CD, critique. RAMEAU : Le Temple de la Gloire (McGegan, Berkeley, 2017 – 2 cd Philharmonia Baroque Orchestra). Concernant un précédent enregistrement haendélien celui-là, et réalisé en 2005 (Atalanta), nous avions déjà souligné la saisissante activité dont était capable la direction de Nicholas McGegan : un vent de renouveau semblant souffler sur les œuvres baroques françaises et européennes, dont l’activité, l’expressivité, le frémissement spontané… contrastaient nettement avec ses homologues français en particulier.
D’emblée ce qui frappe dans cette lecture du Temple de la Gloire, c’est l’éloquente naïveté et la fraîcheur qui sonnent comme improvisées et donnent l’impression délectable que la musique qui s’écoule, se fait au moment de la représentation…
D’autant qu’il s’agit d’un live, saisi sur le vif avec les applaudissements du public américain, et ses réactions en cours de spectacle. La sensibilité intacte du chef britannique porte tout l’édifice. Cette candeur qui s’efforce à chaque mesure, restitue l’étonnante vitalité suggestive d’une musique qui est poétique de la tendresse et de la sensualité ; qui s’exprime à part, essentiellement instrumentalement, quand Rameau, génie de l’orchestration, diffuse sa mystique de la danse… là où les français cérébralisent, se figent, voire se pétrifient souvent dans une raideur mécanique, – trait remarqué chez beaucoup de chefs actuels, ou se cantonnent à un paraître rigide et corseté.
Il y a bien deux visions de Rameau qui se cristallisent dans la comparaison entre la France et ses interprètes baroqueux, et ce que réalise ici le chef né en 1950, Nicholas McGegan, infatigable ramélien. Pulsion électrique, sens de la phrase, rebonds et couleurs, sans omettre comme on l’a dit, le génie de la danse et le relief des timbres instrumentaux dans chaque intermède ou épisode « orchestral » qui complètent l’action proprement dite…
Voilà qui atteste une étonnante régénération de l‘approche ramiste, … désormais et souvent « hors Hexagone », comme en témoigne aussi l’excellente compréhension actuelle du hongrois Gyorgyi Vasgehyi (depuis Budapest).
En Californie, les troupes du Philharmonia Baroque Orchestra…
McGEGAN : le vent nouveau américain au service du Baroque français
Flûtes et cors, cordes et vents s’enivrent, s’exaltent dans cette esthétique infiniment pastorale qui s’autorise d’amples développements purement orchestraux, dont seul Rameau a le secret : l’ouverture et les tableaux de glorification de Trajan (III) l’expriment totalement : le Dijonais aime surtout s’alanguir et s’épancher à l’évocation d’une nature idyllique préfigurant en ses miracles panthéistes Haydn … et sa Création.
Comme il faut bien débuter dans la ténèbre jalouse, Rameau imagine dans le prologue un formidable combat ; celui déjà conditionné entre l’Envie, rageuse, haineuse et Apollon, magnifique astre solaire qui est ici à la cour de Louis XV, une belle référence à Louis XIV, son arrière grand père, et le créateur au siècle précédent du Versailles palatial, éclatant.
La fièvre de Rameau, son éloquence dramatique sont inscrits par un relief saisissant que McGegan réactive à chaque mesure, sachant s’approfondir et se précipiter. Tout le drame qui va se jouer, justifie l’édification du temple éblouissant, apollinien, celui tant convoité de la gloire ; car va paraître le héros que le monde attend et qui se révélera dans l’acte III (sous la figure de Trajan, mais un Trajan, égal de Titus, et comme lui digne de clémence, vertu des plus sages).
