lundi 28 avril 2025

CD. Mantova : Livres 4,5,6 de madrigaux de Monteverdi (Paul Agnew, Les Arts Florissants)

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MANTOVA-mantoue-cd-livres-4-5-6-Paul-agnew-Les-Arts-Florissants-cd-400CD. Mantova : Livres 4,5,6 de madrigaux de Monteverdi (Paul Agnew, Les Arts Florissants). La lecture révèle un souci linguistique et surtout un travail spécifique sur l’expression de la langueur monteverdienne. Comparée aux versions d’autres interprètes britanniques,  plus anciens (dont Anthony Rooley depuis démodée à laquelle participait déjà Paul agnew… il y a plus de 20 ans) et identifiables par des voix blanches souvent en manque d’expressivité comme de vertiges langoureux,  comparée aussi à la version référentielle de l’italien Alessandrini,  Les Arts Florissants accomplissent une voie médiane qui prend le meilleur des options entre suprême articulation et lisibilité (souci majeur défendu avec la grâce que l’on sait par leur fondateur William Christie) et abandon sensuel,  les deux esthétiques étant d’autant plus complémentaires que Paul Agnew ajoute sa propre signature : un sens de l’écoute rare,  qui découle en 2014 évidemment de son expérience de chanteur soliste : le ténor vedette qui a réussi ses prises de rôles événement à la suite du légendaire Jélyotte entre autres chez Rameau, convainc totalement par la combinaison jubilatoire des voix retenues,  leur cohésion millimétrée,  le chambrisme suave et articulé qui met toujours la force incantatoire et le plus souvent blessée du verbe en avant.  Notre seule réserve si l’on prend pour principe strict de comparer deux choses égales,  reste la notion de florilège et de sélection. S’il ne s’agit pas hélas d’une intégrale puisqu’elle s’appuie sur une collection de madrigaux choisis d’un Livre l’autre,  le fini,  le raffinement de l’esthétique, le soin du geste vocal hissent la réalisation madrigalesque qui en découle au nombre des meilleures propositions discographiques. On attend en toute logique les deux recueils suivants avec attention : volumes 1 (Cremona, ce dernier annoncé en février 2015) puis volume 3 (Venezia). Ce premier opuscule Mantova (volume 2) plonge au coeur du laboratoire montéverdien à Mantoue, quand pour le Duc Vincent de Gonzague, Claudio plus réformateur et audacieux que jamais, « osait » inventer avec son Orfeo de 1607, l’opéra baroque.

Suivons pas à pas la progression des interprètes à travers les jalons de ce premier volume conçu comme un florilège. Le premier titre du Livre IV (1603) : Sfogava con le stelle d’après Rinuccini) fait valoir fusion, clarté, précision d’une sonorité totalement fondue des voix dont l’écoute et la flexibilité frappante offrent une expressivité nette et suave.
Si ch’io vorrei morire est sur un mode davantage expressif : le madrigal apporte une saveur complémentaire au souci d’intelligibilité, celle du drame qui sous tend chaque madrigal. Toutes les pièces s’imposent comme autant de miniatures passionnées.

Le sublime Anima dolorosa d’après Guarini creuse encore repli et gouffres de l’âme, ces vertiges introspectifs marqués par la langueur, désormais inscrits dans la quête de chaque pièce : amoureuse certes mais surtout ardente et insatisfaite.

Piagn’ e sospira inspiré du Tasse saisit par son itinéraire tortueux, montée harmonique dissonante qui heurta tant le conservatisme religieux d’un Artusi : c’est là aussi une plongée sans issue dans une introspection suspendue, irrésolue, un gouffre de ressentiments inéluctables, tragiques et même graves (préfiguration de La Sestina à venir…).

 

 

Livres IV, V, VI de madrigaux de Monteverdi (1603, 1605, 1614)

Accomplissement madrigalesque par Paul Agnew

CLIC_macaron_20dec13Puis à partir de Cruda Amarilli : les 5 perles sélectionnées du Livre 5 (toutes sur les poèmes de Battista Guarini) expriment davantage encore cette même plénitude et surtout langueur (que des victimes de l’amour). A croire que Monteverdi est plus sensible aux plaintes et déplorations qu’à la sublimation exaltée et conquérante du sentiment amoureux… Dans ce voyage intérieur, Era l’anima mia semble explorer le continent silencieux de la psyché : les interprètes rendent tangible cette étrangeté,  – intériorité secrète et énigmatique qui naît du silence et meurt avec lui en un murmure dont Paul Agnew et ses complices, savent ciseler la profonde langueur comme un poison qui envoûte et hypnotise (c’est du Wagner avant l’heure : l’amour est un poison, et la passion, un envoûtement…).

