jeudi 28 mars 2024

Ambronay. Abbatiale, vendredi 10 septembre 2010. Premier concert du 31è festival. Claudio Monteverdi: Vêpres à la Vierge (1610), nouvelle version critique. Cantar Lantano. Marco Mencoboni, direction.

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Sources bolonaises

Pour son premier concert dans l’Abbatiale, le festival d’Ambronay 2010 manierait-il l’audace voire l’irrévérence comme intention désormais emblématique de sa programmation? Après avoir fêter ses 30 ans en 2009, consacrant les grands noms qui ont fait son rayonnement depuis ses débuts, Ambronay 2010 au-delà des postures interprétatives comme ce soir, poursuit une démarche défricheuse et recréative exemplaire: en favorisant les jeunes ensembles (aux côtés de « Méditerranée(s) », le second thème de cette année est la relève), la résurrection de partitions oubliées ou méconnues, il s’agit aussi d’entretenir un regard critique: critique sur les grandes partitions du répertoire baroque (dont fait partie évidemment le Vespro montéverdien); regard critique surtout sur les styles interprétatifs. Les musiques baroques, en particulier sacrées (à l’honneur à Ambronay) sont depuis toujours de formidables sources d’expérimentations dont les multiples facettes sont autant de clés d’entrée pour l’interprète. Eclectique et incertain quant à son usage à l’époque de l’auteur, le cycle des Vêpres ne laisse pas de nous surprendre: c’est un défi pour l’auditeur et un chantier jamais définitivement arrêté pour tous les chefs qui s’y frottent. En témoigne, la vision de Marco Mencoboni dont la compréhension nouvelle s’appuie sur une travail de recherche scrupuleux à partir des partitions originales de Ricciardo Amadino (1610), conservées au Musée de Bologne.


Dénaturation ou exacerbation ?

Voici une lecture transgressive des Vêpres, donnée à Ambronay en première française, que les puristes conspueront sans réserves en posant l’exclusive question: « dénaturation ou exacerbation? »: des options de tempi inimaginables et jamais entendues jusque là, déforment les proportions de la partition montéverdienne, en dénaturent aussi la relation des parties entre elles… Or que savons-nous au juste des Vêpres du grand Claudio, si ce n’est qu’elles ne furent peut-être jamais données dans l’ordre que nous connaissons, du vivant de l’auteur; que sa valeur démonstrative et didactique confirme les immenses talents compositionnels de Monteverdi, autant dans le style ancien que moderne; qu’il s’agit d’un recueil de morceaux de maestrià, moins liturgiques que destinés surtout à attirer l’attention du pape Paul V Borghese, car Claudio en 1610 souhaitait trouver un nouveau poste hors de Mantoue…
à Rome peut-être. Voilà donc une oeuvre à compréhension multiple qui porte en elle, dès sa genèse, une forte valeur expérimentale. Comme de nombreuses zones d’incertitudes…

Il n’en fallait pas davantage au chef Marco Mencoboni pour « oser » aborder, en guise de concert inaugural du 31è festival, le cycle entier avec cette audace et ce goût du défi dont il est devenu coutumier.
Le geste ici défendu a été déjà créé en Italie à Mantoue, justement dans la basilique palatine Santa Barbara (décembre 2009), là où Monteverdi dirigeait sa propre musique… et pourquoi pas partie ou totalité de ses Vêpres?
Le chef souligne l’ampleur révolutionnaire du recueil, sa théâtralité magicienne en dirigeant deux choeurs séparés: l’un à la place traditionnelle des ensembles jouant sous la voûte de l’Abbatiale d’Ambronay; le second, derrière les spectateurs, côté porche occidental. La nef y devient boîte de résonance, écrin à géométrie variable selon l’humeur de l’apprenti sorcier, immergeant le public dans la musique; du reste, une bonne partie du concert multiplie les effets acoustiques, les déplacements des chanteurs et les combinaisons d’ instruments.


