samedi 20 avril 2024

Compte rendu, danse. Paris. Opéra Bastille, le 13 décembre 2016. Tchaikovski : Le Lac des Cygnes (version Noureev). Heymann, Paquette, Ould-Braham… Vallo Pähn, direction musicale.

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jp53bwqcjvxgnp59nmqlCompte rendu, danse. Paris. Opéra Bastille, le 13 décembre 2016. Rudolf Noureev : Le Lac des Cygnes. Mathias Heymann, Karl Paquette, Myriam Ould-Braham… Ballet de l’Opéra de Paris. Piotr Tchaikovsky, compositeur. Orchestre de l’Opéra de Paris. Vallo Pähn, direction musicale. MYTHE DU BALLET ROMANTIQUE... Le Lac des Cygnes, ballet romantique par excellence, est l’œuvre mythique incontournable de la danse classique.  Ses origines sont mystérieuses et son  histoire interprétative, plutôt complexe. La création à Moscou en 1877 fut un désastre. Ce n’est qu’en 1895 qu’il est ressuscité à Saint Petersbourg par Petipa et Ivanov, maîtres de ballets du Théâtre Impérial Mariinsky, avec l’accord de Modest Tchaikovski, frère cadet de Piotr Illich, décédé en 1893, lequel avait commencé la collaboration et la révision du ballet avec Petipa avant sa mort. Ce soir à l’Opéra Bastille,  voici la reprise de la version de Rudolf Noureev datant de 1984, privilégiant l’aspect psychologique et psychanalytique de l’histoire ainsi que la danse masculine. Ici, l’ancien directeur du Ballet de l’Opéra National de Paris, met tout son talent et sa modernité dans la mise en scène du grand ballet classique.

Cette nuit, les rôles principaux sont tenus par les Etoiles Mathias Heymann, Myriam Ould-Braham et Karl Paquette, dans les rôles du Prince Siegfried, Odette/Odile et Wolfgang/Rothbarth respectivement. L’Orchestre de la maison est dirigé par le chef Vello Pähn.

 

 

 

Le Lac des cygnes à Bastille : profondeur et virtuosité

 

 

tchaikovski piotr-Tchaikovsky-530-855La mise en scène la moins somptueuse des grands ballets classiques de la part de Rudolf Noureev, l’économie des tableaux en ce qui concerne les décors, permet à l’auditoire de se concentrer sur les aspects plus profonds de l’œuvre. L’éclat plastique qu’on attend et qu’on aime de la part du Russe se trouve toujours dans les costumes riches et aux couleurs atténuées de Franca Squarciapino et surtout dans la danse elle-même, enrichie des petites batteries, d’entrechats six, d’un travail du bas-de-jambe poussé et des poses et enchaînements particuliers.

LE LAC, VERSION RUDOLF NOUREEV… Le Prince Siegfried n’est pas qu’un partenaire dans la version Noureev, comme c’est souvent le cas, y compris dans les versions du XXe siècle d’un Bourmeister où d’une Makarova. Ici il s’agit du véritable protagoniste. Il n’est pas tout simplement amoureux d’un cygne. C’est un Prince introspectif et rêveur, qui couvre son homosexualité latente sous le mirage sublime d’un amour inatteignable, en l’occurrence celui de la Princesse rêvée, transfigurée en cygne. Le cygne « Odette/Odile », devient en l’occurrence moins lyrique mais gagne en caractère. Puisque toute sa tragédie peut être interprétée comme le songe d’un Prince solitaire, le personnage avec sa duplicité innée devient plus intéressant. Le grand ajout de Noureev est la revalorisation du sorcier Rothbart, qui devient aussi Wolfgang, le tuteur du Prince. Une figure masculine mystérieuse et magnétique plus qu’explicitement maléfique (Noureev a de fait interprété ce rôle à plusieurs reprises vers la fin des années 80).

UN PRINCE IDEAL… Le Prince de Mathias Heymann est comme attendu une vision de beauté, de poésie et de virtuosité. Sa variation lente au 1er acte est un moment où il régale l’auditoire avec ses lignes élégantes et alléchantes, une véritable méditation sur scène. Sa variation au troisième acte est toujours une démonstration d’excellence et d’élégance, avec un ballon, une légèreté, toujours impressionnants. Il rayonne et impressionne également avec ses tours et sauts, fantastiques, des entrechats propres, et surtout l’investissement total de l’Etoile dans tous les aspects du rôle enrichi par Noureev. Si sa danse est impeccable et virtuose (nous n’oublions pas non plus un saut de biche troublant à la toute fin du spectacle), son visage et ce je ne sais quoi de sincère dans sa gestuelle, composent, eux, un poème, faisant de lui le Prince idéal dans cette production.

