CD événement, compte rendu critique. Beethoven : Missa Solemnis : Nikolaus Harnoncourt (2015, 1 cd Sony classical). La Missa Solemnis de Beethoven : L’adieu à la vie d’Harnoncourt. On connaît évidemment la référence de l’œuvre, monument discographique indépassable par sa fièvre, sa poésie, son souffle collectif comme ses incises individuelles: la Missa Solemnis de Karajan enregistrée en 1985 (là aussi véritable testament artistique du maître autrichien) qui reste le sommet de l’esthétique Karajan de l’enregistrement. Un autre immense chef qui nous a donc quitté après l’avoir livrée, Nikolaus Harnoncourt l’intrépide (né berlinois en 1929, décédé en mars 2016), nous offre sa propre vision de la Solemnis (dans cet album qui serait donc son dernier enregistrement chez Sony). Pour celui qui utilise les instruments d’époque pour non plus ressusciter les partitions du passé mais bien les électriser, le défi de la Solemnis, arche morale et spirituelle est un but toujours ciblé, un Graal. Or dès 1954, la fondation de son propre ensemble Concentus Musicus à Vienne indique désormais la voie de la résurrection musicale. Jouer dans la joie. Recréer par la rhétorique et l’éloquence servie, le mouvement de l’échange, l’expressivité mordante, titillante du dialogue… Non plus divertir, mais déranger le public et les interprètes, et les secouer même s’il le faut. La direction toute d’atténuation sidérante dans la résolution finale de cette Solemnis, au rebondissement conclusif digne d’un opéra, atteint un degré de cohérence et d’extrême fragilité à couper le souffle. Harnoncourt y invite le silence et le mystère, inscrivant la fine ciselure instrumentale et collective dans l’ombre. Le dernier accord en ce sens est inscrit dans le silence, comme une révérence depuis le début présente, enfin exprimée. L’effet relève du miracle.
Enregistrée live en juillet 2015, la Missa Solemnis comporte le dernier Harnoncourt à son sommet…
Testament spirituel de Nikolaus Harnoncourt
C’est ce que nous enseigne et diffuse ce dernier enregistrement dédié à Beethoven. Ainsi conclut Harnoncourt le défricheur visionnaire. Son irrespect tous azimut, sa détestation des postures, ont aiguisé un esprit expérimentateur, foncièrement, viscéralement libre dont CLASSIQUENEWS a mesuré par un CLIC de mai 2016, l’excellence poétique, dans les Symphonies de Beethoven (n°4 et n°5, CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2016 : lire notre critique complète des Symphonies de Beethoven par Nikolaus Harnoncourt) ; à croire qu’après Mozart, Harnoncourt au final n’a respiré que par le génie de Bonn après avoir approfondi comme peu, la gravité innocente de Wolfgang. On sait que Beethoven fut une source d’immense admiration et peut-être l’origine de sa vocation musicale, découvrant ce qu’en tirait Furtwängler : le feu de la vie, la source primordial du désir fraternel, la volonté humaniste. Le dernier Harnoncourt a rebours de bien des lectures molles et consensuelles nous apporte la preuve des bienfaits de l’audace, de la critique ; l’illumination qui naît de la révélation : le maestro sait le monde ; son défaitisme et son pessimisme en ont témoigné. Ils ont exprimé une expérience de la vie humaine : tout n’est qu’un vide criant, nourri par la bêtise et la barbarie ordinaire ; il n’y a que l’art qui puisse nous sortir de la pensée réaliste, hideuse, incontournable. On y retrouve le regard parfois exorbité du maître (nyctalope ?), d’une sincérité irrésistible. Une clairvoyance décuplée, déposée dans chacun de ses gestes, de ses phrases pour un orchestre miroir (révélateur de ses propres visions, terreurs, espoirs). On s’y délecte surtout de sa lecture féline et suave, éruptive, prête à toutes les (re)découvertes sur une partition dont le Maître ne cesse de révéler l’âpreté expressive, la justesse poétique, la profonde humanité.
