CD, coffret. Pierre Boulez : le domaine musical : 1956-1967(10 cd Accord). Pas encore trentenaire, Pierre Boulez (né en 1925) fonde et défend l’activité du Domaine musical pendant presque 12 années avec la ferveur d’un militant œuvrant pour le renouvellement salutaire de l’écriture musicale. Ce coffret de 10 cd en témoigne, en s’intitulant légitimement « Aventure » du domaine musical, de 1956 à 1967. Les Leçons de Messiaen, de Leibowitz sont déjà du passé : le compositeur qui a rencontré René Char dès 1947 a déjà écrit Visage nuptial, Le Soleil des eaux, Sonates pour piano, Livre pour Quatuor… a commencé alors la composition du Marteau sans maître toujours sur des poèmes de Char. Directeur musical de la Cie Renaud-Barrault, participant à l’école de Darmstadt, Boulez fait figure d’avant-gardiste radical, parfois ultra mais déterminé, tel un guerrier farouchement et passionnément défenseur de la création contemporaine. Le terreau sur lequel s’est développé une sensibilité aussi affûtée regroupe les compositeurs de la 2ème école de Vienne, les sérialistes eux-mêmes porteurs de la modernité du XXème siècle naissant : Berg, Webern, Schönberg, triade sacrée boulézienne que Paris s’entête à dénigrer par inculture, que Boulez imposera coûte que coûte, tel le manifeste de la nouvelle connaissance musicale.
Pour le 90 ème anniversaire de Pierre Boulez, Accord publie un coffret dédié au Domaine musical
Domaine d’expérimentation et de création
Le Domaine Musical propose très vite dès 1954, des cycles de concerts où sont joués les Viennois perturbateurs et les « amis » de Boulez, d’abord au Petit Marigny à Paris, puis Salle Gaveau enfin à l’Odéon : Boulez a suivi la Compagnie théâtrale de Jean-Louis Barrault. Le goût de Boulez s’exprime dans des programmations pointues et exigeantes qui révèlent l’acuité de la création musicale des années 1950 et 1960 : les intellectuels le suivent accréditant davantage l’initiative, devenant un phare dans l’obscurantisme conservateur de la France d’après guerre : Vieira da Silva, Serge Poliakoff, Eugène Ionesco, Henri Michaux et René Char soutiennent officiellement le défrichement et l’instinct novateur du jeune Boulez.
Le coffret édité par Accord rétablit le musicien chercheur dans son « laboratoire », dévoilant la modernité indiscutable et l’équilibre artistique de ses cycles de concerts. S’y distingue nettement l’intelligence d’une pensée musicale très structurée dont le plan très clair stimule les curiosités et peut aisément être un modèle de clairvoyance comme de discernement pour les programmateurs d’aujourd’hui. Mais disons-le tout net, à part le festival Présences de Radio France, seul festival dédié aujourd’hui à la création contemporaine, les cycles de concerts actuels paraissent bien ternes et lisses comparés à ce que fut le contenu du Domaine Musical sous la direction de Boulez.
Boulez conçoit d’abord un périmètre de bases et de références structurantes : Machaut, Dufay, Gesualdo (et ses transgressions harmoniques), Bach évidemment (dont l’Offrande musicale est présente dès le premier concert), Gabrieli (comme en témoigne le cd 9, saison 1956, 3ème concert). Puis un cercle mouvant de sensibilités plus proches : Debussy, Ravel (vite écarté), Stravinsky (le plus novateur et certainement pas le néoclassique, voir le cd 5), enfin Varèse, Bartok… (voir le cd 2 : « références françaises » ; Debussy, Syrinx ; Varèse et Messiaen dont les Sept Haïkaï…). Essentiels aussi, les champs les plus excitants demeurent les partitions des Viennois particulièrement les œuvres de Webern. C’est ici le contenu des cd 6,7 et 8 : comprenant La nuit transfigurée, Pierrot lunaire Sérénade, Suite pour 7 instruments de Schoenberg ; Six pièces pour orchestre, Lieder, Cantates, Symphonies pour 9 instruments de Webern, Trois pièces pour orchestre de Berg…
Boulez programme surtout les travaux de ses contemporains, ceux de sa génération, rencontrés entre autres à Darmstadt... et qui se sont reconnus à travers l’héritage commun des Viennois : Nono, Stockhausen, … (déjà présent au concert inaugural dirigé par le chef Hermann Scherchen), sans omettre Berio, Maderna, Kagel (le plus iconoclaste pour les Parisiens), Ligeti, Bussoti, Holliger, Boucourechliev, Barraqué, Henze, et plus épisodiquement, Xenakis : voir les cd 4 (« les compagnons de route » : Kagel, Nono, Henze, Pousseur, Stockhausen). Et parmi les nouveaux élèves de Messiaen, Boulez programma de nouvelles écritures dont celle de Jean-Claude Eloy, Méfano, Lehmann… ou Gilbert Amy lequel succèdera à Boulez à la direction du Domaine, pour 7 saisons suivantes. De Messiaen, en disciple respectueux et admiratif, Boulez programme les oeuvres tardives, celles que le dispositif instrumental du Domaine lui permet de créer ainsi : Oiseaux exotiques (mars 1956), Catalogue d’oiseaux (avril 1959), ou Sept Haïkaï (octobre 1963) restent des jalons de la programmation défendue au sein du Domaine.
Parmi les indispensables / incontournables du coffret, mentionnons ainsi le cd 1 qui conserve la mémoire du concert du 10è anniversaire comprenant Stockhausen (Kontra-punkte), Berio (Serenata), Boulez (Le Marteau sans maître), Oiseaux exotiques de Messiaen (sous la direction de Boulez) ; le cd 3 qui regroupe des œuvres de Boulez (Structures, Livre I ; Sonatine pour flûte et piano, Sonate n°2 pour piano par Yvonne Loriod. Enfin l’écoute du cd 10, offre les explications et présentation de Pierre Boulez lui-même à propos de l’aventure de Domaine musical, lors d’un entretien radiophonique réalisé en septembre 2005, couplé avec le premier enregistrement du Marteau sans maître pour voix d’alto et 6 instruments en 1956. Coffret majeur pour les 90 ans de Pierre Boulez en 2015.
CD, coffret. Pierre Boulez : le domaine musical : 1956-1967(10 cd Accord)
