CD, critique, compte-rendu : ” BESTIAIRE ” par Sabine Revault d’Allonnes et Stéphanie Humeau (1 cd ARTIE’S records — 2017). Deux artistes françaises Sabine Revault d’Allonnes (soprano) et Stéphanie Humeau (piano) se frottent ici au défi des textes et évocations poétiques inspirés par les animaux. En réalité c’est davantage qu’un bestiaire choisi … : une collection de pièces remarquables et intelligemment associées. Le programme convoque un jardin animalier aux postures, silhouettes, situations et paysages d’une irrésistible séduction. La sincérité et la justesse du geste rendent hommage à la multiplicité des sensibilités – compositeurs et poètes, retenus.
Ici, chaque pièce illustre à sa manière un comportement ou une attitude animale. Mais l’animalité identifiée s’apparente souvent aux sentiments et passions de l’âme humaine. Que ces oiseaux, animaux (cochons forcément « roses ») et petit cheval, sans omettre l’irremplaçable chat sur le toit, … et insectes… ont de raison (et d’enseignements) à nous transmettre (écouter la dernière Coccinelle de Hugo mise en musique et avec quel génie par Bizet ! : « les bêtes sont au bon Dieu, mais la bêtise est à l’homme », sagesse hugolienne absolument bouleversante).
Les deux interprètes ont choisi scrupuleusement les pièces et leur enchaînement (rare exemple de perfection en la matière : on y passe du « Papillon » de Grieg, pour piano seul, au « Papillon et la fleur » de Fauré/Hugo, sans discontinuité de ton, sans rupture d’atmosphère) : les mélodies françaises et leurs héros soigneusement mis en scène sonore en 4 actes, sont associés à des préambules pianistiques, dont l’humour (le petit chien de Chopin en ouverture, qui trotte et s’agite, totalement revisité dans ce contexte si personnel) le dispute à des paysages au chromatisme d’un raffinement poétique absolu (« oiseaux tristes » de Ravel). Déjà « éprouvé » en concert, le programme a suffisamment plu et surpris pour être encore et encore peaufiné dans son développement musical et son déroulé dramatique, quitte à retirer des mélodies premièrement choisies puis remplacées, en un récital final dont le goût comme l’unité s’imposent.
Célébration de la mélodie française
Sublimes portraits animaliers
Stéphanie Humeau en précise l’articulation : allusivement, « Le programme s’illustre en 4 parties : terre, eau, air volatiles et air insectes. De là s’est mis en place tout naturellement l’ordre des pièces avec pour chaque partie une introduction au piano afin de montrer que le clavier seul peut aussi, au travers de la ponctuation, des phrasés, des dynamiques, du tempo, évoquer certains traits d’animaux. Par exemple dans « papillon » de Grieg, on imagine très bien un papillon volant furtivement et se posant de temps à autres par un jeu léger, souple et volage… De même pour la valse de Chopin avec l’idée du petit chien qui court autour de sa queue. Pour les oiseaux tristes : nous sommes beaucoup plus dans l’imaginaire, le plaisir des sens, et les couleurs merveilleuses. Ravel a ce pouvoir de nous faire voyager par l’esprit au travers des couleurs, la volupté, les harmonies ».
Dans ce sens, pour nous « Le petit cheval » de Séverac (et sa fin tragique, annonçant la mort de la bien aimée après un pas d’inquiétude) et surtout « le chat sur le toit » de Mel Bonis…comme les Alcyons de Massenet, sont de véritables découvertes, joyaux méconnus d’une collection dont la valeur se révèle de séquence en séquence. Comme le surprenant (et vert) « Colibri » que l’on apprend à réécouter par les teintes miroitantes du piano et l’engagement enchanteur du soprano disant : « sa linéarité expressive, langoureuse, une mesure à 5 temps, et une mélodie extraordinaire » (dixit Stéphanie Humeau), autant d’épisodes qui inspirent là encore une réalisation aussi convaincante qu’onirique, le timbre de la cantatrice exprimant cette mélancolie suspendue toute en délicatesse, propre au meilleur Chausson, d’un orientalisme filigrané (qui se souvient aussi de Gounod).
