vendredi 2 mai 2025

CRITIQUE CD événement. ROUSSEAU : Le devin du village (Château de Versailles Spectacles, Les Nouveaux Caractères, Sébastien D’hérin cd / dvd).

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

rousseau cd dvd critique nouveaux caracteres herin critique cd versailles spectacles sur classiquenewsCRITIQUE CD événement. ROUSSEAU : Le devin du village (Château de Versailles Spectacles, Les Nouveaux Caractères, Sébastein D’Hérin, cd / dvd). « Charmant », « ravissant »… Les qualificatifs pleuvent pour évaluer l’opéra de JJ Rousseau lors de sa création devant le Roi (Louis XV et sa favorite La Pompadour qui en était la directrice des plaisirs) à Fontainebleau, le 18 oct 1752. Le souverain se met à fredonner lui-même la première chanson de Colette, … démunie, trahie, solitaire, pleurant d’être abandonnée par son fiancé… Colin (« J’ai perdu mon serviteur, j’ai perdu tout mon bonheur »). Genevois né en 1712, Rousseau, aidé du chanteur vedette Jelyotte (grand interprète de Rameau dont il a créé entre autres Platée), et de Francœur, signe au début de sa quarantaine, ainsi une partition légère, évidemment d’esprit italien, dont le sujet emprunté à la réalité amoureuse des bergers contemporains, contraste nettement avec les effets grandiloquents ou plus spectaculaire du genre noble par excellence, la tragédie en musique.

C’est cependant une vue de l’esprit assez déformante et donc idéalisante qui présente un jeune couple à la campagne, un rien naïf et tendre… qui bouleverse alors le public et est la proie d’un faux « devin », ou mage autoproclamé… Détente heureuse, au charme sans ambition, Le devin du village touche immédiatement l’audience : l’œuvre a trouvé son public. En 1753, à Paris, augmentée d’une ouverture et d’un divertissement final, l’opéra de Rousseau prend même des allures de nouveau manifeste esthétique, opposé désormais au genre tragique ; car à Paris, sévit la Querelle des Bouffons : les Italiens (troupe de Bambini) présentent alors à l’Académie royale, comme un festival, tout un cycle d’oeuvres inédites, toutes comédies en musique, dont La serva Padrona, joyau raffiné et badin du génial Pergolesi. C’est surtout l’écriture aux mélodies simples et aux usages directs (forme rondeau) et aussi le choix du français comme langue chantée… qui surprennent le public. Alors même que Rousseau avait déclaré de façon définitive (mais avant de découvrir Gluck au début des années 1770, soit 20 ans après), que l’Italien se prêtait mieux à l’opéra que la langue de Corneille. Mais Rousseau n’en est pas à une contradiction près : ‘le chant français n’est qu’un aboiement continuel, insupportable à toute oreille non prévenue’ (Lettre sur la musique française, 1753).
Réalisme touchant, langue enfin réconciliée avec les défis de sa déclamation, … les arguments de ce « Devin » sont évidents, indiscutables. Le triomphe que suscite rapidement la partition, la rend incontournable : claire emblème opposé au grand genre tragique d’un Rameau, qui fut autant admiré que détesté par Rousseau.

Qu’en pensez en 2018, au moment où est publiée cette lecture réalisée en juillet 2017 ? On remercie enfin la direction artistique du Château de Versailles de nous offrir dans son jus, sur instruments d’époque, et sur la scène où elle fut reprise et jouée par Marie-Antoinette en son écrin de Trianon (le petit théâtre de la reine toujours d’origine), la pièce de Rousseau : de fait, simple, franche, d’une modestie qui touche immédiatement.

La partition est d’autant plus importante dans l’histoire de la musique en France et en Europe que c’est son adaptation parodique dès 1753 (par Madame Favart), intitulée « Les amours de Bastien et Bastienne » qui inspirera le premier opéra de … Mozart. La conception de Rousseau est donc loin de n’être qu’anecdotique. Aujourd’hui on goûte son humilité à l‘aulne de son destin spectaculaire. Voir cette partition, bluette sans ambition, mais joyau d’une esthétique qui a révolutionné l’opéra français, entre Rameau et Gluck, comble un vide important, d’autant que le dvd complémentaire, ajoute à l’écoute du cd, la révélation de ce que furent les reprises par Marie-Antoinette, jouant elle-même à la bergère et chantant les airs de Colette… A croire que effectivement, Rousseau était moderne, 30 années auparavant, adoré par le Reine qui vint se recueillir sur son mausolée d’Ermenonville dès 1780.
Le cd et le dvd de ce coffret très recommandable ajoute donc à notre connaissance précise d’un monument de la musique française propre aux années 1750, encore adulé par les souverains juste avant la Révolution. Belle réalisation qui comble enfin une criante lacune.

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CD, critique. ROUSSEAU : Le devin du village (Château de Versailles Spectacles, Les Nouveaux Caractères, juil 2017, cd / dvd).

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