jeudi 28 mars 2024

Compte-rendu opéra. Beaune,le 22 juillet 2017. ROSSINI : TANCREDI. Iervolino … Ottavio Dantone (direction)

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

rossini-portrait-gioachino-rossini-bigCompte-rendu opéra. Beaune,le 22 juillet 2017. ROSSINI : TANCREDI. Iervolino … Ottavio Dantone (direction). Le premier opera seria de Rossini (il avait 21 ans) semble plaire tout particulièrement aux « baroqueux ». Si Alberto Zedda avait ouvert la voie en l’interprétant sur instruments anciens, mais avec la fine fleur du chant rossinien (Ewa Podles, Sumi Jo, Pietro Spagnoli, disque Naxos, écho d’un concert mémorable au théâtre de Poissy), René Jacobs l’a proposé à son tour mais dans sa version originale vénitienne avec « lieto fine ». Car cet opéra voltairien qui est étranger au personnage imaginé par le Tasse, connut pas moins de trois versions, la seconde (celle de Ferrare) avec un finale tragique, avant que le compositeur n’en établisse une version définitive qui combine les deux précédentes. Dans la collégiale Notre-Dame de Beaune, Ottavio Dantone choisit la version de Ferrare, dramatiquement plus convaincante, et en livre une lecture magistrale. Le casting réuni ce soir-là frise en outre la perfection et rarement un opéra en version concert n’aura autant tenu en haleine les spectateurs grâce à une urgence et une vérité dramatiques, résultat d’un formidable travail d’équipe, entre les interprètes, les chœurs et l’orchestre tous également investis dans le drame.

Tancredi d’anthologie

Dans le rôle-titre, Teresa Iervolino, annoncée souffrante, a pourtant livré une incarnation pleine d’humanité du personnage. Le timbre riche et chatoyant, l’amplitude vocale fonctionnent à merveille qui nous ont gratifié de plusieurs moments mémorables, à commencer par la scène d’entrée et l’air célèbre « Di tanti palpiti », les nombreux duos (avec Amenaide et Argirio) ou la scène finale de sa mort, proprement bouleversante. Sylvia Schwartz incarne brillamment Amenaide, la fille d’Argirio, roi de Syracuse, amoureuse du chevalier. Si la voix n’est pas immense, elle habite le rôle avec une rare intensité ; son chant noble, délicat, toujours bien projeté, et capable aussi de sursauts puissants, captive sans faille le spectateur en l’obligeant à une écoute attentive, grâce à une diction parfaitement maîtrisée. On se souviendra longtemps de sa « scena d’ombra » du second acte (« Di mia vita infelice ») : « messa di voce », « glissandi », son chant est paré de mille nuances, frise tour à tour le silence puis donne toute sa mesure dans la cavatine finale. Elle a peut-être, mieux que tous, illustré l’esthétique du « bel canto ». On ne peut là encore que tarir d’éloges sur la prestation époustouflante de Matthiew Newlin, magistral Argirio, que nous avions découvert l’automne dernier dans le rôle comique de Zotico dans l’Eliogabalo de Cavalli. La puissance d’une voix parfaitement posée n’est pas la moindre de ses qualités, car ses aigus aériens ne sont jamais poussifs et jamais ne trahissent l’intelligibilité du texte. Son aria comminatoire du I (« Pensa che sei mia figlia »), ou celle particulièrement dramatique au début du second acte, lorsque la voix se mêle aux interventions du chœur (« Ma la figlia !… Oh Dio !… Frattanto… »), évoquent irrésistiblement l’héritage d’un Chris Merrit et ont littéralement cloué les spectateurs à leur chaise. On tient là un authentique ténor rossinien qu’il faudra désormais suivre attentivement. Quant à la basse Luigi De Donato, il livre un portrait très noir du méchant Orbazzano, rival de Tancredi. Timbre caverneux, diction exemplaire, il porte une partie du drame, notamment dans la fameuse scène de la lettre, avant le finale du I, qui plonge tous les personnages dans une myriade d’affections. Les deux derniers rôles, moins développés, sont impeccablement défendus. Mention spéciale pour l’alto d’Anthéa Pichanik qui avait donné la veille un marathon de près de quatre heures dans le rôle-titre de Mitridate de Scarlatti. Si la lecture des récitatifs semblait parfois un peu laborieuse, elle défend très bien son rôle d’Isaura, suivante d’Amenaide, certes modeste, mais non moins exigeant, et révèle toute la mesure de son immense talent dans le superbe aria du II, 3 (« Tu che i miseri conforti »). Le rôle de Roggiero est beaucoup plus effacé, mais Alix Le Saux a droit aussi à son moment de « gloire » à la fin du dernier acte (« Torni alfin ridente »), même si on aurait aimé, pour une meilleure clarté, que les consonnes soient davantage appuyées.
La direction d’Ottavio Dantone, à la tête de son Accademia Bizantina, grande habituée du festival, est impressionnante de justesse et de force; les crescendi, nombreux dans cette tragédie dominée étrangement par la tonalité majeure, sont conduits avec grâce et légèreté. Le chœur de chambre de Namur est excellent comme toujours et participe à la réussite exceptionnelle de la soirée.

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Compte-rendu opéra. Beaune, Festival International d’Opéra Baroque et Romantique, Gioachino Rossini, Tancredi, 22 juillet 2017. Teresa Iervolino (Tancredi), Sylvia Schwartz (Amenaide), Matthew Newlin (Argirio), Luigi De Donato (Orbazzano), Alix Le Saux (Roggiero), Anthea Pichanick (Isaura), Chœur de chambre de Namur, Orchestre Accademia Bizantina, Ottavio Dantone (direction)

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