Fruit heureux de la pandémie, l’intégrale des Mélodies de Jules Massenet (1842-1912) pourrait bien être l’édition événement de la fin 2022 et de ce début 2023 (parue en nov 2022). Outre son indiscutable valeur artistique, la réalisation éditée par l’éditeur québécois Atma est celle de tous les records. Du jamais vu même et depuis longtemps dans l’industrie classique.
une intégrale de tous les records
l’éditeur québécois ATMA,
premier acteur pour la mélodie française
Aucun éditeur français ne s’était attelé à cette tâche… pharaonique (333 mélodies ainsi enregistrées, 15 heures de musique, de surcroît exigeante, réclamant finesse, style, articulation, nuances…autant dire que malgré l’ampleur du chantier, rien n’a été sacrifié, surtout pas les nuances ni le souci d’articuler le texte. C’est en réalité un travail de ciselure qui rétablit l’inspiration de Massenet dans le genre de la mélodie). Et la pandémie aura accélérer le processus d’enregistrement, bouclé en 5 ans plutôt que … 10 !
Cette première intégrale est encore à géométrie variable car d’autres mélodies sont encore à retrouver, travail de recherche et d’édition, mené par un défricheur infatigable… le baryton Marc Boucher, pilote principal du projet et qui a œuvré en véritable archéologue, dévoilant chez Massenet, le mélodiste aussi affûté que fécond, en lien étroit avec son indiscutable génie à l’opéra. Le champs d’investigation est encore vaste et d’autres pièces referont surface à l’occasion et dans la suite de cette intégrale que plus personne n’attendait.
Choix des chanteurs et du piano ÉRARD…
Or à l’automne 2021, Karina Gauvin, Marie-Nicole Lemieux, Julie Boulianne, Jean-François Lapointe, Frédéric Antoun, … soit la crème du beau chant québécois, sont disponibles ; en plein silence imposé, chaque chanteur diseur a à cœur d’exprimer la passion et le miracle émotionnel de chaque mélodie… pour plusieurs sessions à Saint-Benoît à Mirabel ; se joignent au projet une nouvelle générations de chanteurs tels Florence Bourget, Sophie Naubert, Anna-Sophie Neher, Emmanuel Hasler, Magali Simard-Galdès… face aux défis de la mélodie française romantique, l’enjeu est aussi la transmission et la conservation d’un art vocal dont les québécois sont aujourd‘hui les dépositaires et les acteurs principaux. Même en France, le cycle paraît toujours inenvisageable.
Ayant participé déjà aux intégrales Poulenc et Fauré chez Atma, Marc Boucher se soucie du style et du bien fondé des choix d’interprétation. On sait combien la façon d’articuler et de prononcer le français dans la mélodie est loin de faire l’unanimité. Or Massenet a précisément annoté ses partitions : coulées, portandos, glissandos sont clairement indiqués.
Le choix des interprètes s’est révélé primordial, Massenet ayant écrit pour la tessiture spécifique de ses « chanteuses » dont par exemple la fameuse Lucie Arbell, jeune et ultime inspiratrice, pour laquelle il composa autour de 40 mélodies, parmi les plus profondes (On dit, Les yeux clos…). Pour retrouver la couleur vocale du contralto Arbell, la participation de Marie-Nicole Lemieux s’est évidemment imposé. Arbell a éclairé les derniers feux d’un sexagénaire encore inspiré : massenet réécrit le rôle de Perséphone dans Ariane ; surtout il lui réserve le personnage de Thérèse dans son drame révolutionnaire éponyme, puis Posthumia, vieille aveugle dans Roma, et Cléopâtre…
La réussite de l’entreprise Atma vient aussi d’une excellente implication collective, en particulier de l’engagement du pianiste, fidèle partenaire de Marc Boucher, Olivier Godin, artiste total au toucher de rêve, parfaitement adapté aux mécaniques historiques comme l’instrument requis pour l’entreprise: un rare Érard (Paris, 1854), réglé, préparé en conformité avec les arrêtés ministériels de 1859 à Paris, c’est-à-dire le la à 435, un standard à l’époque de Massenet.
Le projet associe donc exploration musicale et recherche musicologique, travail vocal et organologie, et donc calibrage sonore spécifique que détermine la propre sonorité feutrée, précise, cristalline du piano historique.
