Compte rendu, ballet. Paris. Palais Garnier, le 24 mars 2016. Ratmansky, Robbins, Balanchine, Peck, chorégraphes. Mathias Heymann, Ludmila Pagliero, Vincent Chaillet, Daniel Stokes… Ballet de l’Opéra de Paris. D. Scarlatti, F. Chopin, I. Stravinsky, P. Glass, musiques. Elena Bonnay, Vessela Pelovska, Jean-Yves Sébillotte, piano. Karin Ato, violon. Soirée Made in U.S au Palais Garnier ! 4 ballets, dont 3 entrées au répertoire à l’affiche ce soir de l’Opéra de Paris ! Au chorégraphe vedette Alexei Ratmansky, se joignent Balanchine, Robbins et le jeune Justin Peck. S’il n’y avait pas ce dernier, la soirée aurait pu également s’appeler « From Russia with love », tellement la perspective néoclassique présentée est d’origine russe. Une soirée inégale mais dont la conclusion est tout à fait méritoire et enthousiasmante !
Frayeurs et bonheurs des néoclassiques
Celui qui paraîtrait être le chouchou de la danse classique, Alexei Ratmansky, ouvre la soirée avec l’entrée au répertoire de son ballet néoclassique (musique de Domenico Scarlatti) : « Seven Sonatas ». Si nous étions de ceux à ne pas avoir détesté son Psyché, nous avons un avis différent pour cet opus. 3 couples de danseurs habillés en blanc post-romantique, tout moulant, tout élégance, s’attaquent à une danse néoclassique qui a été en l’occurrence pas du tout néo dans la facture, et pas très classique dans l’exécution. Quelle perplexité de voir l’abysse qui sépare les danseurs masculins Audric Bezard, Florian Magnenet et Marc Moreau… Surtout les trous dans la mémoire des deux premiers par rapport au dernier, le Sujet qui se rappelle de toute la chorégraphie et pas les Premiers Danseurs, l’étonnement ! Attention, à part les problèmes de synchronisation, il y a du beau dans cette pièce, et si nous prenons les couples séparément, il y a des belles choses… Florian Magnenet a une ligne bellissime, Alice Renavand a du caractère ; Laura Hecquet, de la prestance… Mais combien paraissent-ils disparates et peu complices ! Surtout, Alexei Ratmansky présente une chorégraphie qui réduit la musique de Scarlatti au divertissement dépourvu d’intérêt et de profondeur, pourtant riche en prétention. Une incompréhension qui est de surcroît évidente et rapidement lassante. Mais au moins la danse est charmante, plus ou moins.
Heureusement le couple d’Etoiles composé par Mathias Heymann et Ludmila Pagliero dans « Other danses » de Robbins, fait remonter l’enthousiasme. La chorégraphie sur la musique de Chopin est d’une musicalité incroyable, tout comme l’interprétation des danseurs, dont le partenariat doit être l’un des plus réussis à l’heure actuelle à l’Opéra de Paris. Elle, technicienne de réputation se montre très libre et naturelle ; lui est non seulement un solide partenaire mais fait preuve de virtuosité insolente dans ses sauts impressionnants, et d’une véritable attention à la technique avec son travail du bas du corps. Ils sont poétiques, coquins voire un petit peu folkloriques et c’est pour le plus grand plaisir de l’auditoire. Le plaisir ne devra pas durer longtemps.
Après l’entracte vient l’entrée au répertoire d’un autre Balanchine « Duo Concertant » sur la superbe musique pastorale de Stravinsky (Duo concertant pour Violon et Piano, 1931), interprété par Laura Hecquet et Hugo Marchand. Il y en a qui pensent que le ballet est l’un des plus beaux pas de deux du chorégraphe russe, père de la danse néoclassique aux Etats-Unis ; pour nous, il s’agît d’un Balanchine pas très inspiré. Tout y est pour faire plaisir cette nuit, la musique est superbe, les danseurs dansent bien ; elle, avec une certaine délicatesse qui contraste avec l’aspect technique important du ballet ; et lui est tout beau et tout grand, malgré l’aspect quelque peu ingrat et utilitaire de la plupart des rôles pour homme conçus par Balanchine. Nous sommes mitigés comme pour Ratmansky, bien que moins surpris.
JUSTIN PECK, la révélation… Mais le véritable choc esthétique, dû surtout à une belle découverte inattendue, est venu à la fin de la courte soirée, avec les débuts à l’Opéra de Paris du jeune danseur et chorégraphe américain Justin Peck, pour l’entrée au repertoire de son ballet « In Creases ». Si une histoire au programme expliquant un jeu-de-mot tient plus ou moins la route (In Creases devrait faire aussi référence à une crise quelconque…), le ballet en soi est une très belle découverte ! 4 danseuses et 4 danseurs (dont le retour sur scène du Premier Danseur Vincent Chaillet), sur la musique délicieusement répétitive de Philip Glass (deux mouvements de son opus « Four mouvements for two pianos »), enchaînant une série de mouvements abstraits et quelque peu géométriques dont l’entrain et l’énergie captivent l’audience et installent une cohérence narrative là où il n’y a pas de narration. La fluidité est impeccable et constante au cours des 12 minutes de l’œuvre. Nous avons bien aimé Valentine Colasante, à la fois radieuse et imposante, tout comme les performances sans défaut ou presque de Vincent Chaillet et Daniel Stokes, mais aussi celle d’Alexandre Gasse, et surtout celle du Sujet Marc Moreau avec un certain magnétisme et ces sauts et tours insolents. In creases est une fabuleuse et très fraîche cerise sur un beau gateau (quoi que plutôt sec) venu d’Outre-Atlantique. Une soirée montrant les bonheurs et préoccupations de la danse néoclassique aujourd’hui, et 3 entrées au repertoire au passage ! Une occasion bel et bien spéciale à voir au Palais Garnier à Paris encore les 29 et 31 mars, ainsi que les 2, 4 et 5 avril 2016.