Après L’Empereur d’Atlantis de Viktor Ullman la saison passée, c’est l’Armide de Joseph Haydn que l’Arcal – la compagnie de théâtre lyrique et musical fondée par Christian Gangneron en 1983 (désormais dirigée par Catherine Kollen) – a retenu comme titre cette année. Étrennée en octobre dernier au Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines, c’est à l’Opéra de Reims que la production – signée Mariame Clément – continue sa tournée, avant Massy, Besançon ou encore Clermont-Ferrand. Armida, dans la production dramatique de Haydn, c’est un peu comme La Clemenza di Tito dans celle de Mozart : alors que toute son évolution montre une dramatisation progressive du buffa, un rôle croissant de l’orchestre et des ensembles vocaux plus développés, avec, notamment, de superbes finales, Armida est, comme La Clemenza di Tito, un retour aux conventions de l’opera seria : le bouffe n’y a aucune part, les récitatifs secs abondent. Est-ce la raison pour laquelle cet opéra, le dernier que Haydn ait écrit pour Esterhaza, en 1783 (ce qui le situe chronologiquement juste après Idomeneo et Die Entführung aus Serail) – et qui contient tant de pages sublimes qui ne le cèdent en rien aux grands opéras de Gluck et de Mozart – reste si ignoré ?
Pro et anti gays…
Pour cette histoire de croisés et d’ensorceleuse ensorcelée par l’amour, cent fois mise en musique, et qui remonte, au moins, à la Jérusalem délivrée du Tasse, Mariame Clément n’a pas choisi la reconstitution historique, mais décidé de transposer l’action de nos jours, en substituant aux guerres de religion (pourtant d’une brûlante et douloureuse actualité) le combat entre les « pro » et les « anti » Mariage pour tous. Armida est ici un homme, dont Rinaldo est tombé amoureux, au grand dam de ses compagnons d’armes et du Roi sarrasin Idreno, farouchement anti-gay. Si l’idée peut se défendre – même si on la trouve, à titre personnel, quelque peu réductrice -, on sera beaucoup plus circonspect sur la banalité et la laideur de la scénographie, qui entre en constante opposition avec la beauté de la partition.
Musicalement, Armida exige beaucoup des chanteurs. La jeune soprano française Chantal Santon, au timbre riche et expressif, a la présence dramatique, la flamme et les moyens vocaux d’Armida. Elle trouve en Juan Antonio Sanabria (Rinaldo) un partenaire à sa hauteur : timbre suave, aigus glorieux et virtuosité à l’avenant font de ce ténor canarien un talent à suivre. Tous d’eux sont entourés d’autres jeunes chanteurs remarquables, à commencer par Enguerrand de Hys (Ulbado), favorablement remarqué dernièrement (malgré sa courte apparition) dans l’Otello rossinien au TCE, et qui semble également promis à un bel avenir. De son côté, Dorothée Lorthiois (Zelmira) possède l’ampleur vocale exigée par sa partie (et une belle maîtrise de la ligne vocale), tandis que Laurent Deleuil (Idreno) se montre parfaitement convaincant dans le rôle du méchant de service.
Formation nouvelle (avec des musiciens essentiellement issus du Cercle de L’Harmonie) dirigée (dans les deux sens du terme) par le talentueux violoniste français Julien Chauvin, La Loge Olympique s’avère remarquable, la soirée durant, par la précision rythmique, l’articulation, le souci de la couleur : ils ont été les justes triomphateurs – avec l’équipe vocale, de cette résurrection d’Armida.
Compte-rendu, opéra. Reims. Opéra, le 16 janvier 2015. Haydn : Armida. Chantal Santon, Juan Antonio Sanabria, Enguerrand De Hys, Laurent Deleuil, Dorothée Lorthiois, Francisco Fernandez-Rueda. Mariame Clément, mise en scène. Julien Chauvin, direction.
Illustrations : © Enrico Bartolucci