Têtes à l’envers (sur le visuel de couverture), mais engagement total et très juste, les deux interprètes suscitent l’adhésion dans ce programme riche et équilibré, dédié aux incontournables de la mélodies, comme révélateur de joyaux moins connus… ; le chant / piano dialogue à juste titre, permettant à chacune d’exprimer dans sa palette expressive étendue, tout ce qui rapproche l’animal de l’homme : le bestiaire dont il est question servi par d’admirables talents poétiques et littéraires et non des moindres (Lecomte de Lisle, Hugo, Apollinaire, Jules Renard,…) marque l’esprit et l’écoute car ces bêtes là – oiseaux, poissons ou insectes (« La cigale » de Chausson / L. de Lisle) sont plus humains que les hommes eux-mêmes (la Coccinelle de Hugo déjà citée – en sa morale imprévue, impertinente et sincère, qui referme le cycle). Le piano seul y creuse des évocations à la fois légères et nostalgiques aux climats rêveurs d’une absolue fantaisie, où jaillissent comme des poésies uniquement musicales, de purs paysages intérieurs (les sublimes « Oiseaux tristes » de Ravel déjà cités, y répondent aux « Poissons d’or » de son contemporain et si proche en pensée et inspiration, Debussy).
L’immersion poétique est totale, magnifiquement assumée, grâce au soprano riche, ample, incarné de Sabine Revault d’Allonnes, capable aussi de graves quasi lugubres pour l’Albatros de Chausson (d’après Baudelaire, la seule mélodie originellement destiné à un alto et heureusement transposé pour le récital).
Le choix des pièces souligne aussi ce goût très sûr des textes, souvent des raretés intenses et dramatiques -(tristement tragiques : Les Alcyons de Massenet), ou pittoresques attendries (la très narrative « Pastorale des cochons roses » de Chabrier).
La prosodie naturelle et souple s’accorde idéalement au génie mélodique de Reynaldo Hahn (« Le rossignol des lilas »), comme elle éblouit littéralement dans « Paon » de Ravel ou La Coccinelle version Bizet (versus Saint-Saëns), et l’on rend justice au talent défricheur des deux interprètes de nous dévoiler la magie du fugace et du vivace telle qu’elle s’exprime dans l’évocation du chat de Mel Bonis (« Le chat sur le toit »). Tout cela est bien dit, évoqué, suggéré. La délicatesse des évocations au piano (Stéphanie Humeau) – léger et aérien sans omettre aucune des nuances douloureuses voire tragiques de textes remarquablement choisis (écoutez l’étonnante « Cigale » du même sublime Chausson); et concernant le soprano charnel, habité de Sabine R. d’Allonnes : le travail sur la couleur des textes, le fini accordé à la sublime prosodie de « Paon » (Ravel) par exemple… soulignent dans ce parcours animalier, toute la tendresse des compositeurs pour la gent animale. Leur écriture respective, facétieuse, amusée, – cynique (Ravel), fulgurante (brillantes pochades chez Poulenc) ne pouvait trouver meilleures ambassadrices. Du tact, et un vrai métier (Sabine Revault d’Allonnes connaît les défis de la prosodie française pour avoir déjà dédié plusieurs albums monographiques à Massenet ou Pierné par exemple) : voilà qui stimule notre appétit d’en écouter davantage s’agissant des mélodies françaises. Programme risqué, réussi, superlatif.
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CD, annonce. BESTIAIRE. Stéphanie Humeau, piano / Sabine Revault d’Allonnes (soprano). Mélodies françaises, pièces pour piano : de Chopin, Chausson, Bizet et Chabrier… à Poulenc et Ravel – 1 cd ARTIE’S records — enregistrement réalisé en juillet 2017 (Bourg la Reine) – Durée : 1h01. CLIC de CLASSIQUENEWS d’avril 2018. Parution : le 9 avril 2018.
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AGENDA / CONCERT
Concert de sortie / Programme du cd » Bestiaire « , PARIS, Mairie du IIIè arrdt – 2, rue Eugène Spuller, 75003 PARIS, le 24 avril 2018, 19h30 – INFORMATIONS et RESERVATIONS :
https://www.facebook.com/BestaireMusical/