CD, événement. Sonya Yoncheva, soprano : Paris mon amour (1 cd Sony classical). La pulpeuse et sensuelle soprano bulgare Sonya Yoncheva est née en 1981 et assure la trentaine rayonnante, une maturité vocale éblouissante dans ce premier récital discographique au programme choisi, riches en références féminines nuancées raffinées avec un clin d’œil au romantisme immortel inusable du Paris XIXème. Songez qu’ici, Massenet, Gounod, Offenbach éclaire cette magie lyrique parisienne dont les héroïnes depuis lors, légendaires : Sapho, Hérodiade et Thaïs, sans omettre la Chrysanthème de Messager (inédite et succulente), ou l’une des 100 Vierges de Lecocq… incarnent cet éternel féminin à l’opéra: tour à tour, séductrices, maudites, amoureuses, ténébreuses… que Puccini aussi et Verdi (Violetta Valéry parisienne incontournable évidemment) ont tenté d’immortaliser à leur compte. A ce jeu des facettes multiples d’un idéal féminin insaisissable mais inoubliable et irrépressible, répond le tempérament tout en finesse de la sensuelle et hyperféminine Yoncheva : un soprano lyrique et dramatique d’une tendresse éperdue souvent irrésistible.
Celle que l’on avait découvert dans des territoires baroques (n’a t elle pas été lauréate distinguée du Jardin des Voix de William Christie ?), entre autres dans le Couronnement de Poppée de Monteverdi où elle incarnait avec une féminité ardente et blessée la sublime sensualité de la souveraine enfin couronnée par Néron, ose ici de nouveaux champs, romantiques et parisiens, français et italiens. Premier prix d’Operalia en 2010, la jeune cantatrice fait actuellement une percée remarquée dans La Traviata sur les planches du Metropolitan Opera de New York en janvier 2015 (précisément les 14, 17, 21 et 24 janvier, réalisant ainsi son retour après sa maternité) ; elle vient d’être l’égérie d’une séance photo pour le magazine Vogue : assisterions-nous à l’éclosion d’une nouvelle star de l’opéra ? Assurément. Car en plus de sa plasticité rayonnante, la diva étonne par un chant d’une simplicité et d’une intelligence dramatique que seules les grandes avant elles savaient préserver : écoutez sa Violetta : incandescente parce que simple et pure. Sobre. D’une irrésistible tendresse, à la fois puissante et ciselée. L’interprète est époustouflante : technicienne et justement inspirée.
Nouvelle diva
Sonya Yoncheva : la grâce et l’intelligence
Certes l’orchestre sous la direction assez fade voire parfois épaisse de Frédéric Chaslin manque de subtilité comme de transparence : or d’Hérodiade à Anna de Le Villi, de Thaïs au Lecocq dévoilé, -nostalgie enivrée de Gabrielle des Cent Vierges…. les climats symphoniques sont d’une somptuosité atmosphérique et très suggestive. Heureusement le timbre fragile et clair à la fois (noblesse tragique de l’air Où suis je de Sapho, succédant au Se come voi piccina de La Villi, réellement enivré, enchanté) de la soprano bulgare captive par son intelligence dramatique, son économie, sa volonté d’en faire le moins pour exprimer le plus. Conception vocale et interprétative qui nous paraissent réussir mille fois mieux que nombre de ses consœurs, l’incarnation des héroïnes de La Belle Epoque.
Dans le chant tout en legato emperlé, soucieux aussi d’intelligibilité (sa formation avec les chefs baroques pèse ici de tout son poids) brille dans Sapho : travail sur la ligne d’un bel canto à la française, à la suspension bellinienne si opposée au sprachgesang wagnérien. Ô ma lyre immortelle se consume ainsi dans de sublimes couleurs vocales (y compris dans le bas medium), celle d’un prophétesse qui est avant tout une femme blessée, reniée; répudiée. Pour laquelle la mort est aussi un abandon croissant jusqu’à l’anéantissement dans la mer / tombeau. Eperdue et tendre, son Antonia (des Contes d’Hoffmann d’Offenbach où l’orchestre là encore en fait trop) : ensorcèle, s’épuise par sa constance qui est aussi embrasement fatal de la jeune femme… grâce à des aigus d’une rondeur angélique irrésistible. Sa Mimi sans affèteries saisit par sa précision, son évidence, sa simplicité et son naturel. On aime ce style économe jamais minaudant ; l’intelligence de l’interprète qui recherche avant tout par la voix, ses couleurs, sa connotations expressives (phrasés subtils), sa pureté d’émission, la juste expression poétique.
Sa chair trouble celle des femmes capables de transfiguration, offre ses aigus superbement couverts à Thaïs (confrontation antagoniste avec Athanaël) et précédemment à la tempête panique de Chimène, fille accablée et aussi amoureuse transie déjà vaincue face au beau Cid. Suggestive, sobre là encore, la soprano excelle dans l’expression ambivalente du cœur de la jeune femme. Aux déjà connus et très exigeants Massenet et Puccini, la diva ajoute l’aube solaire de Chrysanthème (Le jour sous le soleil… porté par le chant des cigales…) d’un Messager aussi inspiré que Puccini : aux aigus diamantins, prometteurs d’une aurore inespérée ; mais aussi l’air de Gabrielle des 100 Vierges de Lecocq : une valse nostalgique (évoquant un Paris vécu et é/perdu), référence à Gounod évidente… dont la sincérité de l’approche nous rappelle une certaine Netrebko. Rien de moins.
Ce récital discographique est une confirmation et une bouleversante révélation. Voici une grande diva sans démonstration ni effet artificiel dont l’intensité et la justesse des intentions, révélant une précieuse richesse agogique, suivent les pas des divines légendaires Freni, Cotrubus, Gheorghiu… Sonya Yoncheva confirme une sensibilité et une intelligence admirables. Une nouvelle diva est née. Talent à suivre.
Pour les fans, ou ceux qui ne le sont pas encore, visiter le site officiel de la soprano Soya Yoncheva
CD, événement. Sonya Yoncheva, soprano : Paris mon amour (1 cd Sony classical). Tracklisting :
Massenet – Hérodiade, Act I, Scene 1: « Celui dont la parole…Il est doux, il est bon »
Puccini – Le Villi, Act I: « Se come voi piccina io fossi »
Gounod – Sapho, Act III, No. 19: « Où suis-je?…O ma lyre immortelle »
Massenet – Le Cid, Act III, Tableau 5: « De cet affreux combat….Pleurez, pleurez, mes yeux! »
Offenbach – Les Contes d’Hoffmann, Act III, Scene 1: « Elle a fui, la torterelle »
Puccini – La Bohème, Act III: « Donde lieta usci »
Massenet – Thais, Act III, Tableau 3: « C’est toi, mon père »
Verdi – La Traviata, Act I, Scene 5: « È strano!.è strano!…Sempre libera »
Messager – Madame Chrysanthème, Act III, Scene 8: « Le jour sous le soleil béni »
Lecocq – Les Cent Vierges, Act III, No.10: « Je soupire et maudis le destin…O Paris, gai séjour de plaisir »