jeudi 28 mars 2024

Cd critique. ANAMORFOSI : Allegri, Marazzoli, Monteverdi (Le Poème Harmonique, juin 2018 – 1 cd ALPHA)

A lire aussi

POEME-HARMONIQUE-ANAMORFOSI-allegri-monteverdi-marazzolli-mazzochi-cd-review-critique-cd-classiquenews-vincent-dumestreCd critique. ANAMORFOSI : Allegri, Marazzoli, Monteverdi (Le Poème Harmonique, juin 2018 – 1 cd ALPHA) – Au carrefour du profane et du sacré, se développe une même musique, constante et touchante par ses aspérités passionnelles. En hymnes sacrés ou en vers madrigalesques, l’écriture musicale ne varie pas, mais elle modifie son sens selon les paroles associées : il n’y a donc pas de « métamorphoses » comme nous l’explique le Poème Harmonique qui du reste nous parle aussi d’anamorphoses (le titre du cd : intitulé plus adapté à ce dont il est question : une même chose dont l’aspect varie selon le point de vue) ; tout du moins, il s’agit ici d’un changement de paroles, donc superficiel ; un changement d’enveloppe (linguistique) ; les vertiges de la musique eux sont toujours invariables, constants. « Vers 1630 en Italie, un voyageur franchit le seuil d’une église. Double vertige ! Tandis que l’œil se perd dans la profusion baroque, l’oreille croit rêver. Quels sont ces bruits de bataille, ces plaintes amoureuses, ces disputes théâtrales qui ont remplacé les cantiques ? » Ainsi est résumé le prétexte de ce nouveau programme que l’ensemble de Vincent Dumestre a déjà éprouvé en concert. A quelques pertes de tension près et de faiblesses (bien anecdotique) dans le parcours musical, nous tenons là un cycle de perles baroques captivant, où brillent surtout les jeunes voix actuelles, la soprano Déborah Cachet en tête, voix aux fulgurances naturelles et sincères, irrésistible. Dramatiques et introspectives, articulées et flexibles.

Tout commence par une version assez déconcertante du Misere d’Allegri, en plusieurs séquences chorales, homorythmiques, d’un piétisme et dolorisme retenue, parfois tendu, d’un expressionnisme bien contorsionné (dissonances harmoniques manifestes au point crucial du texte). Retour aux sources soit, mais référence à une pratique (d’époque?) quand même, surornementée, à la limite de l’indigestion ; avec des variations très éloignées de ce que nous connaissons. Là est bien la métamorphose par contre, qui modifie considérablement le parcours même du texte, empruntant selon l’improvisation des chanteurs compositeurs improvisateurs, des circonvolutions qui demeurent caprices d’interprètes. A chacun de juger. Pas sûr qu’Allegri eût apprécié telle relecture de son texte originel. Serait-ce pour mieux troubler l’humble auditeur, frappé par la recueillement des chanteurs ? Les mélismes dans l’aigu expriment un mal être, une douleur infinie, jamais apaisée et tendue.
Des passions (trop) contenues, que libère autrement le choix des pièces qui suivent. Anamorfosi : le titre souligne combien une même musique dans le cas de Monteverdi par exemple ou Luigi Rossi peut sonner différemment, si l’on change uniquement les paroles. Du profane au sacré, la même intensité passionnelle s’y déploie, avec une sincérité égale.

Dans le Rossi («  Un allato messagier »), la mezzo Eva Zaïcik déroule une belle voix mais au relief linguistique trop lisse sur la durée. Pas assez de contrastes, de verbe mordant. Là encore une langueur douloureuse et insatisfaite. Le tempérament guerrier qui rappelle le Combattimento de Monteverdi, met du temps à chauffer (pour exprimer la douleur de Madeleine).

