Cd, compte rendu critique. FRANCOIS COUPERIN (1668 – 1733) : Pièces de clavecin, IIIè Livre (13 et 18è Ordes). Blandine Verlet, clavecin (1 cd Aparté). BLANDINE VERLET dévoile Le CLAVECIN DE COUPERIN. Après deux précédents (1713, puis 1716), Couperin publie son 3è Livre de pièces de clavecin en 1722, dont les fameux Concerts royaux. Très méticuleux, l’auteur annote, indique précisément les enjeux esthétiques et les nuances expressives comme le dispositif essentiel qui démontrent une pensée expérimentale, laquelle n’aura été jamais aussi ludique, imaginative, et toujours très juste dans les réglages poétiques : il expose ainsi le principe des « pièces croisées » (accouplement des claviers), et un nouvel ornement, sorte de respiration articulant la ligne vocale. Couperin glisse aussi quelques références à l’actualité politique, révérence à ses employeurs : ainsi les « lys naissants » (en style luthé si raffiné), ouvrant son 23è Ordre, font clairement référence à l’avènement du jeune Louis XV.
Au diapason de cette conception millimétrée des nuances expressives, les doigts enchantés, suggestifs et eux aussi rêveurs (mais si précis) de « la fée Blondine », excellent à démêler et caractériser tout ce qui compose la palette poétique du grand alchimiste et magicien Couperin ; d’autant qu’en 1722, – une page s’étant tournée (celle du Grand Siècle, pompe et grandeur du Louis XIV versaillais), le compositeur est lui aussi dans la dernière courbe expressive de son immense talent, et chaque accent, intonation, connotation, pèse, exprime, imprime sa marque spécifique. Il enrichit et ponctue le flux musical sans amoindrir ni ralentir son allant organique. Elle nous avait ravis en 2012 dans un précédent Couperin, idéalement abouti, allusivement rêveur et suggestif. C’était alors sur un clavecin Hemsch 1751. Ici, 6 ans plus tard, la claveciniste, douairière des clavecinistes françaises, préfère le son serré, précis, ciselé d’une copie d’un clavecin Ruckers de 1636 (avec ravalement par Hemsch de 1763)…
Le nuancier que défend la claveciniste qui n’en est pas à son premier Couperin, se montre à la hauteur d’une partition inouïe par son raffinement et sa délicatesse pudique, par sa versatilité hyperélégante. L’art du rien dire, en apparence, le détaché, le délié, le lâcher prise ; c’est évidemment un art du dessin, et des ombres suggestives plutôt que de la ligne trop appuyée, ou des couleurs mal fondues et enchaînées.
Rêvons ainsi dans la fragilité des « Roseaux », sublime évocation de la Nature (avant Rameau) ; sachons aussi relever le sens plus nerveux de la bambochade, dans les portraits riches en caractère de l’Engageante ou de l’Âme en péril (en réalité : « L’Âme en peine »… vertiges émotionnels garantis, qui concluent les 12 Dominos, hauts en couleurs).
Ainsi, inspirés par les Folies d’Espagne, et leur caractère dansé et masqué, les Dominos, soit 12 séquences conçues comme autant de drames instrumentaux, idéalement ciselés eux aussi, et doués de grande variations poétiques, dévoilent concrètement la science d’un Couperin touché par la grâce, entre divertissement, galanterie, raffinement et pudeur (elle-même citée, parmi les Fidélité, Virginité, Persévérance, Ardeur, Coquetterie, Frénésie…). Dans le sillon d’un La Bruyère, c’est à dire lecteur et critique d’un Saint-Simon trop hautain, Couperin l’analyste et l’observateur se fait sociologue d’une Cour (Versaillaise ?), polluée, colorée de caricatures humaines parfaitement ridicules (Coucous bénévoles : cocus ? , et ailleurs, en leur livrée « pourpre », Vieux Galants acoquinés aux Trésorières surannées…).
