Compte-rendu, concert. Festival Pablo Casals de Prades, Abbaye Saint-Michel de Cuxa, les 12 et 13 août 2019. Œuvres de Schubert, Beethoven, Debussy, Ravel, Bruch, Glinka, Casals… « Rêves en liberté », c’est le thème choisi cette année par Michel Lethiec pour cette 69ème édition du Festival Pablo Casals. Fondé en 1950 par l’illustre violoncelliste catalan, la manifestation occitane fêtera donc son 70ème anniversaire l’été prochain, ce qui devrait nous valoir une belle affiche, même si l’excellence musicale est au rendez-vous à chaque nouvelle édition. Comme à sa bonne habitude, l’heureux et fantasque directeur débute chacune des soirées par un avant-propos dont il a le secret, mêlant érudition, didactisme et franche rigolade, en véritable boute-en-train qu’il est. Les deux concerts de clôture des 12 et 13 août, sis dans l’Abbaye St Michel de Cuxa, ne font pas exception, et les deux invités de marque que sont Mathieu Chédid (le 12) et Benoît Hamon (le 13) semblent avoir également apprécié la faconde joyeuse de Michel Lethiec.
Le premier concert, annonce ce dernier, est intitulé « Jeux d’eau », et de fait, tous les morceaux exécutés ce soir seront lié à l’élément vital. Il débute ainsi avec le quatrième mouvement du Quintette avec piano du brestois Jean Cras, le célèbre marin-compositeur, défendu ici par le non moins fameux Shanghaï Quartet et le pianiste français Yves Henry : ensemble, ils obtiennent un mélange idéal de moelleux et de finesse, un rien suranné, comme dans un songe, qui fait tout le prix de cette pièce attachante. C’est seul que le pianiste aborde ensuite le morceau « Reflets dans l’eau » (extrait du livre 1 d’Images) de Claude Debussy, qu’il excelle à restituer dans un décor naturel, et l’on se laisse ainsi porter par un souffle, qu’inspirent des phrasés à la fois soignés et spontanés. Il poursuit avec la célèbre « Barque sur l’océan » (extrait de Miroirs) du rival Maurice Ravel, et frappe par la puissance de ses lignes de basses, comme si l’embarcation était ballotée dans une houle tumultueuse et dévastatrice. C’est par une version rare du « Prélude à l’après-midi d’un faune » (de Debussy) que se termine la première partie, une mouture réalisée pour onze instruments par Benno Sachs, un élève d’Arnold Schœnberg qui répondait là à la demande de la société d’exécutions musicales privées fondée en 1918 par le même Schœnberg. Si la flûte ondoyante de Patrick Gallois ne manque ni de charme ni de sensualité, l’habillage instrumental – avec un piano, un alto, deux violons, une contrebasse et quelques vents – ne restitue cependant, à nos yeux, qu’imparfaitement toute la complexité et la richesse de l’œuvre originale. Après l’entracte, le roboratif Quintette pour piano et cordes en La majeur op. 114 D.667 (dit « La truite ») de Franz Schubert réunit Florian Uhlig au piano, Boris Garlitsky au violon, Yuval Gotlivovich à l’alto, Emil Rovner au violoncelle et Théotime Voisin à la contrebasse (un jeune instrumentiste français qui vient d’être nommé contrebasse solo au mythique Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam !). Ce Quintette pour piano et cordes est certainement l’œuvre la plus populaire de Schubert : elle lui a été commandée par le violoncelliste Sylvestre Paumgartner qui suggéra au compositeur d’y insérer la musique du lied La Truite écrit quelques années plus tôt. C’est un ouvrage gai, vivant et mélodieux qui reflète une époque qui paraît être la plus heureuse vécue par le compositeur, et on y sent en effet une joie de vivre et un optimisme plein d’allant. La lecture qu’en offre ici les compères réunis par Lethiec est à la fois brillante, enjouée, et généreuse, les cinq interprètes se complétant magnifiquement dans une unité exemplaire. Chaque mouvement, chaque motif, chaque thème est restitué avec efficience, émotion, esprit et tendresse. Le bonheur et la joie de faire de la musique ensemble se lit sur les visages des cinq complices et amis qui n’ont pas de mal à faire vibrer une audience captivée, qui leur fait une ovation amplement méritée après le dernier accord.
Le lendemain, toujours dans le formidable écrin que constitue l’Abbaye Saint Michel de Cuxa, c’est à nouveau le Shanghaï Quartett qui a l’honneur de débuter la soirée (intitulée « Rêves »), avec cette fois le quatuor à cordes N°8 en mi mineur op. 59 n°2 (1806) de Ludwig van Beethoven. A l’image de la veille, la formation chinoise renouvelle ce mélange de sensibilité et de tranchant qui est sa marque de fabrique, osant une fougue bienvenue en maints endroits de la partition, surtout incarnée par l’excellent premier violon qu’est Weigang Li. Remarquables de précision, les quatre interprètes soignent aussi fortement les transitions, relançant sans cesse leurs discours. Place ensuite à la jeunesse, et il revenait au Lauréat (en l’occurrence une Lauréate…) de l’Académie (lors d’une audition qui s’est tenue le 10 août) de montrer tout son talent. La jeune violoncelliste californienne Sarah Gandhour s’attaque ainsi au fameux Kol Nidrei de Max Bruch, cette imploration à Dieu qui est une douce et solennelle mélodie, souvent entendue lors de l’office de Yom Kippour (Grand Pardon). Séduit par ce thème, bien que de confession protestante, Bruch s’inspira de cette supplication afin d’écrire une magnifique pièce concertante plus proche du style de Brahms que de l’esprit religieux original. Sous l’archet de l’américaine, elle devient un véritable baume pour les oreilles de l’assistance, et l’on est fortement et durablement surpris par la maturité tant technique qu’émotionnelle dont est déjà capable cette toute jeune instrumentiste. En seconde partie, ce sont des airs célèbres d’opéras arrangés pour musique de chambre qui sont donnés à entendre, tels que des extraits de West Side Story (« Maria », « Tonight », « America ») et le génial Divertissement sur des thèmes de La Somnambule de Bellini pour piano et sextuor à cordes qu’a composé le russe Mikhail Glinka. Ce morceau est servi ici par un de ces ensembles dont Prades a le secret, où s’illustrent notamment le piano de Yves Henry et le violoncelle de Torleif Thédeeen. Pour clôturer la soirée en même temps que le festival, c’est le traditionnel « Chant des oiseaux » (1941) de Pablo Casals qui a été retenu, et qui est interprété ici par l’Ensemble de violoncelle de l’Académie de Musique du Festival. Le français Romain Cazal les dirige et le violoncelle solo est le jeune catalan Joan Rochet Pinol, à qui a été confié le fameux Archet pour la paix dont nous avions parlé dans ces mêmes colonnes lors de la dernière édition du festival (lire notre compte rendu PRADES, concert Verdi, Olivero des 6 et 7 août 2018). Ce Cant dels ocells (en version originale) est, comme on le sait, l’adaptation d’une mélodie populaire catalane qui symbolise l’aspiration d’un peuple à la liberté. Avec toute l’intensité requise, le jeune homme fait fi des redoutables harmoniques, et s’approprie avec naturel et un grand talent cette pièce, qui est un incontournable à Prades… où elle a acquis comme valeur de symbole !
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Compte-rendu, concert. Festival Pablo Casals de Prades, Abbaye Saint-Michel de Cuxa, les 12 & 13 août 2019. Œuvres de Schubert, Beethoven, Debussy, Ravel, Bruch, Glinka, Casals… Illustrations : © photos Michel Sebert.