vendredi 29 mars 2024

Compte-rendu, critique, opéra. LYON, le 11 oct 2018. BOITO, Mefistofele, Orchestre de l’opéra de Lyon, Daniele Rustioni.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

Compte rendu critique, opéra. LYON, le 11 octobre 2018. Arrigo BOITO, Mefistofele, Orchestre de l’opéra de Lyon, Daniele Rustioni. L’ouverture de la saison lyonnaise tient une nouvelle fois ses promesses en programmant le rare Mefistofele de Boito, lu par Àlex Ollé et ses complices catalans de la Fura dels Baus. Un casting exceptionnel mais inégal, un dispositif scénique prodigieux, qui tente de faire oublier certaines longueurs de l’intrigue, ont fait de cette soirée d’ouverture un grand moment de théâtre.

 

 

Mefisto-fêlé

 

 

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C’est une œuvre difficilement classable, où l’on sent l’influence de Wagner, mais aussi de Puccini et de Ponchielli : un opéra hybride dans la forme musicale comme dans sa structure (une adaptation philosofico-fantastique du Faust de Goethe, première et deuxième partie), qui a sans doute dérouté le public de la Scala lors de la première du 5 mars 1868, ce qui obligea le compositeur (également auteur du livret) à réviser de fond en comble sa partition. La première version comportait en effet deux prologues, cinq actes et un intermède symphonique ; une version plus réduite en un prologue, quatre actes et un épilogue, fut créée à Bologne en 1875 et connut un immense succès. La version originale est malheureusement perdue (seul reste le livret) et c’est cette seconde version que l’on joue, même si les versions scéniques se font rares (on a pu en voir une production cet été à Orange), alors que l’on commémore cette année le centenaire de la disparition de Boito.
Sur scène, le prologue montre une sorte de salle de classe, austère, à l’esthétique froide (les tables sont alignées comme dans une usine d’Europe de l’Est) où apparaissent les anges célestes et où se retrouvera Marguerite après sa mort. Le premier acte s’ouvre sur un dispositif simple, mais ingénieux, un plateau à deux niveaux qui monte et descend, symbolisant le Ciel (présent dans le prologue) et les Enfers (le souterrain aux brumes vaporeuses laissant apparaître Méphisto, dans une atmosphère sans âge, est proprement saisissant). Le dispositif devient progressivement plus complexe sous la forme d’un gigantesque échafaudage, qui, transformé tour à tour en montagne, caverne ou prison, est un régal pour les yeux. On a apprécié la scène du « théâtre dans le théâtre » (Hélène de Troie apparaît dans un costume à plumes, comme dans un gigantesque cabaret) et la danse populaire transformée en scène de débauche (magnifiques costumes de Lluc Castells); les lumières jaunes et rose donnent une étrange et fascinante impression de cinéma d’avant-guerre colorisé. Plus généralement, les lumières d’Urs Schönebaum, hélas parfois aveuglantes, contribuent à renforcer l’atmosphère diabolique de l’intrigue.

Le casting réuni pour cette nouvelle production remplit presque idéalement ses attentes. Dans le rôle-titre, la basse canadienne John Releya, habitué du personnage (dans les versions de Berlioz et Gounod) impressionne par sa puissance caverneuse et sa présence massive (superbe air « Son lo spirto che nega »). Le Faust de Paul Groves déçoit au début par une faible projection, des problèmes de justesse ; l’élocution s’améliore dans le 3e acte (très beau duo avec Marguerite : « Lontano, lontano… »). Dans le rôle de la victime de Méphisto (et dans celui d’Elena) Evgenia Muraveva, est touchante et convaincante (dans son magnifique air, au début du 3e acte, « L’altra notte in fondo al mare », et parvient à être parfaitement crédible dans les deux rôles pourtant bien différents. Dans les rôles secondaires de Martha et Pantalis, Agatha Schmidt allie une belle présence sonore et physique, de même que Peter Kirk, dans ceux de Wagner et Nereo, parfois plus à l’aise que Paul Groves, avec une clarté vocale que la brièveté du rôle ne permet pas de mettre suffisamment en valeur.
Dans la fosse, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, la direction de Daniele Rustioni fait encore des merveilles : d’une précision diabolique, d’une sonorité exceptionnelle, dès l’ouverture, qui donne l’impression d’une sève sortant de l’écorce des arbres, elle fait entendre tous les pupitres (les vents notamment, qui percent sous la masse orchestrale) ; une mention spéciale pour les Chœurs et la Maîtrise de l’Opéra, admirablement préparés par Karine Locatelli, qui contribuent à leur juste mesure à la réussite de l’ensemble.

 
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Compte-rendu. Lyon, Opéra de Lyon, Arrigo Boito, Mefistofele, 11 octobre 2018.  John Relyea (Mefistofele), Paul Groves (Faust), Evgenia (Margherita/Elena), Agata Schmidt (Martha/Pantalis), Peter Kirk (Wagner/Nereo), Àlex Ollé (mise en scène), Alfons Flores (décors), Lluc Cartells (costumes), Urs Schönebaum (lumières), Johannes Knecht (Chef des chœurs), Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction).

 
 

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