Le nouvel album de l’ensemble De Caelis (5 voix de femmes) illustre l’admiration inspirée des interprètes pour l’abbesse allemande du XII ème siècle Hildegard von Bingen et aussi leur curiosité engagée pour l’écriture contemporaine, en particulier celle du compositeur libanais Zad Moultaka.
Souffle, conscience, espérance
Conçue comme une expérience qui se déroule du début à la fin, tel un cycle d’éveil progressif, les interprètes déploient une large palette expressive interrogeant l’idée même du souffle, sa longueur, sa hauteur… et dans sa portée, cultivent dans les résonances que sait ciseler le compositeur Zad Moultaka, le sens / l’essence même du chant; chant évidemment spirituel et mystique puisque lié à la quête faite inquiétude et angoisse de l’Abbesse qui s’est éteinte en 1179… Le programme fait entendre le souffle primordial, primitif… Celui créateur qui réalise l’incarnation. Dès lors investies d’un texte, les arabesques vocales (liées aux visions d’une religieuse qui a douté) s’enrichissent d’un sens qui organise et structure le programme : faille ouverte fervente encore inarticulée, puis dévotion spécifique personnelle à Marie (superbe solo embrasé, fragile donc spécifiquement humain de la soprano C. Tassit dans l’Ave Maria, plage 6), enfin au croisement de deux époques / regards qui s’interpénètrent le regard distancié et fraternel de Zad Moultaka, l’accomplissement d’un geste à la fois guerrier et angoissé, et ses déflagrations calculées qui convoquent le choc des combats … on ne cesse de suivre et d’approfondir chaque section entonée tel un questionnement profond sur l’homme et le monde, et dans la vision chrétienne d’Hildegard, la question finale du salut : l’homme peut il être sauvé? Peut il se sauver lui même?
En un résumé porté par les seules 5 voix à cappella, voici magnifiée par l’acoustique idéale de l’abbatiale de Saintes, une histoire de l’humanité : espoir primitif, mais inéluctable inflexion, faillite des civilisations qui ont perdu toute réflexion comme toute exigence spirituelle.
En ce sens le triptyque final » Ubi es » conçu par Zad Moultaka semble récapituler et recueillir les doutes et l’espérance bouleversante de la religieuse : un dialogue qui se fait compréhension et aussi correspondances; le souffle incarné tendu d’Hildegard inspirant au compositeur contemporain une conscience aiguë aux êtres, jusqu’à notre monde contemporain où les notions de chute, d’anéantissement, comme de fin du monde n’ont jamais été plus présentes. C’est pourtant moins l’annonce de la fin que la perte de l’harmonie primitive qui magnifiquement exprimée ici s’avère bouleversante. On ne saurait trop recommander l’écoute de ce disque superlatif… Par sa profondeur, le dramatisme ciselé de son programme, l’arc tendu entre les deux écritures musicales, la qualité des chanteuses qui le portent, voici indiscutablement le meilleur jamais enregistré par les chanteuses de De Caelis. Un nouveau jalon né de leur rencontre avec Zad Moultaka et qui produit une réalisation inoubliable. D’où notre CLIC de classiquenews d’avril 2015.
Cd, compte rendu critique. Gemme : Hildegard von Bingen, Zad Moultaka. Ensemble De Caelis. 1 cd l’empreinte digitale ED 13241 – parution annoncée le 1er avril 2015. Visionner notre teaser vidéo du cd Gemme de De Caelis (consultez notre home « videos » depuis la home page de classiquenews). Reportage vidéo de l’enregistrement du cd Gemme à venir sur classiquenews le 10 avril 2015.