vendredi 19 avril 2024

Compte rendu critique, récital. DIJON, le 19 janv 2018 : Fandango, par Justin Taylor, clavecin

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TAYLOR Justin clavecin par classiquenews compte rendu critique concertCompte rendu critique, récital. DIJON, le 19 janv 2018 : Fandango, par Justin Taylor, clavecin. Avant une semaine de studio pour enregistrer avec Deutsche Grammophon, Justin Taylor passe un grand week-end à Dijon. Un récital, tout d’abord, intitulé « Fandango », puis un concert avec ses amis du Taylor Consort, dimanche. On ne présente plus cette étoile montante du clavecin, dont chacune des apparitions suscite des louanges unanimes. L’obscurité totale de la salle focalise toute l’attention sur l’interprète et son instrument. Celui-ci est une copie – réalisée par Anthony Sidey – d’Andreas Rückers, de 1636, ravalé par Hemsch en 1763, que Justin Taylor décrira avec amour à la demande d’une auditrice. Il est vrai que les choix qu’opèrent les interprètes sont intimement liés à leur jeu, à l’égal de celui des organistes. L’instrument, très équilibré, rond, sonne également dans tous les registres, clair sans jamais être métallique.

My Taylor is rich !

Le fandango est la marque de fabrique des musiques espagnoles du XVIIIe S. Né en Andalousie ou en Castille, vite exporté dans toute l’Amérique latine, il est interdit par l’évêque de Buenos-Aires en 1743 : son caractère lascif ne peut être inspiré que par  le diable. On le retrouve dans les tonadillas et zarzuelas : il est évidemment très populaire.  Boccherini, Gluck, Mozart (fin du 3ème acte des Nozze di Figaro) et même Beethoven dans ses esquisses illustrent ce fandango. La puissance politique de l’Espagne, son influence par toute l’Europe, se traduiront dans une large part de la littérature pour clavecin, Domenico Scarlatti en étant le premier illustrateur. Ce sont trois de ses Essercizi qui ouvriront et concluront le programme, avant le Fandango d’Antonio Soler. D’emblée on ne peut être que séduit par son jeu, à propos duquel nous reviendrons. Une surprise non moins grande vient de leur organisation : si Justin Taylor sait que Scarlatti les a composées par paires (que respecte l’édition de Kirkpatrick), lui permettant d’user des contrastes, des oppositions entre elles, le claveciniste s’en affranchit systématiquement, pour des successions parfois discutables (l’ut mineur de la K.115 après le ré majeur de la K.492, par exemple).
Justin Taylor s’est manifestement imprégné  de tout ce qui fait l’Espagne musicale de cet âge d’or. « Autant que nous le sachions, Scarlatti n’a jamais joué de la guitare, mais il est sûr qu’aucun autre compositeur n’a été à ce point envoûté par cet instrument » écrit Ralph Kirkpatrick. La première sonate de Scarlatti, brève et bien connue (K.32), prend ici une dimension insoupçonnée, car c’est bien dans les mouvements les plus dépouillés, techniquement à la portée de chacun, que l’on mesure les qualités d’un interprète. Le contraste est accusé avec la suivante, virtuose, d’une construction élaborée. Sans doute parce que c’est un des sommets de l’art de Scarlatti, Justin Taylor a programmé en suite l’ut mineur (K.115), qui démontre toutes les qualités techniques mises en œuvre. Cependant, par-delà, c’est l’expression qui ressort du jeu : la fluidité, un legato comme on en a entendu rarement au clavecin, un relief, les acciacature aussi, confèrent une vie extraordinaire à cette page somptueuse.
Passer de Scarlatti à Couperin n’est pas aisé. L’allemande, qui ouvre le troisième ordre du premier livre, est prise très soutenue, mélancolique, voire tourmentée, mais dépourvue d’une certaine gravité majestueuse. Heureusement, les pièces suivantes seront indéniablement du goût le plus français (même l’Espagnolète), avec la grâce, la tendresse, la clarté qui sied.
thumbnail_Justin TaylorLes variations de Sweelinck sont souvent réduites à un exercice un peu scolaire de virtuosité, les procédés successifs mis en œuvre relevant d’un certain formalisme. Gustav Leonhard était un des rares à leur donner une vie authentique, sensible. Ce soir, Justin Taylor nous en offre  une version magistrale : pour la première fois, l’auditeur perçoit derrière chacune, en filigrane, les danses de la Renaissance qui ont nourri l’inspiration du compositeur. Cela respire, s’anime en permanence, le musicien joue avec la musique. La séduction des variations sur les Folies d’Espagne de d’Anglebert joue toujours pleinement, et le public est conquis. La Cazamajor, qui ferme le premier livre de Duphly, est espagnole au point que l’on pourrait la croire signée de Scarlatti. Suivent trois autres sonates de ce dernier, deux enflammées, endiablées, encadrant  un andante dépouillé (K.213), d’une grande douceur, rêveur voire plaintif. L’ample Fandango de Soler, avec  son ostinato harmonique obsédant, couronne la soirée : enfiévré à souhait, il suffit de fermer les yeux pour voir les guitares, les castagnettes et reconnaître les claquements de talons.
Si la maîtrise est l’équilibre subtil entre la rigueur, l’exigence et la liberté – qui, seule, peut donner vie à la musique – Justin Taylor est un authentique maître du clavecin. Jeu souple, fluide, brillant, virtuose, dont la vie rythmique et les couleurs sont les plus riches. Le public est unanime dans son enthousiasme. Les extraordinaires talents, la gentillesse, la simplicité et la générosité de Justin Taylor lui vaudront un nombre considérable de rappels et autant de nouvelles pièces.

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Récital, critique, compte rendu. Fandango, par Justin Taylor, clavecin. Œuvres de Scarlatti, Couperin, Sweelinck, d’Anglebert, Duphly, Soler. Dijon, Auditorium, le 19 janvier 2018

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