Maurizio Pollini, piano. Beethoven : intégrale des Sonates pour piano (8 cd Deutsche Grammophon). Comme le métier de toute une vie, Maurizio Pollini est un cavalier seul qui aborde depuis longtemps en terre aimée, reliefs et traversées toujours inspirant, les Sonates pour piano de Beethoven. C’est l’aboutissement de 40 années d’un travail continu… Travail sur la forme, l’architecture, l’énergie que le grand œuvre dans sa totalité absorbante ne manque pas de susciter d’un regard globalisant, c’est aussi selon les périodes une réflexion sur les moyens de l’interprète pour exprimer le souffle visionnaire et l’extrême modernité de Beethoven. 32 Sonates, 23 Sonates publiées entre 1793 et 1805, à Vienne (puisqu’il quitte Bonn en 1792), composent ici un périple d’une grandeur inventive inégalée, le testament d’un homme bouillonnant et fraternel, intransigeant mais humain et généreux qui fit du clavier, l’instrument expérimental par excellence.
Aujourd’hui septuagénaire (né en 1942), lauréat du Concours Chopin de Varsovie 1960, l’élève de Benedetti-Michelangeli voit ainsi par le disque, la boucle beethovénienne se refermer : terme d’un cycle commencé avec ses débuts et poursuivi jusqu’à présent tout au long d’une expérience de récitals unanimement salués : Maurizio Pollini convainc depuis toujours par son allant, cette allure qui s’appuie sur une très solide technicité. Strict contemporain d’une Argerich (les deux furent proches du maestro Claudio Abbado), Pollini sait varier ses engagements interprétatifs évitant cet intellectualisme froid et distancié qu’on lui attribue à torts : il demeure un artiste sensible, dont les crépitements vont idéalement à Beethoven, y compris pour celui mûr de la fin (opus 111 : lire ci après). Du reste, alors qu’il en a toutes les qualités, Pollini à la différence de Martha Argerich n’est pas un pianiste chambriste : il cultive seul l’art musical devant son clavier. Seul pour la musique.
Le pianiste dirigea Rossini comme chef : l’inventivité et la facétie, comme Mozart et comme Haydn ; voilà qui lui permet de colorer le dernier Beethoven, le plus impressionnant, le plus complexe et difficile aussi (ses fugues qui semblent retrouver la concision inspirée de JS Bach). Mais toujours Pollini y glisse le flux de la vie, le nerf tendu par un indéfectible espoir fraternel. Voilà qui renforce la haute valeur de son intégrale Beethoven : un legs réalisé depuis les années 1970 (juin 1975 pour les opus 109 et 110 du cd 8, c’est à dire les derniers opus) et jusqu’à nos jours (2013 et 2014 pour les opus 31 et 49) avec, -le risque assumé, un goût bénéfique pour les prises live : au fini esthétique de l’interprète maîtrisé, se joint l’intensité de la prise sur le vif et en public.
Un cycle d’enregistrements qui couvre 40 années de travail et de recherche
Beethoven régénéré
Des premières Sonates où Ludwig prolonge l’héritage des Viennois Haydn et Mozart mais aussi les leçons de Clementi, et Dussek… comme dans l’invention et la tension révolutionnaire des trois premières Sonates (1793-1795) où Beethoven frappe par son esprit déterminé, querelleur aussi (il ne manquait pas de déconcerter voire surprendre ses auditeurs), Pollini captive par la clarté et la construction de son jeu. La fougue virile beethovénienne s’entend naturellement dans le jeu parfois âpre d’un Pollini très engagé : la fureur de Beethoven, sa sanguinité conquérante profite à l’interprète capable de prendre tous les risques, mesurés cependant à l’aulne de l’élégance.