Génie du mélodiste Massenet
Outre la justesse de l’interprétation, l’apport se révèle inestimable… Dans sa notice très
argumentée qui vaut plaidoirie en réhabilitation, Jacques Hétu, qui a travaillé étroitement avec Marc Boucher, souligne combien l’art musical de Massenet sait épouser la force émotionnelle et expressive des mots ; choisit tel accent harmonique afin de souligner et suggérer une nuance poétique, enrichissant encore et encore sa prodigieuse palette amoureuse… Écouter l’intégralité des 333 mélodies ainsi rétablies, révèle comme jamais auparavant, cette quête constante d’un cheminement acoustique qui désigne chez Massenet, le bâtisseur sonore capable d’exprimer musicalement, la moindre intention psychique. Loin de toute froideur systématique (et mécanique), Massenet diversifie amoureusement son écriture dans la connaissance intime des possibilités vocales de ses interprètes, ciselant cette art d’un naturel voluptueux, qui étonna et charma jusqu’au jeune Debussy. Comme Duparc, plus célébré par ses mélodies, Massenet témoigne pourtant d’une même exigence, d’une même probité musicale et poétique, assimilant les germaniques (Schubert et Schumann), affirmant un tempérament comme Duparc wagnérien, tout en inscrivant le genre dans un futur français où le raffinement voire la profondeur et la conscience tragique écartent l’échec de la sensiblerie. Une texture à part, désormais très caractérisée qui se distingue du « mordant » brumeux germanique, de la « vocalità » italienne – même comme nous le pensons, Massenet, l’amoureux des femmes renoue avec la sensualité montéverdienne.
Voilà qui tempère en particulier et sérieusement, l’œuvre des détracteurs de Massenet, habiles fossoyeurs pour lesquels le style amoureux, « féminin », voluptueux manque de virilité comme de finesse poétique, à la différence des mélodies d’un Fauré par exemple. A la Belle Époque, sensible à l’Art Nouveau, Massenet, génie incontestable sur la scène lyrique, n’ignore aucune des finesses de la déclamation française, de surcroît affinée sur l’autel de la musique intime avec le piano ou quelques instruments. L’âme de Massenet, le moins misogyne parmi les auteurs de son temps, célèbre en réalité, dans ses mélodies, le désir et l’amour, ivresse et extase à la fois, qu’il s’agisse d’expression profane érotique (Amoureuse) ou spirituelle (Sainte-Thérèse prie). L’auteur d’Esclarmonde et de Manon, mais aussi de Thaïs (surtout de Thaïs) sait dépeindre tous les tourments et les moindres pulsions d’un cœur qui s’enflamme, désire ou renonce…
Pas d’odyssée musicale d’un tel format sans… financement adapté. Le festival Classica (fondé et dirigé par Marc Boucher) participe à hauteur de 100 000 dollars complétant ainsi les 200 000 autres, produits par 3 mécènes fidèles : Jacques Marchand, Marie-ChristineTremblay et Marie-Paule Laurans. Enfin, Guillaume Lombart, propriétaire d’Atma, a souhaité pour sa part rémunérer chaque soliste à la mélodie, soit un budget additionnel de 50 000 dollars : soit un global de 350 000 dollars au minimum ; du jamais vu au Québec, voire dans le monde pour un tel cycle de musique française.
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ANNONCE, COFFRET événement. Jules Massenet : Intégrale des mélodies pour voix et piano. Karina Gauvin, Sophie Naubert, Anna-Sophie Neher, Magali Simard-Galdès, sopranos / Julie Boulianne, Florence Bourget, Michèle Losier, mezzo-sopranos / Marie-Nicole Lemieux, contralto / Frédéric Antoun, Antoine Bélanger, Antonio Figueroa, Emmanuel Hasler, Joé Lampron-Dandonneau, Éric Laporte, ténors / Marc Boucher, Jean-François Lapointe, Hugo Laporte, barytons. Avec Jean Marchand et Marie-Ève Pelletier (récitants), et Antoine Bareil (violon), Stéphane Tétreault (violoncelle), David Jacques (guitare), Valérie Milot (harpe). Olivier Godin (piano Érard 1854). ATMA 13 CD ACD 2 2411. Coup de cœur de la Rédaction / CLIC de CLASSIQUENEWS
PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur ATMA : https://atmaclassique.com/produit/massenet-integrale-des-melodies-pour-voix-et-piano/
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