Couplés chacun à une couleur, les épisodes permettent de varier les caractères – en une Suite réinventée, fresque et kaléidoscope instrumentaux, où Couperin s’amuse en finesse et subtilité : gracieusement, tendrement, animé, gaiement, affectueusement, tendrement, gaiement, gravement… etc, et à l’envi, offrant, grâce à l’engagement idéalement articulé et investi de la claveciniste, cette forme devenue mythe musical, de la « Suite à la française ».
Le propre de Couperin est sa profondeur malgré ses mondanités. Le 18è Ordre, qui conclue ici le programme, d’un classicisme impérial et souverain, c’est à dire toujours allusivement poétique, offre ce mariage réussi de la description et de la justesse, expression intime et éloquence raffinée. Eclectique et synthétique, le compositeur use d’une Allemande première, d’ouverture pour peindre et portraiturer la présence d’un ami, protecteur ? : Verneuil, dont la fille devenue Verneuillette a toutes les grâces de la jeunesse insouciante. Ainsi surgissent en leur vérité primitive, le joyeux et naïf « Turbulent », et la plus sombre et mélancolique « Attendrissante ». Avant Rameau, il semble que le clavecin soit pour Couperin, l’instrument roi pour portraiturer en finesse et vérité les proches qu’il a connus. Ainsi ferment la surprenante et captivante galerie de portraits humains : le Gaillard boiteux, au burlesque mordant, avec pour point final, l’admirable Chaconne dite « La Favorite » (ne l’était-elle pas sous le règne de Lully ?), empruntée au Premier Livre de 1713. Ainsi la boucle est-elle bouclée. Sans réserve, le clavecin de Blandine Verlet est né pour exprimer la grâce de François Couperin. Album majeur en cette année Couperin 2018 (né en 1668, Couperin fête donc en 2018 son 350è anniversaire).
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Cd, compte rendu critique. FRANCOIS COUPERIN (1668 – 1733) : Pièces de clavecin, IIIè Livre (13 et 18è Ordes) — enregistrement réalisé à Paris en mai 2017. CLIC de CLASSIQUENEWS de février 2018. EN complément au cd, l’éditeur publie aussi un texte inédit de Blandine Verlet elle-même, « récit » intitulé « La Compositrice ». Confession indirecte, nouvelle à clés, de la page 12 à la page 70, certainement le volet complémentaire à la somme Couperin qui précède. A lire immanquablement.
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PRECEDENT CD François COUPERIN par Blondine VERLET (2012), soit il y an 6 ans… Un précédent déjà salué par la Rédaction de CLASSIQUENEWS alors …
François Couperin (1668-1733) : Septième et Huitième Ordres du Deuxième Livre de 1716-1717; 25è,26è et 27è ordres du Quatrième Livre de 1730. Blandine Verlet, clavecin Hemsch 1751. 2 cd Aparté. Enregistrement réalisé en novembre 2011 en Belgique. Réf.: AP036. CD1: 1h. CD2: 56mn.
Extrait de la critique de notre rédacteur Carter Chris Humphray : « Gravité, solennité voire lenteur discursive, jamais sèche ni strictement explicative, mais toujours articulée et superbement aérée; Blandine Verlet maîtrise tout ce qui fait la singularité inouïe de François Couperin, égal d’un Bach, monstre vénéré du clavier royal. En enregistrant à nouveau son cher Couperin, frère, maître, modèle, la claveciniste française rend un nouvel hommage (novembre 2011), tissé dans l’étoffe la plus investie, d’une évidente profondeur, dévoilant de non moins indiscutables affinités, d’autant plus exacerbées, colorées, riches, troublantes qu’il s’agit aussi, à ce temps de la “carrière”, ou plutôt, en cet instant de l’expérience, d’un nouveau témoignage remarquablement abouti: offrande élective mais également maestrià dans l’art de toucher un instrument, certes des plus enivrants. »