vendredi 19 avril 2024

COMPTE-RENDU, concert. TOURS, Opéra, le 6 oct 2018. Concert DEBUSSY. Orch Symph. Région Cenre-Val de Loire / Tours. R. Houlihan.

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HOULIHAN-RObert-maestro-chef-d-orchestre-concert-tours-review-compte-rendu-classiquenews-CLIC-de-decembre-Robert-Houlihan1-1COMPTE-RENDU, concert. TOURS, Grand Théâtre / Opéra, le 6 octobre 2018. DEBUSSY : Symphonie Pelléas, Printemps… Orch Symphonique Région Cenre-Val de Loire / Tours. Robert Houlihan, direction. Il fallait être à Tours pour apprécier l’un des concerts Debussy parmi les mieux conçus et les plus passionnants à suivre en cette année commémorative du Centenaire Debussy 2018. Un cadeau d’autant plus apprécié que ce Centenaire est fêté à l’échelle nationale de façon bien timide… pour ne pas dire timorée de la part des programmateurs ; preuve que dans l’esprit et le cœur des mélomanes comme de la part du milieu des professionnels de la musique, Debussy rebute encore : trop difficile, trop raffiné ? C’est pourtant l’égal de Picasso : Debussy réalise en musique ce que Pablo a accompli en peinture : une révolution esthétique. Il a fait entrer la France et Paris, dans la modernité la plus insolente dès les années 1890… Et plus encore avec son ouvrage lyrique Pelléas et Mélisande créé en 1902. Debussy est un monstre sacré, créateur, novateur,… Tours honore cet héritage et souligne ce statut à part, grâce à un programme d’une exceptionnelle pertinence.

debussy jeuneLe chef et directeur de l’Opéra, Benjamin Pionnier, invite (pour la déjà troisième fois) le chef irlandais Robert Houlihan (2è Prix du Concours des chefs d’orchestre de Besançon 1981 dont le président du jury était l’inflexible Pierre Dervaux) ; Robert Houlihan peut à présent poursuivre un travail de fond avec les instrumentistes de l’Orchestre tourangeau ; le maestro irlandais qui parle très bien notre langue, confirme une règle désormais établie; ce sont souvent les anglo-saxons qui viennent en France nous (ré)enseigner l’amour des œuvres françaises. C’est vrai de Berlioz par un certain Colin Davis hier (aujourd’hui John Eliot Gardner) ; c’est encore vrai de Debussy, ce soir, dont la suite extraite de l’opéra Pelléas et Mélisande, (et conçue fort bien en « Symphonie » par Marius Constant), ainsi que « Printemps » (que jouait Boulez à Cleveland) sont à Tours révélés dans toute leur parure chromatique et dans leur force expressive …imprévue. Robert Houlihan nous offre un bain de jouissance symphonique dont il a désormais le secret avec ce goût et cette sincérité pour les œuvres françaises qu’il doit à son professeur George Hurst lequel a recueilli l’héritage de Pierre Monteux.
On ne peut guère rêver meilleure transmission, compréhension naturelle, accomplissement,… Les faits sont là et la direction qui se réalise ici parle pour l’évidente affinité du maestro avec les œuvres choisies. C’est que le chef réussit la gageure inscrite  dans l’écriture debussyste même : son activité instrumentale en surface, qui fait jaillir des timbres et des couleurs inédites en vagues et nimbes sonores éblouissants ; sa profonde cohésion architecturée qui soustend toute la mer d’accents et de nuances… entre détail et flux organique, microactivité et vue d’ensemble, la direction ne s’égare jamais ; tendue, vive, parfois véhémente, elle suit une trajectoire qu’il est passionnant d’écouter et de repérer pendant le concert.

