Ce n’est pas au Grand-Théâtre mais dans le superbe Auditorium inauguré en grande pompe il y a deux ans qu’est présenté ce nouveau Tristan und Isolde bordelais, et Thierry Fouquet a fait appel à l’homme de théâtre italien Giuseppe Frigeni – déjà signataire in loco d’un Macbeth et d’un Lohengrin retentissants – pour illustrer le mythe mis en musique par Richard Wagner.
Dans le rôle du roi Marke : la formidable basse Nicolas Courjal…
On retrouve l’univers épuré, stylisé et hiératique de cet ancien assistant de Bob Wilson qui sait utiliser avec brio la configuration spéciale du lieu : les balcons arrières et latéraux servent de galeries de circulation pour l’arrivée du Roi Marke ou les appels nocturnes de Brangäne, tandis que, plus bas, la configuration en anneau de la scène est maquillée en proue de navire, percée de hublots sur les côtés. Quant à la forêt de l’acte II, elle est symbolisée par des bouleaux enfermés dans des cages de verre : image d’une réelle beauté esthétique, magnifiée par les éclairages (bleutés) conçus par Frigeni lui-même.
Déjà entendu dans le rôle de Tristan à la Staatsoper de Stuttgart en début de saison, le ténor américain Erin Caves (remplaçant son collègue Christian Voigt, annoncé souffrant) ne démérite jamais tout au long de la représentation, menant bien sa voix dans le duo d’amour, tout en conservant assez de réserves pour la longue agonie du troisième acte – où il est incontestablement aidé par la direction attentive du chef Paul Daniel. Grande habituée des ouvrages de Wagner, la soprano britannique Alwyn Mellor est une Isolde de grand format, à la voix certes un peu criarde, mais aux aigus sûrs et puissants, qui parvient au Liebestod sans trace de fatigue.
La basse française Nicolas Courjal fait un formidable roi Marke à l’Opéra de Bordeaux (DR)
On connaît Janina Baechle pour être l’une des interprètes incontournables du rôle de Brangäne, mais ce soir la mezzo allemande n’est pas dans sa meilleure forme vocale. C’est un tout autre bonheur que procure la prestation de Nicolas Courjal – pour sa prise de rôle en Roi Marke – dont l’intense monologue du II restera sans nul doute comme le moment le plus intense de la soirée. On ne sait décidément où donner de l’oreille ni qu’admirer le plus chez cette formidable basse française : la musicalité profonde, la noblesse des accents, la clarté de la diction ou le prodigieux phrasé. Enfin, le jeu expressif et le chant racé du baryton américain Brett Polegato en font un Kurwenal d’exception, tandis que l’on retiendra, de manière tout aussi favorable, le Melot vindicatif de Guillaume Antoine ainsi que le Berger poétique de Simon Bode.
Autre grande satisfaction de la soirée, l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine – et son directeur musical Paul Daniel – donnent le meilleur d’eux-même ce soir. La phalange bordelaise se montre en effet admirable de cohésion et de clarté, et fait entendre des sonorités tout simplement magnifiques sinon magiques. Tour à tour dramatique et nuancée, d’un rare souci du détail instrumental, la baguette du chef britannique sait par ailleurs ménager un rapport parfait entre les voix et un orchestre somptueux mais jamais envahissant pour elles. De manière légitime, Paul Daniel récolte – au côté de Nicolas Courjal – l’ovation la plus nourrie au moment des saluts.
Compte-rendu, opéra. Bordeaux, Auditorium, le 26 mars 2015. Richard Wagner : Tristan und Isolde. Erin Caves, Alwyn Mellor, Nicolas Courjal, Janina Baechle, Brett Polegato, Guillaume Antoine, Simon Bode, Jean-Marc Bonicel. Giuseppe Frigeni, mise en scène. Paul Daniel, direction. Production à l’affiche de l’Opéra de Bordeaux jusqu’au 7 avril 2015.