Voici donc le testament artistique (et sacré) du Maître Harnoncourt, enregistré sur le vif lors du dernier festival Styriarte fondé par le chef à Graz (Autriche), en juillet 2015. On y retrouve le même pouvoir sidérant détecté dans ses dernières Symphonies de Beethoven (4 et 5), complément de la Solemnis, composant un dernier témoignage avant sa mort. Le souffle, la grandeur, une éloquence ciselée qui ralentit volontiers les tempi, laisse s’épanouir le sentiment collectif d’une pleine conscience, comme le relief des instruments anciens (flûte, cors, hautbois) attestent évidemment d’une réflexion sur la partition menée depuis des décennies. Abordée dès 1988, au moment de son premier Fidelio à Hambourg, la Solemnis est une cathédrale impressionnante dont le maestro restitue et soigne constamment l’esprit de clarté, et aussi la sérénité « impénétrable » (ce choeur fraternel semble nous renvoyer le miracle d’une humanité enfin réconciliée, plus irréelle que possible). Les séquences solistes et choeurs sont bouleversantes : cf l' »Amen » du finale de l’Et resurrexit ; traitées avec une tendresse intérieure nouvelle.
L’oeuvre écrite pour l’élévation d’un ascendant du chef lui-même, l’archiduc Rodolphe d’Autriche (un ancien élève de Beethoven) au titre d’Archevêque d’Olomouc, est conçue sur un long terme de 1817 à 1823. Sa grandeur n’écarte pas son profond et grave questionnement : la concentration recueillie des solistes (début du Sanctus); l’approfondissement spectaculaire et d’une majesté qui reste secrète dans le mystère d’une révélation silencieuse du Praeludium et du bouleversant Benedictus qui lui succède, traduisent cette humanisme d’un Beethoven qui parle au cœur, — instant de suspension ultime, où comme si à l’orchestre murmurant, caressant, il s’agissait des eaux qui se retirent pour découvrir / envisager un monde nouveau ; le compositeur / le chef exprime(nt) sa/leur plus touchante prière dans l’énoncé du violon solo (dialoguant avec les bois veloutés et suaves – basson, clarinette…, puis les solistes et le choeur) : prière pour une humanité libérée de ses entraves. Le quatuor vocal réunit par Harnoncourt est irrésistible (la basse et ses phrasés : Ruben Drole saisit) : voilà qui nous parle d’humanité, que d’humanité, en une effusion d’une sensibilité adoucie, rassérénée… à pleurer.
Ce testament de Nikolaus Harnoncourt est un événement, incontournable à écouter, mesurer, comprendre ; d’une vérité sincère qui est souvent le propre des ultimes témoignages des maestros en leur fin sublime et déclinante (LIRE ici l’enregistrement sur le vif de la Symphonie n°9 de Bruckner par Claudio abbado avec l’Orchestre du festival de Lucerne, captée en août 2013 quelques mois avant sa disparition, publié par DG en 2015, elle aussi gravure superlative couronnée par le CLIC de CLASSIQUENEWS). La profonde acuité des accents, l’équilibre, la transparence et la clarté, l’éloquence chambriste de cette lecture saisissent. Harnoncourt est un architecte qui construit une dramaturgie d’une cohérence absolue : la dernière séquence Dona nobis, imprécation énoncée par la basse et le choeur d’une atténuation grave, inspirée par le renoncement en une couleur wagnérienne- étend dans sa première phase, une langueur de sépulcre. Sans omettre l’unité recueillie, tendre et sereine du choeur et des solistes d’un bout à l’autre, le crépitement permanent du geste, la quête de vérité dans la sincérité (quel style et quelle intonation chez les solistes ainsi « accordés »), la concentration continue frappent et singularisent une lecture qui deviendra légendaire à n’en pas douter (finale porté par une espérance d’une sincérité retenue, pudique, franche). La vérité est beauté : elle naît du risque assumée, portée avec une grâce inouïe, sous la direction d’un chef qui donne tout.. puis s’enfonce dans le mystère. Bouleversant. CLIC de CLASSIQUENEWS de juin 2016.
CD événement, compte rendu critique : Beethoven, Missa Solemnis opus 123 (1823). Laura Aikin, Bernarda Fink, Johannes Chum, Ruben Noble. Arnold Schoenberg Chor, Concentus Musicus Wien. Nikolaus Harnoncourt, direction. 1 cd Sony classical. Enregistré à Graz (Autriche) en juillet 2015. CLIC de CLASSIQUENEWS.COM