les dieux et les chœurs dansent, courent, se fracassent contre les murs, saignent, etc., ; un huis clos qui permet d’éclairer davantage l’histoire. Qui devient plus dramatique que tragique. La mise en scène parle par conséquent à l’auditeur contemporain, tandis que la performance de l’orchestre baroque nous emmène à imaginer et présumer comment la musique sonnait dans un temps révolu.
Dans ce cadre, la distribution des chanteurs est engageante et engagée. Castor et Pollux sont chantés avec brio par Pascal Charbonneau et Henk Neven respectivement. Si l’expressionnisme de la mise en scène (avec sa grande intensité physique) affecte parfois la voix du premier, il demeure un Castor alléchant par la beauté du timbre et la colorature facile. Henk Neven est un habitué du rôle, sa performance préserve l’accent noble de la tragédie, par la gravité de son chant et un jeu d’acteur émouvant. Leur complicité sur le plateau est une belle évidence. Nous trouvons une même entente à deux voix chez les sœurs Télaïre et Phoebé, interprétées par Emmanuelle de Negri et Gaëlle Arquez respectivement. De Negri est une chanteuse de talent qui sait servir la musique de son personnage, sa voix a une certaine légèreté à laquelle nous ne pouvons pas rester insensibles, d’autant plus que son jeu d’actrice est aussi investi. Or, nous aurions préféré un chant plus nuancé, notamment lors du célèbre air « Tristes apprêts ». Nous nous demandons si c’était un choix stylistique du chef d’orchestre, que nous n’avons pas trouvé particulièrement impressionnant pour ce morceau normalement sublime. Arquez (qui nous a marqué dans Le Couronnement de Poppée à l’Opéra de Paris), quant à elle, montre au public les nombreux visages de son talent. Elle a une sensualité rayonnante sur scène que complète de façon exquise son chant envoûtant. Mais c’est surtout l’aspect dramatique de son jeu qui impressionne, elle réussit à nuancer le rôle de Phébé, lui donnant une gamme d’expressions élargie (quoi que, en tant que méchante, le tourment l’emporte ici sans alternative) et captive l’auditoire par son articulation de la langue française, par une prosodie immaculée. Une jeune étoile du firmament lyrique qu’on espère voir davantage sur scène.
Les rôles secondaires sont toujours remarquables d’un point de vue scénique. Musicalement, nous avons tout particulièrement apprécié la performance d’Erwin Aros en Mercure (et l’Athlète, personnage intégré dans le rôle de Mercure pour cette production). Il chante l’ariette virtuose « Eclatez, fières trompettes » d’une façon stylisée que nous trouvons… intéressante. S’il a un beau timbre brillant et une technique irréprochable, nous ne comprenons pas qu’il chante à mezza voce la section la plus aigüe (et donc héroïque) de l’ariette, sachant que Rameau, si mathématiquement précis dans ses partitions, ne le souhaitait pas. D’un point de vue dramaturgique l’effet est déconcertant, l’Athlète chante le texte suivant : « Eclatez, fières trompettes, faites briller dans ces retraites la gloire de nos héros », pourquoi le chanteur projette-t-il ses trompettes à mi-voix ? Cela nous interroge. En dépit de cette stylisation peut-être imposée, nous sommes à nouveau reconquis lors du génial trio de l’acte IV « Rentrez, rentrez dans l’esclavage ». Félicitons le choeur du Concert d’Astrée au bel investissement, toujours très réactif et polyvalent. Le Concert Astrée sous la direction d’Emmanuelle Haïm n’a rien perdu de l’alacrité qui lui est propre. L’équilibre entre fosse et plateau est maintenu tout au long des 5 actes. Si nous aurions peut-être préféré plus de nuances dans la performance, l’attaque et la vigueur des cordes, ainsi que la candeur particulière des vents, convainquent. Pour autant est ce réellement suffisant chez Rameau?
Compte rendu, opéra. Lille. Opéra de Lille, le 17 octobre 2014. Rameau : Castor et Pollux. Pascal Charbonneau, Henk Neven, Gaëlle Arquez… Le Concert d’Astrée, choeur et orchestre. Emmanuelle Haïm, direction. Barrie Kosky, mise en scène. Une œuvre rare à (re)découvrir à l’Opéra de Lille les 17, 19, 21, 23 et 25 octobre 2014.