Rares les héros dignes de l’édifice et de sa symbolique vertueuse. Au premier acte paraît le vaniteux Belus (impeccable et convaincant Philippe-Nicolas MARTIN), vainqueur des peuples de Lydie laquelle pourtant l’aime (comme Elvira aime Don Giovanni : d’une passion quasi masochiste). C’est que le héros ici vainqueur a perdu toute humanité. Il est devenu barbare, véritable tyran ; verrue immonde et arrogante… qu’Apollon foudroie illico en lui refusant l’accès au Temple de la gloire. Ainsi sont châtiés, les faux héros qui ne sont que banals, misérables, furieux.
Les chœurs soignent leur articulation ; les instrumentistes du Philharmonia Baroque redouble de rondeur heureuse, de vitalité nourrie de saine tendresse et de fraîche aspérités qui colorent la restitution de la version originale de 1745 avec une sincérité stimulante.
Aux portes du temple de la gloire, le grand prêtre surveille les entrées. Même Bacchus (acte II) si fier et fanfaron (un peu juste Artavazd Sargsyan) ne peut y pénétrer : trop de raillerie, de suffisant orgueil, lui aussi, de suffisance méprisable, et de certitude affichée, quand bien même, il est adoré par Érigone, le dieu des plaisirs n’est pas persona grata. Lui aussi est écarté du Temple… Presque à défaut et de façon expéditive, la gloire lui rend ses hommages, en fin d’action, reconnaissant cependant que son ivresse procure aux mortels le pur bonheur terrestre. Mais cela ne suffit.
L’acte III apporte la clé d’un ouvrage faussement disparate dont les actes si divers en vérité se répondent.
Pour mériter la gloire immortelle et non les vaines grandeurs, le héros vainqueur et triomphant doit être Clément ; ainsi Trajan (efficace Aaron Sheehen) soumettant les 5 Parthes à Artaxarte sait leur pardonner et susciter les palmes de la gloire qui descend des cieux et couronne enfin celui qu’on attendait (soit Louis XV commanditaire et protecteur de Rameau en 1745).
Pour lui l’admiration des peuples vainqueurs et vaincus, l’amour de Plautine. Ainsi, déjà au milieu du siècle, les Lumières éblouissant à Versailles dans cette leçon de sagesse où Rameau et son librettiste en toute fantaisie font un Trajan proche de… Titus (le délice du genre humain et du monde) : celui-la même qui en 1791 à l’extrémité du cycle, inspire Mozart pour son ultime seria (la bien nommée « Clémence de Titus »). Ainsi un seul héros, Louis XV, fait le bonheur du monde et vertueux parmi les héros, a la capacité de pénétrer dans le Temple tant désiré. Nicholas McGegan défend cette fresque versaillaise antiquisante et très morale avec le feu, le panache et la tendre générosité qui l’inspire, du début à la fin : en particulier dans les danses si nombreuses ici et qui portent l’émancipation et la volonté de prééminence de la musique pure sur le drame qui n’est que prétexte. Palpitant.
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VOIR aussi le reportage vidéo du Temple de la Gloire de Rameau à Berkeley, en avril 2017, par Nicholas McGegan
https://www.youtube.com/watch?time_continue=14&v=bmSzNDLmSMY
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CD, critique. RAMEAU : Le Temple de la Gloire (McGegan, Berkeley, 2017 – 2 cd Philharmonia Baroque Orchestra)
JEAN-PHILIPPE RAMEAU
Le Temple de la Gloire
(The Temple of Glory)
Opera in three acts with a prologue
Libretto by Voltaire
Original 1745 Version
PHILHARMONIA BAROQUE ORCHESTRA & CHORALE
Nicholas McGegan, music director and conductor
Bruce Lamott, chorale director
Marc Labonnette, baritone
Philippe-Nicolas Martin, baritone
Camille Ortiz, soprano
Gabrielle Philiponet, soprano
Chantal Santon-Jeffery, soprano
Artavazd Sargsyan, haute-contre
Aaron Sheehan, haute-contre
Tonia d’Amelio, soprano
Recorded live at Cal Performances, Zellerbach Hall, U.C. Berkeley, CA | April 28, 29 & 30, 2017. © and 2018 Philharmonia Baroque Productions™
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