 

 

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DÉTAIL ET ARCHITECTURE… C’est une réussite majeure à laquelle nous assistons ; Robert Houlihan veillant au relief de chaque timbre, à l’équilibre des pupitres, à la sonorité de l’ensemble malgré une grande disparité de couleurs comme d’effets, … autant de caractères, et défauts qui à l’époque même de Debussy, et ici pour « Printemps » (écrit en 1887), avait suscité le désaveu du jury destinataire de cet « envoi de Rome ». Incompris, maladroit, cet impressionnisme musical est-il si fumeux ou brumeux que cela ? C’est tout l’inverse en définitive car Robert Houlihan détaille, scrute chaque alliance de timbres avec un soin ciselé, une écoute magicienne qui sait aussi rétablir l’unité profonde et souterraine des séquences.

C’est donc vrai de « Printemps », œuvre de jeunesse que Henry Büsser a réorchestré (en 1908 ; créé en 1913) mais sans le métier du compositeur ; il en découle des disparités dans les annotations et indications agogiques souvent contradictoires. Voila pourquoi de grands chefs ont veillé particulièrement à résoudre les problèmes d’équilibre et de clarté des timbres, en abordant la partition. Robert Houlihan convainc de bout en bout, à travers les deux parties, par une sensibilité littéralement picturale, amoureux du détail comme grand architecte d’un développement parfaitement lisible.

 

 

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ÉLOGE DE LA COULEUR ET DU TIMBRE… C’est vrai aussi de la « Symphonie Pelléas » (conçue par Marus Constant en 1983) dont malgré le découpage arbitraire des extraits de l’opéra et l’assemblage parfois illogique qui en découle, la force expressive, l’élan structurel, la profondeur des climats intérieurs surgissent sous la baguette d’un maestro dramaturge et poète. Robert Houlihan insuffle à l’orchestre une quiétude enveloppante, des vapeurs sombres et mystérieuses ; une sauvagerie qui soutient l’apparent scintillement de surface. Plutôt que d’impressionnisme, il serait plus exact de parler d’illusionnisme car jamais la violence de Debussy qui sait mieux exprimer en définitive la jalousie maladive de Golaud que la passion juvénile de Pelléas pour Mélisande, ne s’est mieux dévoilée dans un concert. Le dramatisme brûlant que repère le chef et qu’il transmet à l’orchestre est percutant.
On aura vainement chercher les arabesques mélodiques si suaves et innocentes de Pelléas, auquel Debussy dans l’opéra réserve les plus beaux airs… en particulier le duo amoureux, enivré de la scène de la Tour (acte III); où le frère de Golaud s’emmêle, ardent, tendu par son désir, dans les longs cheveux de Mélisande ; elles ont moins inspiré Marius Constant dans son découpage que les stridences acides et douloureuses du Golaud, fou de rage et jaloux à en crever qui même torture Mélisande en l’empoigant par les cheveux (acte IV : « Absalon! En avant! en arrière! Jusqu’à terre! jusqu’à terre »). D’ailleurs l’unique opéra de Claude ne devrait-il pas s’appeler Golaud plutôt que Pelléas et Mélisande ? Constant architecture sa première partie en choisissant ce tableau orchestralement somptueux, suggestif et barbare pour le finale.

L’épaisseur et la matière du mystère se diffusent ensuite dans la mort de Mélisande quand contrairement à ce qui a précédé, c’est l’ascension de son âme, dans l’ombre qui s’efface peu à peu, au son des cloches qui sonnent hors scène, comme un glas… la tension concentre alors tout l’orchestre, dans une sonorité de plus en plus diaphane. Le MYSTÈRE jaillit. Et la musique qui exprime tout ce que les mots ne peuvent dire, atteint alors un moment de grâce d’une indicible intensité. Dans le silence. En quelques secondes, on passe de l’absolu solitude à l’évanescence la plus éthérée. Quel sens de la suggestion ; quel chef tout simplement. S’y révèlent, dans des effets de brumes harmoniques à la fois épaisses et aériennes, le souvenir évidemment de Wagner, que Debussy quoiqu’on en dise, a particulièrement assimilé et digéré : Tristan, Parsifal s’accordent à la matière symphonique de Pelléas. Passionnante expérience.

