samedi 20 avril 2024

CD. Monteverdi : Vespri solenni per la Festa di San Marco (Alessandrini, 2013)

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monteverdi-alessandrini-festa-san-marco-vespri-solenni-cd-naiveMonteverdi à Venise. L’activité du maître de chapelle de San Marco est intense : en témoigne ses livres de musique publiés alors au sein de la Sérénissime : la Selva morale e spirituale (1640), comme son recueil posthume Missa e Psalmi de 1650. Chacun des deux cycles de partitions témoigne des avancées techniques et stylistiques accomplies par les effectifs dirigés par leur directeur, qui alors à Venise, en génie de l’opéra, livre ses plus grands chefs d’œuvre lyriques (I’Incoronazione di Poppea puis Il ritorno d’Ulysse in patria, deux ouvrages créés au début des années 1640). Renouvellement du choeur, enrichissement des effectifs instrumentaux, mais aussi, surtout, esprit audacieux et pensée expérimentale (en liaison aussi avec la publication de son Livre VIII de madrigaux, en 1638 où l’opéra miniature Il Combattimento di Tancredi e Clorinda développe le style nouveau, expressif, fulgurant : «  concitato ») façonnent un nouveau style éclectique, expressif, voire théâtral à l’église : Monteverdi joue des contrastes entre passages en stile osservato et nouveau stile concertato : une alternance flamboyante d’effets formels caractérisés, s’appuyant sur une exceptionnelle diversité de mise en forme (chœur, solistes, instruments), rappelant également en cela l’inventivité inédite des Vêpres de la Vierge, recueil dédié au pape Paul V (car Monteverdi alors viré par son patron mantouan cherchait en 1610, un emploi au Vatican : le Pape ne souhaita même pas le rencontrer !).

A Venise en août 1613, Monteverdi bénéficie d’une liberté qui inspire son génie créateur, marquant définitivement l’écriture musicale pour la Sérénissime. L’exaltation de Dieu s’y exprime dans la richesse et la splendeur des effectifs et de l’écriture.

Le rituel liturgique ou paraliturgique se fait exaltation collective en une nouvelle dramatisation des épisodes. Sur les traces de son prédécesseur Giovanni Gabrieli, qui savait déjà jouer des ensembles de chanteurs (polychoralité florissante désormais emblématique de l’esthétique marcienne) et instrumentistes (violes et violons) différemment réparties sous les coupoles multiples de San Marco, et y dialoguant avec les trombones et cornets, Monteverdi exacerbe et enrichit encore le spectre de la musique concertante et du déploiement spatial des effectifs.

Trop sage Vespro à San Marco. Alessandrini veille aux équilibres des pupitres (cornets, trombones, chanteurs, groupes de cordes) avec cet hédonisme mesuré désormais caractéristique de son geste interprétatif. C’est plus intellectuel et poliment élégant que du Biondi (plus sanguin parfois brouillon mais autrement plus habité), moins fulgurant que Savall et parfois étroit comparé à Christie ; et certainement moins fiévreux enivrant que l’excellente version du Vespro par Marco Mencoboni (révélé à Ambronay en 2010 et pour nous la version de référence du Monteverdi exalté, collectif, ivre…).

Le chef italien qui s’appuie sur l’expérience vénitienne des fêtes et célébrations où doit percer le souffle collectif, manque singulièrement de passion. Est-ce parce que les tempi sont souvent ralentis, les lignes vocales, suspendues, droites et sans guère d’expressivité… que tout nous paraît si sage et cadré, comme contraint et petit ? Dans les épisodes alanguis et solennels, la sensibilité du chef fonctionne bien. Dans les pièces ambitieuses, ou clairement contrastées, les vertiges font défaut.
Certes, l’enregistrement n’a pas eu lieu à San Marco mais dans le lieu qui sert désormais d’espace suggestif de substitution : la Cathédrale Santa Barbara de Mantoue, ample vaisseau dont les tribunes étagées et disparates permettent d’évoquer l’éclatement des effectifs dans l’espace et ce jeu des réponses et dialogues spatialisées voulu par Monteverdi. Pas sûr cependant que le compositeur s’il était vivant, eût adhèré à l’idée d’utiliser un lieu définitivement marqué par l’humiliation et la soumission à un patron dictateur et mauvais payeur… Toute la musique vénitienne de Monteverdi doit respirer en un souffle de libération, de transcendance recouvrée de façon inopinée et donc miraculeuse quand il est nommé à Venise !
Pour ce composite montéverdien (Alessandrini sélectionne dans les recueils vénitiens le matériel de sa célébration), les interprètes manquent spécifiquement de caractérisation dramatique ; étrangers à une progression dramatique naturelle de la célébration qui se veut aussi festive que théâtrale, les musiciens finissent malheureusement par lasser : stupeur, surprise, donc expressivité dense et ardente, dont parle Alessadrini dans sa présentation fort documentée de son projet artistique étroitement associé à la nature du site architectural et acoustique ainsi investi, font défaut ici : ils n’appartiennent pas aux gènes naturels du chef. Trop retenu, trop mécanique, trop étroit voire raide. Que tout cela manque de respiration, d’élans, de vertiges. Tout n’est cependant pas à regretter : le souci du beau son est évident. Reste la passion qui est au coeur de la musique monteverdienne, si palpitante dans l’architecture même des contrastes… elle est loin de couler de source ici. Pour éprouver l’ardeur expérimentale et révolutionnaire d’un Monteverdi visionnaire et totalement libéré, se reporter de toute urgence sur la version des Vêpres de la Vierge par Marco Mencoboni dont CLASSIQUENEWS en son temps avait souligné la totalité convaincante.

Monteverdi : Vespri solenni per la Festa di San Marco. Concerto Itaiano. Rinaldo Alessandrini, direction. 1 cd Naïve OP30557. Enregistré en décembre 2013 à Mantoue.

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