La profondeur aussi (largo e mesto en ré mineur de l’Opus 10, -1796-1798), annonçant l’Adagio sostenuto de l’Opus 106…) ; le pathos schillérien de la Grande Sonate pathétique de 1799 (Opus 13), l’immersion bouleversante et tendre des Sonates opus 14 ; l’inventivité formelle des Sonates opus 26 et 27… sont approchés avec une franchise de ton et une suractivité perlée qui captive. Pollini en fait autant de jalons essentiels d’un laboratoire musical et esthétique, au début du siècle (1800-1081) ; ruptures ou avancées, les opus 30 et surtout 31 marquent par leur radicalité nouvelle à l’époque du testament d’Heiligenstadt, combinant cohérence de la structure et frénésie irrépressible. Tout cela fulmine et s’intensifie sous les doigts d’un artiste complet, fougueux autant que rêveur.
A l’époque de l’Héroïque (1803) et de Fidelio I (1804), l’opus 53 inscrit sa marche réformatrice dans la Waldstein (1803), l’Appassionata (opus 57 de 1803 aussi), sonates symphoniques marquantes par leur ampleur de vue, leur conscience élargie que porte toujours une volonté indéfectible vers l’avenir. Pollini éclaire la pensée continue d’un compositeur en perpétuelle recherche : un Picasso avant l’heure. A l’impétuosité de la flamme inspirée répond un nouvel éventail de trouvailles qui dépasse la stricte matérialité et la mécanique un peu sèche du clavier : l’élévation et le souffle désormais époustouflants dialoguent avec des plongées introspectives d’une profondeur renouvelée Acrobate et poète, conscient des risques encourus, Pollini est capable de vertigineux contrastes.
En 1816, l’opus 101 contemporain des démarches de Beethoven pour récupérer la garde de son neveu Karl (le fils de Caspar mort en 1815), plonge dans d’autres eaux émotionnelles particulièrement intenses et exacerbées : l’écriture fuguée, sévère, dialogue avec une intimité plus allusive et libre. Même stricte construction dans l’opus 106 (1817) où les proportions colossales voire cosmiques sont nuancées par des élans suspendus (Adagio sostenuto) d’une intériorité qui confine désormais à la lumière et l’éblouissement final ; c’est assurément le cas des opus 109 (septembre 1820) et des suivants : en enfant de la Révolution, qui eut sa période napoléonienne (pour mieux renier ensuite le faux libérateur), Beethoven est bien l’héritier des Lumières, fraternel et conquérant : l’arche tendue vers l’avenir de l’opus 111 (deux seuls mouvements récapitulatifs comme des énigmes, janvier 1822), autorise toutes les conjectures et réalise le rêve ardent de Ludwig, dépasser le présent, permettre le futur. Comme une transe progressive, le parcours pianistique tempête et expérimente dans la trépidation de rythmes constamment changeants ; de nouveaux aigus éthérés atteignent l’insondable aux portes de l’ineffable, dans une dématérialité nouvelle dont l’abstraction aérienne et aquatique, constellés de murmures harmoniquement miroitants, annonce déjà Debussy. C’est l’un des apports de cette intégrale discographique, accomplissements captivants ici réalisés à Vienne en 1977.
Le jeu du pianiste suit le souffle, accompagne chaque respiration de chaque phrase, joue l’expressivité comme un dernier soubresaut : une vitalité ardente, un feu intact que colore à peine l’ivresse éperdue échevelée des épisodes plus retenus (écoutez les dernières tendresses agiles, presque insouciantes de l’opus 49, enregistrées à Munich en juin 2013 et 2014). Pollini / Beethoven, l’équation positive ? Porté par une connivence heureuse, l’interprète sert comme peu l’art de son maître. Le jeu respecte à la lettre l’activité et l’embrasement de chaque partition. La vivacité électrise, l’élégance caresse, la vision convainc. Totalement. Coffret événement. Logiquement CLIC de classiquenews de janvier 2015.
Beethoven (1770 – 1827) : intégrale des Sonate spour piano. Complete piano sonatas. Maurizio Pollini, piano. 8 cd Deutsche Grammophon 0289 479 4120 0.
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