Fairy féerique
La musique retenue par Emmanuelle Haïm n’en conserve que mieux sa force langoureuse, ses vertiges lyriques dont le sublime convoque le meilleur Purcell. Train des saisons (hymnes au printemps, à l’été, à l’hiver… cette dernière saison inspire d’ailleurs un super air pour baryton-basse), dénuement des amants déboussolés, magie illusoire de la forêt enchantée où errent les pauvres coeurs… tout est magnifiquement réalisé grâce aussi à la performance des comédiens danseurs et des chanteurs.
Intimité, langueur
Le travail se focalise sur l’intimité du sentiment… En préambule aux airs et à la danse, la poésie amoureuse par extraits est déclamée en murmures suggestifs: s’y engouffrent la déraison et la tempête du dieu Amour. Ici, rationalité et science n’ont plus court. Cupidon archer est une instance masquée; ses yeux bandés qui ne voient pas, sont aveugles car le désir et l’élan amoureux ne sont guère rationnels: souvent le coeur se trompe et s’illusionne; il ne s’appuie en rien sur ce que voient ses yeux…
Il en résulte un spectacle où l’étrange (bestiaire convoqué par les masques et les costumes du metteur en scène belge Wouter van Looy), le fantastique et l’érotisme sous-jacent (déplacement fluide des corps de la compagnie Vivian Cruz) opèrent un charme tenace. C’est cependant moins dans l’enchaînement des danseurs (au style chorégraphique sans guère d’originalité) que par l’engagement des jeunes vocalistes que se réalise l’attrait principal du spectacle.
Dans la fosse, l’éclatante et scintillante Emmanuelle Haïm (qui dirige tout en jouant au clavecin) et son Concert d’Astrée, -en effectifs réduits-, compose le plus brillant et le plus savoureux des continuos baroques. En privilégiant constamment l’éloquence sur la puissance, les instrumentistes expriment tous les vertiges du coeur… prières langoureuses, chants du sommeil, extase solitaire, errance aveugle… Chef et musiciens portent avec rebond et langueur le chant de la jeune troupe de chanteurs qui frappent par leur rayonnante et juvénile santé.
Réussite visuelle et vocale, indéniable pour cette relecture inventive de The Fairy Queen du génial Purcell qui rappelons-le souffle en 2009, ses 350 ans (il est né en septembre 1659). Qu’une telle production tourne en Ile-de-France est un apport indéniable: loin des scènes parisiennes et des métropoles au public guindé, où l’élitisme règne, avec pour lot son arrogance dépréciative et critique, la magie du spectacle sur la scène du théâtre Jean Arp de Clamart s’offre avec délices et détente. Il faut absolument favoriser de telles rencontres où dans la réalité des territoires, le spectacle vivant innovant, défricheur (la valeur de la pluridisciplinarité défendue désormais par la Ministre de la Culture est à ce prix), trouve ses publics véritables.
(After) The Fairy Queen. Tournée 2009: 17 dates en France (Besançon, Dijon, Valenciennes, Arras, Villacoublay), en Belgique (Gand) et aux Pays-Bas (Amsterdam, Utrecht, Maastricht).
Clamart (92). Théâtre Jean Arp, samedi 7 février 2009. Henry Purcell (1659-1695): The Fairy Queen, 1692. Solistes et orchestre du Concert d’Astrée. Emmanuelle Haïm, direction. Wouter van Looy, mise en scène. Vivian Cruz, chorégraphie.
Illustrations: Production (After) The Fairy Queen 2008