Monteverdi gagnant

Le point culminant de cette manière « nouvelle », tout au moins très personnelle, étant atteint dans l’Audi coelum et sa section finale (à partir du choeur Omnes hanc ergo sequamur): là où tous les chefs accélèrent la cadence en un choeur triomphal trépidant, le chef perturbateur déploie une marche ample et solennelle, puissante et sensuelle, celle d’une foule qui marche tranquillement, mais éblouie et d’un pas mesuré, vers la Vierge miraculeuse: « Suivons-la tous, car par sa grâce, nous obtiendrons la vie éternelle… ».
L’effet ne manque pas de troubler tant il déconcerte a contrario de toutes les options défendues (écoutées) jusque là.

La direction souvent électrique et théâtralisée
du chef, en gestes frénétiques, peut gêner: on y décèlerait une secrète tentation maniériste, finalement hors sujet s’agissant d’une oeuvre du premier baroque, qui se joue avec maestrià des contrastes entre les deux styles (palestrinien et nuovo) alors à l’époque: prima et secunda prattica. Ce soir, Monteverdi y aurait-il reconnu son oeuvre?
En dehors du style, c’est surtout la question du texte, et sa projection si essentielle chez l’auteur du Couronnement de Poppée qui parfois semble passer au second plan. En une agitation collective continue, le relief des individualités ferventes s’émousse. Pourtant, le Pulchra es est bien compris et la saisissante violence (sensuelle) de son texte, porté avec une excitation manifeste. Le Duo Seraphim réunit en trio, les 3 meilleures voix masculines et la Sonata sopra Santa Maria élève par son angélisme céleste.

D’une manière générale, le spectateur est pris par l’activité permanente des musiciens: la vitalité et ce sentiment collectif et fraternel que porte et exalte le chef, se diffusent dans toute la nef. L’alliance et les combinaisons des timbres, voix et instruments, dialoguent en verve, respectant cet élan premier qui unifie des parties par ailleurs disparates. Aux 5 psaumes de l’office marial (Dixit Dominus, Laudate Pueri, Laestatus sum, Nisi Dominus, Lauda Jerusalem), alternés par les quatre concertos (Nigra sum, Pulchra es, Duo Seraphim, Audi Coelum), Monteverdi ajoute un Magnificat vertigineux qui fusionne les 2 manières. Fort de son premier coup de génie : Orfeo (1607), le compositeur redéfinit la musique sacrée à son époque: il fait entrer l’église dans l’ère baroque: ses perspectives aériennes, ses effets d’échos, de contrastes, d’intimité ou de fresque, souvent saisissants, ses emprunts au théâtre brûlant des passions humaines venu de l’opéra nouveau, réinventent la ferveur. Tout cela est mis en avant dans une interprétation vive et exaltée. Certains diront brouillonne et disparate. Pourtant, l’idée d’un Vespro expérimental et inventif resplendit. Il est bon d’interroger les oeuvres du répertoire en osant détruire des acquis… C’est in fine le génie unique de Monteverdi qui sort gagnant: qu’on apprécie ou rejette les options de Marco Mencoboni, la flamboyance et l’invention du compositeur nous frappent toujours autant. Dès 1610, le Vespro pourtant destiné à Rome, contient toute l’esthétique polychorale de Venise que Monteverdi pourra dès lors déployer à San Marco dès 1613. Ce monument de la musique sacrée baroque méritait bien d’inaugurer le nouveau festival d’Ambronay, d’autant plus dans une nouvelle version critique.

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Ambronay. Abbatiale, vendredi 10 septembre 2010. Premier concert du 31è festival. Claudio Monteverdi: Vêpres à la Vierge (1610). Cantar Lantano. Marco Mencoboni, direction. Pendant le festival d’Ambronay 2010, soit jusqu’au 3 octobre 2010, il est possible de télécharger gratuitement la version nouvelle des Vêpres de Monteverdi, défendue par Marco Mencoboni depuis le site du festival d’Ambronay 2010. Enregistrement live du 4 décembre 2009 à Mantoue.

Illustrations: © B.Pichene
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