CYGNE BLANC / CYGNE NOIR… Il forme en plus un couple de rêve avec Myriam Ould-Braham. Celle ci campe un cygne blanc excellent, d’une beauté remarquable, presque bouleversante avec un haut-de-corps à l’expressivité à fleur de peau. Le deuxième acte est dominé par sa danse et nous sommes éblouis particulièrement par ses pointes parfaites et ses bras dans le pas de deux. Son cygne noir est bien heureusement très coquet et piquant par rapport à l’innocence immaculée du blanc. Le plus gros défi interprétatif (plus que les redoutables « 32 » fouettés en tournant, nous en revenons), est de créer un vrai contraste narratif et émotionnel entre les deux cygnes, tout en gardant la cohérence inhérente à l’animal, dans l’aspect physique comme psychologique et ce qu’il représente. Dans ce sens, Myriam Ould-Braham tout à fait triomphante en son cygne noir, se distingue de son cygne blanc, ma non troppo: elle y rayonne d’assurance et de sensualité affirmée, toute pétillante, toute séduisante. Son Odette et son Odile sont toutes les deux hypnotisantes. Dans la coda du pas de trois avec Siegfried et Rothbart (3e acte), elle campe une trentaine de fouettés en tournant (mais qui compte reellement ? Et pourquoi ?) et elle garde une excellente attitude et panache en dépit de l’insatisfaction évidente dans la finition, quelque peu sauvée ou masquée par le Rothbart attentif de Karl Paquette. Lui, habitué du rôle de longue date, personnage qui lui sied comme un gant, n’a peut-être plus envie de le danser. En dépit de ce petit soupçon, sa performance a été comme attendue, sans défauts. Il a des moments de grande expressivité et intensité.  Il est toujours très solide dans les nombreux pas de trois avec le cygne et le Prince.

cygnes-lac-noureev-classiquenews-Le-Lac-des-Cygnes_corps-de-balletLE CORPS DE BALLET DE L’OPERA DE PARIS : entre discipline et beauté… Remarquons tout autant le Corps de Ballet et des rôles secondaires au top. Si au début du premier acte, l’harmonie n’était pas encore évidente, distinguons cependant une Valse très belle mais inégale, où les Sujets Cyril Mitilian, Jérémy-Loup Quer et Paul Marque se démarquent. Le pas de trois du premier acte est fabuleusement interprété par la Première Danseuse récemment nommée San Eun Park, le Premier Danseur Fabien Révillion et la Sujet Séverine Westermann. Dès le départ Révillion présente une danse brillante avec des lignes pas moins que… parfaites. Park est pétillante et sauterelle, réussissant le pas.  La Westermann est tout aussi réussie, mais peut-être moins démonstrative. Le souvenir le plus fort est sans doute Révillion qui dans la coda fait preuve d’une virtuosité rayonnante et laisse béat par le dynamisme de ses sauts, l’insolence et l’élégance de l’extension. Il agrémente sa performance virtuose et pleine de brio avec une allure agréable et un sourire permanent qui révèle le plaisir du danseur à être sur scène, son aisance technique et sa rigueur. Ce soir, les Quatre Grands Cygnes d’Héloïse Bourdon, Fanny Gorse, Sae Eun Park et Ida Viikinkoski impressionnent plus que les Quatre Petits Cygnes à la chorégraphie mignonne et très célèbre (toujours, bien sûr, vivement récompensés par le public enflammé). Pour les danses de caractère du 3ème acte, retenons Axel Ibot délicieux dans l’Espagnole, un Paul Marque qui se démarque toujours dans la Napolitaine, les danseurs superbes dans la Mazurka ou encore les danseuses « Fiancées » d’une attendrissante beauté. Le Corps de Ballet est au somment au quatrième acte, sans doute le plus original et le plus  moderne. Les cygnes portent en eux le lourd fardeaux de la déception et leur gestuelle et mouvements s’y trouvent affectés en conséquence, le tout d’une façon très naturelle ; étonnante pour un grand ballet du répertoire académique.

Nonobstant émettons quelques réserves vis-à-vis de  la performance de l’orchestre sous la baguette du chef Vello Pähn, ancien collaborateur fétiche de Noureev. Les tempi au 1er acte paraissent mettre les danseurs en dangers. Si les couleurs sont là, et la partition sublime de Tchaikovsky est toujours honorée, l’orchestre peine au démarrage : il prend, comme le Corps d’ailleurs, un peu de temps à se chauffer et s’harmoniser. Chose réglée à la fin du premier acte, l’opus interprété par les musiciens de la maison nationale a inspiré maints frissons et palpitations.

jp53bwqcjvxgnp59nmqlBALLET POUR LES FÊTES… Voici donc un Lac de Cygne qu’on attendait avec impatience, programmé par la nouvelle directrice de la danse, Aurélie Dupont, tout à fait convaincant,  de surcroît annoncé dans de superbes distributions. Ne boudez pas votre plaisir,  le spectacle reste le cadeau idéal pour les fêtes de fin d’année, à voir et revoir sans modération à l’Opéra Bastille encore les 14, 16, 17, 19, 21, 22, 24, 25, 26, 28, 29, 30 et 31 décembre 2016.

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APPROFONDIR : LIRE aussi notre compte rendu critique de la production du Lac des Cygnes présentée en février 2015 à l’Opéra Bastille avec Mathias Heymann (déjà et Ludmila Pagliero… cliquez ici

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