agnew-paul-800Et quand surgit de façon inédite, les instruments (T’amo Mia vita) : en un essor nouveau, complice, les cordes inféodées aux méandres du texte souverain semblent plus encore libérer la voix dans son exploration imprévue. Les Arts Florissants, guides inspirés, expriment dans le Livre V de 1605, la découverte par Monteverdi d’un monde ignoré jusque là : celui de l’individualité ardente, désirante, consciente et nouvellement conquérante de sa propre psyché. Mais c’est une conquête partagée désormais par un cercle d’âmes épanouies, exaltées comme l’indique le dernier madrigal E cosi a poco a poco… accomplissement en effectif renforcé …. où se distingue le duo amoureux / langoureux qui contraste avec l’ensemble des solistes, chœur d’humanités, là aussi très finement  individualisées. Le Livre VI (édité en 1614) marque évidemment une avancée dans la maturation émotionnelle et l’approfondissement du sentiment. C’est même, après la création mantouane d’Orfeo, une nouvelle construction littéraire dont témoignent désormais d’amples sections : d’abord le Lamento d’Arianna et la Sestina, composés chacun en plusieurs parties auxquelles le souffle printanier et d’une innocence juvénile de Zefiro torna fait contraste : il tempère l’envoûtement déploratif et même funèbre des deux pièces ambitieuses. Ici les voix magistralement ciselées s’alanguissent mais sans s’exaspérer ni sombrer dans l’extase impuissante ou démunie : aucune ombre ni tension mais l’expression franche d’âmes sensibles et sincères.

L’intérêt du disque va croissant : le Lamento d Arianna (seul trace de l’opéra du même nom) marque bien l’essor impuissant face à la mort et cet expressionnisme hallucinant, allusif, totalement saisissant : plainte d’une indicible langueur – à la fois épurée et profonde-, qui organise toutes les voix au diapason de celle qui fut abandonnée par Thésee. Sommet de la prière lugubre, la Sestina frappe par la fusion des voix, la justesse des intonations, l’équilibre articulé de chaque prière des amants réunis, démunis, au sépulcre de l’Aimée. La pudeur et la complicité expressive dont font preuve les chanteurs réunis autour de Paul Agnew (dont l’excellente basse Cyril Costanzo, récent lauréat du jardin des Voix, 2013) éclairent toute la vibration d’une partition traversée par l’affliction la plus mortelle.

Enfin, en guise de conclusion, retour au Livre V avec l’ambitieux Questi vaghi avec instruments (22ème opus sélectionné ans ce florilège)… d’une tendresse partagée, celle d’une douceur et effusion nouvelles : il fallait bien cet apaisement final pour se remettre des gouffres et visions qui précèdent.
Ce chant pastoral évoque l’entente miraculeuse d’un choeur en célébration porté par une certitude indéfectible: le contraste avec la brûlure d’amour des premiers madrigaux de ce florilège Mantova,  est frappant.  Même dans la détente Monteverdi reste un orfèvre du verbe auquel le collectif de solistes réuni par Paul Agnew sait apporter suavité,  souplesse,  richesse des nuances. .. une prodigieuse palette d’affects qui parle autant au coeur qu’à l’esprit.  La révolution baroque est en marche et l’auteur d’Orfeo a déjà réalisé l’impensable en 1607, avec la création de l’opéra ni plus ni moins. Les madrigaux témoignent de cette maturation miraculeuse ; ils recueillent toutes ces avancées comme un laboratoire. Autant dire que ce premier volume est totalement convaincant ; d’un métier précis et investi. Voilà qui annonce un cycle madrigalesque passionnant : les deux prochains volumes Cremona (annoncé en février 2015) puis Venezia éclaireront encore l’apport très abouti, orfévré de Paul Agnew. L’intégrale reprend du service au concert : les Livres VII et VIII sont interprétés par les Arts Florissants en 2015 à travers une tournée internationale.

Des madrigaux, un texte littéraire… Fidèle à sa ligne éditoriale, le label Les Arts Florissants édite en complément aux madrigaux de Monteverdi, une courte nouvelle inédite, intitulée La Sybille et la fresque des illusions par René de Ceccatty, visiblement inspiré par La Chambre des époux du peintre Mantegna (fresque réalisée au palais ducal de Mantoue). La valeur du verbe commandé et mis en parallèle avec le florilège madrigalesque n’en prend que plus de valeur : il y gagne même un sens redoublé, confronté au drame vocal conçu par Claudio. A lire.

VOIR notre reportage vidéo Mantova, Madrigali, volume 2 : Livres IV,V,VI de madrigaux de Monteverdi par Les Arts Florissants, Paul Agnew.

 

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