CD, compte rendu critique. Dorothea Röschmann : Mozart Arias (1 cd Sony classical). Le timbre mûr, éloquent, charnel et aussi très investi de la soprano allemande Dorothea Röschmann (née en Allemagne, à Flensbourg en juin 1967) nous touche infiniment : depuis sa coopération avec René Jacobs dans des réalisations qui demeurent éblouissantes (Alessandro Scarlatti: Il Primo Omicidio, entre autres – pilier de toute discographie pour les amoureux d’oratorios et d’opéras baroques du XVIIè), la chanteuse sait colorer, phraser, nuancer et surtout articuler le texte comme peu, avec une intelligence de la situation qui éclaire son sens de la prosodie. Un chant intérieur, souvent embrasé qui la conduit naturellement aux emplois lyriques évidemment mozartiens.
Cantatrice pour le lied (LIRE notre compte rendu du récent cd réalisé avec Mitsuko Ushida : liederkreis, Frauenliebe une leben de Schumann, live londonien de mai 2015, édité par Decca), elle est mozartienne accomplie, par la justesse sobre du timbre, une élégance intérieure qui préserve l’intelligibilité et aussi le naturel expressif, dévoilant l’architecture émotionnelle de chaque séquence, y compris pour des rôles dont elle n’a apparemment ni le caractère ni la tessiture ; or on y relève et mesure la même finesse d’élocution qui donne vie et sang, mais aussi chair aux incarnations ainsi formidablement réalisées. Diamantin, incarné, le timbre de Dorothea Röschmann s’affirme par sa plasticité ardente et ciselée.
Ici Elettra d’Idomeneo peut surprendre (d’autant qu’elle chante l’autre rôle, positif-, du second seria mozartien, après Lucio Silla : celui d’Ilia). Même sublime caractérisation pour La Clémence de Titus, de dernier seria de Wolfgang (1791), où jaillit la noire mais compassionnelle Vitellia et son (ici 2ème) grand air bouleversant « non più di fiori : un air de renoncement qui laisse ahuri par la justesse lugubre du texte et sa mise en musique d’un tendresse inédite jusque là. C’est un air de bascule évidemment, longuement commenté : Röschmann y exprime le dénuement sincère d’une âme touchée par la grâce : une méchante qui se répand : quoi de plus bouleversant sur la scène lyrique et théâtrale ? La soprano lui apporte sa chair éruptive qui dit la profonde et silencieuse métamorphose qui se réalise alors. Une incarnation passionnante.
Mozartienne superlative
Dorothea Röschmann, diamant vocal, palpitant incarné
A contrario du visuel de couverture et de la coiffure d’un goût biscornu et fantasque, un rien inutilement sophistiqué, le chant de Dorothea Röschmann demeure fort heureusement, simple et flexible, absolument naturel, soignant et la ligne et l’articulation du verbe.
A Salzbourg, elle a pu montrer sa subtilité d’actrice et son intelligence dramatique comme chanteuse chez Mozart : Suzanne ardente (il y a déjà 20 ans), et surtout dernièrement, Rosina devenue Comtessa dans les Noces de Figaro : âme éperdue mais nostalgique d’un temps d’amour révolu. Arte diffusera d’ailleurs depuis Berlin sa comtesse sous la direction de Gustavo Dudamel, le 13 novembre 2015 prochain.
Ainsi ce récital Sony récapitule une sorte d’offrande personnelle, très engagée, de ses incarnations mozartiennes où s’imposent particulièrement les deux airs de la Comtesse des Noces justement : « Porgi amor », puis « Dove sono i bei momenti… » instant suspendus, où flotte préservée l’intensité d’un désir qui s’est évanoui. Les deux airs d’Idomeneo (1781), outre l’activité scintillante de l’orchestre suédois sous la direction habile de Daniel Harding mais parfois lisse et imprécise, affirme la tenue linguistique de la diva : airs caractérisés chacun dans son registre, furieuse voire hystérique pour Electre, suave, angélique pour Ilia (il est vrai que c’est elle qui par son amour sincère sauve Idamante du sacrifice auquel son père Idomeneo, le roi de Crête, le destinait…
Son Elvira (Don Giovanni : « In quali eccessi, o Numi ») frappe par sa cadence pulsionnelle palpitante : une amoureuse qui à défaut de la Comtesse, ne maîtrise pas ses émotions, toute reproches et injonctions.
Enfin cerise sur le gâteau: le dernier air isolé, très sturm und drang, c’est à dire habité par une conscience sombre voire désespérée, aux éclairs passionnés superbement contrastés (l’orchestre y est somptueux) : « Bella Flamma, addio » K528, air de Titano saisit par sa grâce mesurée, son intensité sincère où brûle et son consume une âme ardente et aimante. La chanteuse y développe une carrure dramatique retenue, digne et introspective, finement colorée par le sentiment tragique : son débit, son art de la phrase dans le récitatif préalable convoque le grand Racine, noblesse, dignité mais souffrance ultime, transfiguré elle aussi par une succession de visions radicale auxquelles l’orchestre diffuse des harmonies hypnotiques, sensuelles, mystérieuses. L’articulation de la diseuse, la finesse nuancée de l’interprète éclairent toutes les connotations du texte mis en musique à l’origine par Mozart pour Josefa Dusek pendant son séjour à Prague en 1787. A suivre pas à pas ce travail unique en son siècle sur la langue et le poème musical, on se dit que Mozart, s’il n’était pas mort si tôt en 1791, aurait participé directement à l’émergence du romantisme européen, apportant son offrande personnelle d’une troublante vérité.
Le récital peut s’entendre comme un parcours sensible et scintillant à travers l’échiquier de la passion amoureuse mozartienne, c’est aussi une contribution très subtile à l’éloquence poétique d’un Mozart, connaisseur et poète du cœur humain. Voici une mozartienne au chant superlatif, juste, vrai, irrésistible. Chapeau bas à Dorothea Röschmann.
CD, compte rendu critique. Dorothea Röschmann, soprano. Mozart Arias. Sony Classical. Enregistrement réalisé en Suède en novembre 2014. 1 cd Sony classical
LIRE aussi notre critique complète du cd Robert Schumann : liederkreis, Frauenliebe une leben de Schumann, live londonien de mai 2015 par Dorothea Röschmann et Mitsuko Ushida (1 cd Decca).
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Cd, compte rendu critique. Schumann : Lederkreis opus 39. Frauenliebe und leben. Berg : 7 lieder de jeunesse. Dorothea Röschmann, soprano. Mitsuka Uchida, piano. 1 cd Decca. Cd, compte rendu critique. Schumann : Lederkreis opus 39. Frauenliebe und leben. Berg : 7 lieder de jeunesse. Dorothea Röschmann, soprano. Mitsuka Uchida, piano. 1 cd Decca. Le sens du verbe, l’élocution ardente et précise de Dorothea Röschmann rétablit les climats proches malgré leur disparité esthétique, des lieder de Schumann et de Berg. Schumann vit de l’intérieur le drame sentimental ; Berg en exprime avec distanciation tous les questionnements. En apparence étrangers l’un à l’autre, les deux écritures pourtant s’abandonnent à une intensité lyrique, des épanchements irrépressibles, clairement inspirés par l’univers profond voire mystérieux de la nuit, que le timbre… LIRE la critique complète
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