vendredi 4 octobre 2024

CD. Guillaume Connesson : Concerto pour violoncelle, Lucifer (Spinosi, 2013)

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Connesson-Lucifer-cd-deutsche-grammophon-400CD. Guillaume Connesson : Concerto pour violoncelle, Lucifer (Spinosi, 2013). Tonale comme Escaich ou Hersant, la musique du Français Guillaume Connesson (né en 1970) nous touche par sa fabuleuse activité dramatique que colore une véritable sensibilité orchestrale : sa rythmique trépidante (évidemment proche des répétitifs américains dont surtout Reich ou Glass), sa précision et son énergie engageant toutes les ressources de l’orchestre s’affirment en particulier ici, dans deux œuvres à l’instrumentation choisie et changeante, surtout immédiatement accessibles, affirmant une narration et une imagination proche de l’opéra : son Concerto pour violoncelle et surtout le ballet Lucifer qui allie une ivresse lyrique éperdue à un sentiment de désespérance maudite (certainement liée à la figure descendante de l’archange déchu, porteur de lumière, finalement voué aux ténèbres). La richesse de l’écriture exprime cette tragédie intime qui surgit malgré l’élan des danses explicites, le mouvement souvent irrépressible des épisodes mis en musique…  Le quadra offre dans ce nouvel album édité par Deutsche Grammophon, une fabuleuse traversée orchestrale que de plus récentes inflexions nuancent quelque peu : son goût de la voix et de l’opéra récent (inéluctable aboutissement), une nouvelle ivresse plus introspective (cantate Athanor de 2003), affinent encore un parcours musical des plus convaincants. 

pernoo jerome violoncelle.png_srz_225_180_75_22_0.50_1.20_0.00_png_srzComposé en 2008, sur une proposition du soliste Jérôme Pernoo (créateur de la partition à Paris), le Concerto pour violoncelle et orchestre est une sorte de théâtre instrumental où l’instrument brille comme une véritable « voix humaine ».  Toujours fougueux, le chef Spinosi comprend les reliefs d’une écriture très dramatique, soucieuse aussi de couleurs et d’équilibre entre soliste et ensemble. En formation chambriste (format Mozart enrichi de percus), les instrumentistes déploient un tapis clair et transparent sur lequel le violoncelle affirme son tempérament lyrique et virtuose. Toujours inspiré par des images fortes, Connesson avoue avoir été frappé pour le début de son Concerto (premier mouvement « Granitique »), par le spectacle grandiose et minéral des blocs de glaces de l’Antarctique, montagnes posées sur le bleu de la mer… A la force de l’image primitive répond une musique toute en contrastes calibrés. Entre tension d’abord, puis détente et lumière, la partition se déroule en 5 mouvements enchainés dont la diversité formelle et les moyens techniques requis, ont été résolus par le violoncelliste créateur. Un échange productif entre Pernoo et Connesson dont profitent indiscutablement l’efficacité de l’œuvre, sa densité structurelle, son unité.

Contrastant avec l’âpreté des deux premiers épisodes (granitique et vif), le scherzo liquide prépare à la séquence « paradisiaque » qui évoque le jardin des Hespérides, sorte de passé perdu, temps miraculeux, celui de l’enfance quand paraît l’orgue de verre… une immersion très réussie qui séduit immédiatement par son caractère vaporeux, suspendu, instrumentalement serti de trouvailles en combinaisons et assemblages de timbres très raffinés, immédiatement / efficacement évocatoires (bruits, murmures, seconds chants manifestant l’activité permanente de l’orchestre, écho compatissant à la plainte du violoncelle). Le soliste réalise la transe finale où explosent les tensions contenues, mouvement de libération qui s’élève progressivement vers la lumière.

Le ballet Lucifer : la chute de l’archange

CLIC D'OR macaron 200Créé à Pau le 24 juin 2011 par le Ballet de Biarritz et l’Orchestre de Pau Pays de Béarn, le ballet Lucifer met en musique le propre livret du compositeur avec toutes les ressources d’un orchestre symphonique auquel Connesson ajoute un synthétiseur. C’est un traitement libre et personnel de la figure luciférienne que le compositeur enrichit encore en y joignant celles de Prométhée et du Graal. Prométhéen, Lucifer dans l’Antiquité est le porteur de lumière, sa satanisation est plus tardive. Dévoré par le désir de puissance, il sait renoncer à l’amour et règne ainsi sur les enfers. L’oeuvre, fresque symphonique en 7 mouvements, récapitule les avatars de Lucifer causés par sa rencontre malheureuse avec l’humanité : par son amour impossible et interdit, il chute, devient fou, renonce à l’amour, s’abandonne à sa nature satanique et ténébreuse. Le ballet récapitule cette descente infernale. La partition dévoile le tempérament narratif et souvent poétique d’un Connesson coloriste, qui sur les traces de Roussel entre autres, est capable de motricité rythmique, d’une orchestration fouillée, en quête de jaillissement permanent.

Au début (premier épisode, le couronnement), Lucifer, superbe archange, est le souverain adoré, objet de toutes les attentions : il sera bientôt ceint de la couronne d’émeraude mais agité, pense à tout ce qu’il ne connaît pas en dehors des nuées…  suractivité, allégresse dyonisiaque, l’orchestre révèle la vraie nature de Lucifer, son indomptable curiosité, sa volonté non maîtrisée, son désir irréfléchi, et fatal. Suit tel un scherzo fantastique, la descente de Lucifer parmi les hommes (le voyage) où l’orchestre exprime le manteau immatériel et mouvant qui porte l’Archange merveilleux et lumineux… Avec l’épisode qui suit, et qui forme le centre du ballet, La Rencontre, Connesson atteint son meilleur, dévoilant une subtilité instrumentale irrésistible, témoignant de la nature humaine voire lascive du Lucifer envoûté par la plus belle femme terrestre : attraction, séduction, fusion charnelle et sensuelle de plus en plus explicite : le héros ne peut s’empêcher de succomber au désir que suscite la Femme sirène.

Plus dramatiques, le Procès du Lucifer séditieux, et surtout sa Chute sont de brefs tableaux expressionnistes tout autant saisissants. Lucifer est exilé dans l’Ailleurs dont l’évocation rejoint le long développement de la Rencontre (plus de 8mn), et exprime toutes les contradictions qui font pourtant l’identité profonde de Lucifer. Lande dénudée, l’espace lui renvoie sa solitude et son impuissance, son éternelle faute : la colère et la folie, la haine l’emportent alors, et dans une bacchanale grotesque, l’Archange déchu engendre son propre peuple de monstres qui l’acclame comme un nouveau souverain. Intérieure, mystérieuse, plus finement psychologique, l’écriture parvient à peindre la transformation maudite du porteur définitivement abîmé dans les ténèbres. Efficace, nuancée, la partition emporte par son énergie scintillante. Très belle révélation. Lucifer est de loin l’une des meilleures partitions de Guillaume Connesson. Logiquement CLIC de classiquenews de septembre 2014.

agenda, concert

pernoo jerome violoncelle.png_srz_225_180_75_22_0.50_1.20_0.00_png_srzJérôme Pernoo joue le Concerto pour violoncelle de Guillaume Connesson, le 18 septembre 2014 au Festival Les vacances de Monsieur Haydn (10ème édition, concert d’ouverture), La Roche Posay, Gymnase, 21h). 

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