Cd, compte rendu critique. Saint-Saëns : Concertos pour piano n°2 et n°5. Louis Schwizgebel, piano (1 cd Aparté, 2015). Voilà une nouvelle réalisation discographique qui confirme le talent du jeune pianiste eurasien sino-suisse Louis Schwizgebel, claviériste vedette de l’écurie Aparté. Évidemment le fleuron de ce programme reste la prise la plus récente (avril 2015) du Concerto l’Égyptien n°5 en fa majeur d’une prodigieuse séduction mélodique qui berce littéralement l’entente amoureuse piano /orcheste – union complice qui est loin de s’affirmer dans le Concerto précédent n°2 où la virtuosité hallucinante du soliste fait souvent cavalier seul auprès d’un orchestre fracassant et péremptoire. Dans le n°5, a contrario la tonicité enivrée soliste, chef, instrumentistes éblouit littéralement dans ce Concerto, l’un des meilleurs de Saint-Saëns d’une équilibre romantique saisissant de plénitude en cela servi par l’excellente complicité entre les musiciens. Le jeu et le toucher du pianiste sino suisse crépite et nuance une partition qui pourrait paraître bavarde et creuse : rien de tel sous ses doigts inspirés qui font surgir tel un jaillissement continu et excellemment articulé, le feu juvénile de l’Allegro animato du début (même allant vivace dans le troisième et ultime mouvement). Il y démontre une belle allégeance à la vivacité tendre et à l’élégance pudique, qualités que l’excellent orchestre cultive lui aussi dès le premier mouvement dans un réglage instrumental Mozartien : tel sens de la connivence et de la nuance se révèle convaincant.
La danse de l’Andante au déhanché oriental / andalou, style Carmen ajoute une pointe d’espièglerie, de notre point de vue plus hispanisante que réellement proche-orientale. .. (même s’il s’agit de l’aveu du compositeur d’un chant d’amour nubien rapporté de son voyage égyptien en 1891) avec des superbes respirations préimpressionnistes totalement subjuguantes. Pour ses 50 ans de carrière en 1896, Saint-Saëns qui joue lui même alors sa nouvelle partition, se montre d’une inspiration riche, flamboyante, d’une suavité raffinée et scintillante (avec accents du gong et donc allusions chinoises esquissés comme des traits fugaces). Au-delà de la virtuosité et des nombreuses échappées orientalistes, la partition impose aussi la faconde du dramaturge grand voyageur, aux éclairs instrumentaux géniaux révélant un orchestrateur d’une invention inouïe (l’enchaînement du dernier mouvement est d’une suractivité irrésistible)… Voici certainement le meilleur feu crépitement du romantisme français, alliant verve, finesse, narration, subtilité.
Le Concerto surtout dans son Andante est conçu comme une série d’évocations et de songes (fin suspendue et murmurée). .. que l’allant du dynamique et virtuose dernier mouvement contredit ou complète dans un caractère ostinato libre des plus brillants (molto allegro) tourné vers la lumière ; c’est une onde de plénitude scintillante d’un tempérament de feu et de flamme, d’autant plus surprenant de la part de son auteur sexagénaire au tempérament préservé. En 1896, le compositeur pianiste spectaculaire d’une exceptionnelle musicalité montrait ce jaillissement intact de l’inspiration. La verve du soliste, sa complicité avec l’orchestre idéalement canalisé par le chef Martyn Brabins ici à Londres en avril 2015 se révèlent très convaincantes.
On ne peut hélas en dire de même du Concerto n°2 (1868) où la direction de l’autre chef, Fabien Gabel, paraît plus contrainte et dure sans vraie vision globale. … dommage d’autant plus regrettable que l’élocution du pianiste est aussi aboutie et juste que son approche du Concerto n°5.
Pourtant l’opus débutant avec une sublime phrase qui plagie Bach, est une réponse claire de Saint-Saëns aux meilleurs Concertos romantiques qui l’ont précédé, ceux signés Chopin, Liszt, surtout Schumann. .. de fait Clara et Franz avaient immédiatement reconnu la maîtrise d’un Saint-Saëns alors touché par la grâce, réussissant comme peu avant lui l’éloquente virtuosité du soliste et la science de l’architecte, soucieux de narration structurée. Malgré nos faibles réserves (Concerto n°2), voilà un disque passionnant qui révèle le génie du Saint-Saëns concertiste et symphoniste de première valeur, défendu par un jeune soliste plein de feu, de mesure, de sobre musicalité : Louis Schwizgebel pas encore trentenaire, né en 1987. Talent à suivre.
Cd, compte rendu critique. Saint-Saëns : Concertos pour piano n°2 et n°5. Louis Schwizgebel, piano. BBC Symphony orchestra. Fabien Gabel (n°2), Martyn Brabbins (n°5). Enregistrement réalisé en avril 2014 et 2015 (n°5). 1 cd Aparté AP 112