CD, compte rendu critique. Coffret Brahms : complete orchestral music. Integrale de la musique pour orchestre. Riccardo Chailly, direction. Gewandhaus Orchester Leipzig. 7 cd Decca (2006-2014). EnregistrĂ©e en plusieurs coffrets sĂ©parĂ©s selon le calendrier des enregistrements rĂ©alisĂ©s, cette intĂ©grale Brahms par Riccardo Chailly prend forme en un coffret unique Ă©ditĂ© par Decca (7 cd). Avec sa rĂ©cente intĂ©grale Beethoven, Chailly impressionne par une ampleur du son, une puissance qui sait aussi prĂ©server le dĂ©tail et une certaine clartĂ© ; tout est canalisĂ© pour l’opulence d’un dramatisme brĂ»lĂ© qui compose dans une discographie une voie mediane, Ă©quilibrĂ©e qui s’affirme comme une rĂ©fĂ©rence jamais dĂ©cevante. Soucieux de clartĂ© et de lisibilitĂ©, le Brahms de Chailly sait trancher, caractĂ©riser sans Ă©paisseur et cette surenchère produisant bien souvent une pâte dĂ©clamĂ©e, ampoulĂ©e, finalement indigeste. Chailly revient Ă l’architecture primitive et originelle du Brahms bâtisseur, prolongeant comme personne l’invention des formes depuis Beethoven. ComparĂ© Ă ses premières lectures des Symphonies avec l’autre Gewandhaus (d’Amsterdam), le geste forgĂ© et peu Ă peu sculpter Ă Leipzig, comme profitant de la rĂ©volution interprĂ©tative opĂ©rĂ©e sur Bach, a conçu une direction plus lĂ©gère et transparente dont la sensibilitĂ© instrumentale rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e, exalte les sens et fait la rĂ©ussite par exemple du mouvement lent (Andante) du Concerto pour piano n°2 (1881, cd 7), de loin la lecture la plus intĂ©ressante, profitant aussi il est vrai de l’exceptionnelle Nelson Freire (Live de 2005).
Directeur musical du Gewandhaus de Leipzig depuis 2005, Riccardo Chailly signe donc une intĂ©grale qui malgrĂ© certains passages Ă vide, comporte des instants de grâce, comme suspendus, portĂ©s par cet idĂ©al personnel de la lisibilitĂ© et de la clartĂ© qui n’empĂŞche ce que nous aimons tant chez Brahms, l’ivresse et l’extase tendre, jaillissement Ă©perdu d’une innocence prĂ©servĂ©e, intacte malgrĂ© les blessures tues, les traumatismes (Ă©couter ce mĂŞme Andante et la place accordĂ©e au chant du violoncelle : un instant de grâce).
L’intĂ©grale Brahms de Chailly demeure une leçon de musicalitĂ© respectueuse, soucieuse d’articulation et de lisibilitĂ©…
Vertus de la clarté allégée
C’est un Brahms plus nerveux, et osons dire mĂŞme audacieux au sens d’un Beethoven : les coups de timbales qui ouvrent la Première Symphonie ne signifient-ils pas voici l’aube d’un monde nouveau comme Beethoven le dit lui-mĂŞme au terme de son propre cycle symphonique dans sa 9ème ? Chailly retrouve ainsi le Brahms moderne et on pas classique, celui expurgĂ© de la tradition fin XIXè et mi XXème, hĂ©ritĂ© de ses meilleurs dĂ©fenseurs Toscanini, FĂ©lix Weingartner. Brahms l’inventeur de formes nouvelles, capable de surprendre par un itinĂ©raire harmonique et rythmique neuf, rĂ©solument improbable, Brahms le rĂ©formiste ; voilĂ le visage qui s’inscrit en lettres d’or sur le coffret Chailly : n’Ă©coutez que le dĂ©but et son dĂ©veloppement de la Symphonie n°1 (vrai poco sostenuto des cordes et transparence lĂ©gère pour plus de mordant et d’âpretĂ© voire de lumière dans cet irrĂ©pressible allant tragique initial) pour comprendre les apports du geste dĂ©poussiĂ©rĂ©, allĂ©gĂ©, nerveux, jamais surexpressif du chef italien. Sans perdre la puissance et le sentiment de la carrure colossale, le chef ajoute et soigne de bout en bout, le relief d’une lisibilitĂ© entre les pupitres qui reprĂ©cise la direction de l’architecture, les justes proportions entre les pupitres. La Symphonie n°3 dès le dĂ©but peut ainsi compter sur une parfaite prĂ©cision lisible des bois qui citent