vendredi 19 avril 2024

Arsilda, 1716

A lire aussi

Deux ans après Orlando Finto pazzo, Vivaldi semble d’une inspiration intacte sinon décuplée. Il compose alors un nouvel opéra, Arsilda et un oratorio, le seul dont il nous reste la partition à ce jour, Judith triomphans. Après un court séjour au théâtre San Moisè, Vivaldi créée sur la scène du San Angelo, son Arsilda, le 27 octobre 1716, marquant son retour dans le théâtre qui avait accueilli son premier opéra vénitien, Orlando Finto Pazzo. Or des indices laissent passer que la partition de l’œuvre devait être prête bien plus tôt, peut-être déjà en 1715, année où le livret fut malheureusement interdit par la censure. Vivaldi toujours opiniâtre, avait lui-même réécrit le texte qui fut finalement avalisé par les Inquisiteurs le 18 octobre 1716.
Le texte censuré en 1715 était l’œuvre du poète à la mode, proche de Apostolo Zeno et librettiste de Gasparini, Albinoni, et de Leonardo Leo à Naples : Domenico Lalli. Celui-là même qui lui écrivit le livret de son premier opéra de 1713, Ottone in villa.
Lalli prit très mal la censure condamnant son propre texte. Il accusa Vivaldi d’être l’instigateur de cette interdiction, allant même jusqu’à mettre en doute ses talents de compositeur. Les deux hommes n’allaient plus collaborer et même Lalli, devenant le directeur des théâtres Grimani (San Giovanni Grisostomo et San Samuele), leur conflit allait s’intensifier : Lalli s’opposant à ce que soient produits sur la scène des ses théâtres tout opéra vivaldien.
Au moment où notre musicien crée Arsilda, le San Moisè représente un opéra de Porta, disciple prometteur de Gasparini et le Grisostomo, L’Ariodante de Pollarolo. Contexte concurrentiel qui montre l’activité musicale dans la Cità et la ferveur lyrique des vénitiens.
Arsilda fut un triomphe. Et après l’Orlando Finto Pazzo, un nouveau jaillissement du génie de Vivaldi capable de fulgurances dramaturgiques (à présent qui lui étaient totalement attribuables puisqu’il réadapta totalement le livret originel de Lalli), somptuosité de l’orchestre et excellence dans l’écriture des airs solistes, auxquels il adjoint aussi plusieurs chœurs. Et là encore comme pour Orlando, Vivaldi fit preuve d’un authentique discernement artistique quant aux voix requises. En recrutant la contralto bolonaise Anna Dotti pour le rôle-titre, il s’assurait un talent exceptionnel qui devait lui aussi rejoindre Haendel à Londres pour créer le rôle d’Irene dans Tamerlano. En Annibale Pio Fabri, Vivaldi trouvait un ténor digne des airs écrits pour le personnage de Tamese : acteur autant que chanteur de premier plan qui à l’époque d’Arsilda est à l’orée de sa carrière. L’interprète apparaît d’ailleurs au même moment dans les œuvres de Polarolo et de Lotti, programmées au Grisostomo.
L’engouement du public pour cette nouvelle partition vivaldienne est tel que la cour de Dresde reprend l’ouvrage : il est probable en effet que le Prince Electeur de Saxe, en visite à Venise en 1716, assiste aux représentations du San Angelo et rapporte une copie de l’opéra. Les sources d’un rayonnement immédiat d’Arsilda sont attestées aussi à Prague au théâtre Sporck (il est vrai dirigé par le vénitien Antonio Denzio) mais encore à Varsovie. D’une exceptionnelle invention mélodique, Arsilda donna matière à des réemplois : Vivaldi réutilise son air « Vedrai nel volto » dans Tito Manlio (1719), puis Tigrane (1724).
Prélude à la psychologie furieusement passionnelle d’Orlando Furioso de 1727, Arsilda montre un musicien particulièrement soucieux d’écrire au plus juste le climat musical qui sied à la psychologie de chaque personnage. Il produit plusieurs portraits indiscutables : Arsilda est divisée entre ses deux amours (son époux et son ancien amant Tamese) ;Lisea, -sœur jumelle de Tamese, et qui se fait passer pour lui !-, sous le masque de la constance, est un cœur vacillant déjà romantique ; Mirinda est une incarnation du désir le plus incandescent ; Barzane est le caractère le plus embrasé, passant de la fureur à la contrition la plus sincère…
En ciselant son écriture autant pour les voix que pour l’orchestre, Vivaldi atteint dans Arsilda, œuvre à redécouvrir d’urgence, un équilibre esthétique d’une exceptionnelle cohérence.

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 18 avril 2024. SIBELIUS : symphonie n°7 [1924] – BEETHOVEN : « GRAND CONCERTO » pour piano n°5 « L’Empereur » [1809]....

SUITE & FIN DU CYCLE SIBELIUS... La 7ème est un aboutissement pour Sibelius pour lequel l'acte de composition est...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img