CD, opéra, événement. SAINT-SAËNS: Le timbre d’argent (Roth, 2 cd P. Bru Zane, 2017). Perle lyrique du Romantisme français : premier opéra de Camille Saint-Saëns, écrit en 1864-65, Le Timbre d’argent renaît ainsi par le disque et mérite la timbale d’or. Tout le mérite en revient au chef et à son orchestre sur timbres d’époque : François-Xavier Roth et ses « Siècles ». Venu tard à l’opéra, Camille compose la même année, Samson et Dalila, son plus grand succès encore actuel, et Le Timbre d’argent, totalement oublié depuis 1914. Entre romantisme et fantastique, l’action relève de Faust et de Pygmalion à l’époque du wagnérisme triomphant. Pourtant Saint-Saëns réinvente l’opéra romantique français avec une verve et un imaginaire inédit, qui se moque des conventions et apporte une alternative exemplaire aux contraintes du temps. Le compositeur use de collages, multiplie les clichés décalés, en orfèvre érudit.
Peintre sans le sou, Conrad est amoureux de la femme qu’il a peinte : une danseuse qui l’obsède ; il est sauvé grâce à l’entremise d’un médecin qui lui apporte une sonnette enchantée (le timbre d’argent) : celle ci lui apporte richesse et fortune, et résoud ses problèmes. Mais à chaque tintement sollicité, un proche meurt… Cette providence vaut-elle les morts qu’elle provoque ? Ne serait-ce pas un tour diabolique ? Conrad comme Hofmann chez Offenbach, ne serait-il pas la proie d’un enchantement maléfique où amour rime avec mort ?
Entre rêve et cauchemar, illusion et délire, le drame profite d’un traitement orchestral flamboyant (superbe ouverture développée), imaginatif et hautement dramatique qui souligne le génie de Saint-Saëns à l’opéra. Comme toujours les pseudos puristes cibleront la mosaïque mal unifiée, la disparité des assemblages qui asocient chanson Belle Epoque et pastiches néo opératiques. Mais l’intelligence de Saint-Saëns se dévoile justement dans cette audace protéiforme. Un pied de nez aux usages qui ont asséché le genre lyrique.
L’orchestre saisit la singularité sombre et poétique d’une partition qui s’inscrit idéalement, jalon désormais essentiel entre le Faust de Gounod (1859) et les prochains Contes d’Hoffmann d’Offenbach (1881). L’éclectisme dramatique de Saint-Saëns recycle maintes influences et produit du neuf et de l’inédit. L’engagement du chœur, la caractérisation des chanteurs emportés par l’acuité expressive du chef, qui sait exploiter la richesse des timbres historiques de son orchestre… font ici merveille. Voici avec Ascanio, récemment révélé par le disque aussi (LIRE notre critique d’ASCANIO, 1890 / Cd » CLIC de CLASSIQUENEWS « , oct 2018, 3 cd B records / Tourniaire), un pur chef d’oeuvre de l’opéra romantique français, enfin révélé. Aux côtés de Masenet, la carrure de Saint-Saëns ressurgit enfin. CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2020.
SAINT-SAËNS: Le timbre d’argent / Opéra en quatre, livret de Jules Barbier et Michel Carré. Composé en 1864, créé au Théâtre-Lyrique le 23 février 1877 – version complète de 1914
Conrad : Edgaras Montvidas
Hélène : Hélène Guilmette
Spiridion : Tassis Christoyannis
Bénédict : Yu Shao
Rosa : Jodie Devos
Chœur Accentus / Les Siècles / François-Xavier Roth, direction.
LIRE aussi notre critique CD ASCANIO de Camille Saint-Saëns, 1890 par Guillaume Tourniaire – coffret opéra CLIC de CLASSIQUENEWS d’oct 2018