avec d’autant plus de vitalitĂ©, la rĂ©fĂ©rence aux motifs folkloriques si prĂ©sents dans le tissu brahmsien. La construction globale, l’Ă©difice de Symphonies en Symphonies dĂ©voilent par un geste prĂ©cis, affinĂ©, des arĂŞtes vives, des passages et des modĂ©natures insoupçonnĂ©es (lissĂ©es ou expĂ©diĂ©es par les chefs moins scrupuleux). ComplĂ©ment exaltants Ă la clartĂ© architecturale des 4 Symphonies, les Ĺ“uvres concertantes, pour violon ; pour violon et violoncelle, Ă©clairent Ă©galement un mĂŞme souci d’Ă©locution : le Concerto en rĂ© (1879) s’impose Ă©videmment parmi les meilleures rĂ©ussites du coffret. C’est peu dire que le violon de Kavakos transcende le Concerto en rĂ© (prise de 2013) par la finesse sans aucune emphase de son instrument. C’est droit, vif, prĂ©cis, allĂ©gĂ© lui aussi, dans la lumière et d’une clartĂ© absolu (trilles aiguĂ«s inouies, d’une ciselure arachnĂ©enne), exprimant la fusion, cet esprit d’effusion souple et tendre unissant orchestre et violon dans une seule et mĂŞme caresse amoureuse : Leonidas Kavakos est Brahmsien comme Chailly : jamais dans la dĂ©monstration et la pure virtuositĂ©, rĂ©vĂ©lant des couleurs intĂ©rieures enfouies, intimes, pudiques d’une infinie douceur.
MĂŞme incandescence et mĂŞme entente partagĂ©es par les deux solistes du Double Concerto (live de 2008) : le violoncelle de Truls Mork et le violon de Vadim Repin, vif argents, d’une sobriĂ©tĂ© Ă©prise d’Ă©lĂ©gance chambriste, toujours articulĂ©e et d’une subtilitĂ© d’accents… Les nouveaux rĂ©glages de Chailly se ressentent d’autant mieux dans une Ĺ“uvre qui alterne de façon souvent vertigineuse les parties dĂ©volues Ă tout l’orchestre et l’incise murmurĂ©e et plus ciselĂ©e du chant Ă deux voix. Chambriste et concertant, comme un Concerto grosso, la partition semble diffĂ©rente Ă tout ce qui fut jouĂ© jusque lĂ .
En s’appuyant sur la tradition brahmsienne de l’orchestre de Leipzig, songeons que l’orchestre a créé en 1859 le Premier Concerto pour piano, Riccardo Chailly peut sculpter une sonoritĂ© qui a sa base romantique des plus lĂ©gitimes. En apportant un regard scrupuleux, veillant Ă la lisibilitĂ© des timbres comme des pupitres, le chef rĂ©ussit son objectif : retrouver un Brahms plus incisif, plus transparent dont le souci de l’architecture et de la couleur se dĂ©voilent magistralement. En somme Brahms Ă©tait un moderne. Loin des clichĂ©s qui en font le suiveur conservateur et orthodoxe de Beethoven, rĂ©solument rival de Mahler Ă Vienne. L’histoire d’un Brahms dĂ©poussiĂ©rĂ© s’Ă©crit maintenant grâce Ă son pionnier dĂ©sormais incontournable, Riccardo Chailly.
Tracklisting Intégrale pour orchestre de Brahms :
CD1: Symphonie no. 1Â op.68; Symphonie no. 3Â op.90
CD2: Symphonie no. 2 op.73; Symphonie no. 4 op.98; version alternative du début de la Symphonie n°4
CD3: Ouverture tragique op.81; Intermezzo op.116 no. 4 (arr. Paul Klengel); Intermezzo op.117 no.1 (arr. Paul Klengel); Variations sur un Thème de Haydn op.56a; Liebeslieder-Walzer op.52; Andante, Symphonie no. 1 – première de la version originale; Academic Festival Overture op.80; Danses hongroises nos. 1, 3 & 10
CD4: Serenade no. 1 op.11; Serenade no. 2 op.16
CD5: Concerto pour violon op.77 [Leonidas Kavikos]; Concerto for Violin & Violoncelle op.102 [Vadim Repin, Truls Mörk]
CD6: Concerto pour piano no. 1Â op.15 [Nelson Freire]
CD7: Concerto pour piano no.2 in B flat op.83 [Nelson Freire]
Orchestre du Concertgebouw de Leipzig
Leipzig Gewandhausorchester
Riccardo Chailly, direction
CD, compte rendu critique. Coffret Brahms : complete orchestral music. Integrale de la musique pour orchestre. Riccardo Chailly, direction. Gewandhaus Orchester Leipzig. 7 cd Decca 4788994 (2006-2014). Parution : mi octobre 2015.