Justement dans « Si Dolce è’l martire » (de l’inestimable Monteverdi)Déborah Cachet éclaire l’angélisme et la tendresse de l’air Montéverdien ; l’incandescence et l’effusion d’une prière qui pleure Jésus (« mio Gesù » répété en scansion) ; témoignage d’une fervente saisie, touchée, brûlée par le Fils ; l’ardeur et l’expressivité mordante, qui fusionne flexibilité et brûlures du texte, commentées ensuite par le violon solo : l’acte de compassion, ce don d’une âme mystique à Jésus, incarné, défendu de façon aussi presque guerrière – transe amoureuse et langueur dévorante, par le soprano délicat mais puissant de Déborah Cachet, est assurément l’acmé de ce programme. Entre volupté et mysticisme, la soprano réussit une remarquable incarnation de la foi baroque.

Profane ou sacrée, la lyre du premier Baroque Italien
s’embrase grâce au soprano de Déborah Cachet…

On se délecte tout autant des dénuement et langueur des pénitents démunis dans les somptueuses prières de Domenico Mazzochi (sur la vie brève) puis de Marco Marazzoli, qui semblent fondre l’esprit mordant de la commedia, et la prière dolente des pêcheurs saisis, soit l’équation surprenante, inouïe de… la verve débridée et de la grâce la plus nuancée : aucun doute la leçon de la volupté montéverdienne est ici totalement assimilée, sublimée par deux écritures proches du sublimes.
La voici, ardente, fulgurante, la ferveur romaine du premier baroque. Marco Marazzoli, génie opératique, succède 3 duos d’un fini linguistique et poétique savoureux auquel répond l’écrin musical, languissant, contrasté, fervent, essentiellement amoureux, des instrumentistes et chanteurs. Les couples, surtout Déborah Cachet et le ténor Nicholas Scott, expriment avec une rare finesse et articulation, les multiples nuances du texte (« Chi fà che ritorni » : célébration du temps de l’innocence, perdu, si fragile, fugace…) aux instants de la jeunesse préservée où la vie dans sa candeur première, découvre l’élan du désir, morsure et vertige du plaisir… Preuve est encore faite de l’absolu génie de Marazzoli.

CLIC D'OR macaron 200Puis, le programme des afflictions sacrées, se poursuit avec les larmes de Marie au sépulcre (Monteverdi : « Maria quid ploras »), belle éloquence linguistique où chaque voix pèse, articule, nuance l’élan collectif. Même expressivité caractérisée et dans une ampleur suave et flexible dans le dernier épisode collectif, « Pascha concelebranda », prière à plusieurs qui captive par la diversité des effets et des nuances expressives du chant, entre drame profane, cantate sacrée, dramma opératique… tout en louant Jésus et le miracle final de sa Résurrection, les voix réalisent une crèche vivante et naturelle ; un théâtre sincère immédiatement émouvant. L’élégance du geste, la fine sensualité qui cisèle chaque arête du verbe, et qui fonde ici l’idée d’une conversation continue, accréditent davantage la complicité des solistes ici réunis, serviteurs du génie montéverdien. Le verbe se fait action et geste. Chant et musique, caresses tendres et délicieuses prières. On se croirait revenu au temps des pionniers baroques, à l’époque où Christie et Harnoncourt découvraient les mondes du premier baroque italien. Exaltant. Superbe programme. Donc CLIC de CLASSIQUENEWS

________________________________________________________________________________________________

Cd critique. ANAMORFOSI : Allegri, Marazzoli, Monteverdi (Le Poème Harmonique, juin 2018 – 1 cd ALPHA)

________________________________________________________________________________________________

Video
https://www.youtube.com/watch?v=q5RlIa6hSFg
ALLEGRI & MONTEVERDI: ANAMORFOSI, Le Poème Harmonique & Vincent Dumestre

Release date → September 2019  –  Stream//Download//Buy → https://lnk.to/AnamorfosiID

Allegri’s Miserere, its heartbreaking harmonies, its verses alternately cha…

ALLEGRI & MONTEVERDI: ANAMORFOSI par Le Poème Harmonique & Vincent Dumestre (EPK)

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys (version de concert). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie / Alexis Kossenko (direction).

Fruit de nombreuses années de recherches musicologiques, la nouvelle version d’Atys (1676) de Jean-Baptiste Lully proposée par le Centre...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img