 

 

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PERLES COMPLÉMENTAIRES… Pertinent, le programme rappelle que c’est Fauré qui mit en musique le premier (avant Debussy), la pièce de théâtre Pelléas et Mélisande de Maeterlinck (1893), dès 1898… Ainsi jouée en ouverture du concert, sa suite Pelléas est abordée avec une profonde connaissance de l’écriture fauréenne, c’est à dire, avec infiniment d’élégance ; jamais maniérée ni décorative ; mais naturelle, coulante, fluide ; plus organique qu’objective… mais aussi âpre voire rugueuse et puissante avec accents et coups de semonce, comme dans la dernière séquence, celle de la mort de Mélisande, l’épisode le plus prenant ce soir après l’élégiaque et suave Sicilienne et sa mélodie déployée à la flûte. Du sombre et du tellurique il y en a bien, chez Fauré, dans l’appel des trompettes de plus en plus sourd et présent ; répétitif, obsédant. Et là encore la sensibilité du chef déploie une vision à la fois claire, transparente, précise, subtilement grave, onctueusement intérieure. Ce grave là avait été joué pour les funérailles de Fauré. C’est dire.

Complet et jouant la carte du sensualisme le plus révolutionnaire, le programme affichait aussi Prélude à l’après-midi d’un faune (1894), dont le développement s’émancipe du poème de Mallarmé, comme de son prétexte chorégraphique (dansé et chorégraphié par Nijinksi) pour atteindre à un sommet de musique pure, abstraite, plus sensorielle que cérébrale. Et sans la narration chorégraphique, libéré de sa contrainte scénique. Quoique. Le chef s’alanguit, souligne le poids naturel du silence, et dans le silence, il sait détacher puis déployer le fil continu qui s’écoule entre chaque séquence instrumentale, et qui rétablit la cohésion secrètement organique de la pièce. En son milieu , comme un emblème, l’unisson des 3 flûtes, au thème clé qui semble délivrer au centre de la pièce, le sens caché de tout l’édifice. On s’incline devant une telle intelligence interprétative. Superbe soirée, et de loin, le concert le plus captivant de ce centenaire Debussy 2018. De nouveaux rvs à l’Opéra de Tours sont prévus, la saison prochaine, sous la conduite de Robert Houlihan : à suivre évidemment.

 

 
 

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COMPTE-RENDU, concert. TOURS, Grand Théâtre / Opéra, le 6 octobre 2018. DEBUSSY : Symphonie Pelléas, Printemps… Orch Symphonique Région Cenre-Val de Loire / Tours. Robert Houlihan, direction. Illustrations : Robert Houlihan à la tête de l’Orch Symph Région Centre-Val de Loire / Tours © Opéra de Tours 2018

 

Programme

Gabriel FAURÉ
Pelléas et Mélisande, suite Op.80

Claude DEBUSSY
Printemps, Suite symphonique

Prélude à l’après-midi d’un faune

Claude DEBUSSY | Marius CONSTANT
Pelléas et Mélisande – Symphonie (1983)

Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours
Direction musicale : Robert Houlihan

 

 

 

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LIRE aussi TOURS, compte rendu critique, concert. Grand Théâtre, le 11 décembre 2016. Concert Shakespeare : Sullivan, Berlioz, Tchaikovski, Nicolaï, Sibelius, Dvorak. Orch Symphonique Région Centre Val de Loire / Tours. Robert Houlihan, direction.

 

 

https://www.classiquenews.com/tours-compte-rendu-critique-concert-grand-theatre-le-11-decembre-2016-concert-shakespeare-sullivan-berlioz-tchaikovski-nicolai-sibelius-dvorak-orch-symphonique-region-centre-val-de-loire/

 
 

 

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