Ambronay (01), 35 ème Festival. 12 septembre – 5 octobre 2014. « Célébrations »… Haut-lieu d’hexagone et même d’Europe, Ambronay célèbre tous les ans à la fin de l’été le Baroque dans tous ses états. On en est à la 35e, et si on a changé de Directeur l’hiver dernier, l’esprit du Fondateur (toujours présent dans le rôle de l’inspirateur) demeure pour les choix ambitieux des concerts, de l’Académie Européenne, des Résidences, des Recherches, des Éditions, du Patrimoine architectural, du Chapiteau, de la dispersion en lieux régionaux…. Ancien, Nouveau, thématiques … 35ème, et 1ère « sans » le fondateur, puisque Daniel Bizeray succède à Alain Brunet… L’esprit ne change évidemment pas. D’ailleurs l’Ancien conserve en la Demeure plusieurs responsabilités, notamment dans le domaine qui lui est particulièrement cher, et qui fut en son métier initial d’enseignant, la formation des jeunes « Académiciens d’Ambronay ». Mais le Nouveau – qui a travaillé « sur le terrain » des institutions culturelles – direction artistique à Saint-Etienne, Royaumont, Rouen – est bien « aux affaires » (comme disait un Militaire illustre devenu Politique), en commençant par la définition et la description des objectifs pour cette 35e édition. Ambronay, devenu au fil des ans et décennies, un vaste théâtre où, comme chez tout Baroqueux qui se respecte, « la vie » où l’on «songe » aussi « l’action », continue à décliner ses quatre semaines de 2014 « autour d’un thème – « Célébrations » – en quatre chapitres : anniversaires de compositeurs, grand répertoire sacré, expériences musicales inédites, ensembles émergents européens -.
Un enfant et son Ange Gardien
« Que la fête commence ! », conclut le prière d’insérer qui cite ainsi une Ode (du 7e Art) aux menus et larges plaisirs qu’on sut se donner dans la France du Régent… Et tâchons de suivre en chronologie ces quatre semaines (aux temps forts en fins de semaine), leurs « 30 concerts en lieux différents, grâce à près de 1500 artistes ». Et justement, le 1er week-end s’ouvre dans la présence enthousiaste et passionnée de Leonardo Garcia Alarcon, qui dans un entretien du printemps (avec Emmanuelle Giuliani, dans La Croix) se dit « enfant d’Ambronay », au sens le plus filial vis-à-vis d’Alain Brunet, « mon ange gardien, l’une des plus rencontres de la vie » pour ce jeune Argentin dont le Patron détecta aussitôt les dons immenses de chef, d’interprète et de chercheur. L.Garcia Alarcon fait donc l’Ouverture du Festival, entraînant ses solistes (Mariana Flores, Fr.Aspromonte, R.Pé, E.Gonzalez-Toro, M.Bellotto ) et les membres de sa Cappella Mediterranea dans une nouvelle aventure : après la redécouverte du sublime Falvetti (Il diluvio universale), on puise aux racines de la musique baroque sicilienne, via les « mystérieuses archives de la cathédrale de Malte ». A côté de madrigaux des célèbres Gesualdo, d’India et A.Scarlatti, des nouveaux du Temps Retrouvé par Alarcon : Michele Mascitti, Cataldo Amodei.
La Peste
Puis, parlons ( d’)anniversaires… Ceux de mort ont du sombre, en face des clarteux de naissance. Ainsi, il y a un quart de millénaire (250 ans, si vous préférez), Jean-Philippe Rameau s’en alla rejoindre la mécanique céleste et l’harmonie des sphères dont avait génialement parlé sa musique. Pour célébrer sous le ciel septembrien d’Ambronay, voici les pièces de clavecin en concert, accompagnées des Quatuors Français par lesquels l’Allemand prolifique Telemann rendait hommage à J.P.R. Ce sont les Ombres (non Errantes), créées il y a 8 ans par Sylvain Sartre et Margaux Blanchard, qui portent ce programme : un jeune ensemble de la 4e Génération des Baroqueux (si nous comptons juste), mis en avant par Ambronay dès 2010 et qui a enregistré sous ce label Couperin et ses Nations. De l’autre côté du « génie françois », M.A.Charpentier offre les fastes de sa Victoire de Milan ; cependant pour une fois cela n’aura pas été obtenu par les armes, mais par le courage d‘un collectif contre la mort épidémique, animé à Milan (1576) par Charles Borromée, prélat qui ne quitta pas sa ville et y soigna les malades sans les culpabiliser (voir le claironnant Père Paneloux dans La Peste camusienne), comme les futurs humanistes de la ville assiégée ( Rieux, Tarrou)….En complément, un Te Deum (ça, c’est guerrier !), une Messe pour les Trépassés, une Leçon de Ténèbres : autre jeune groupe (5 ans d’âge), Correspondances, qu’a fondé et mène à … la victoire Sébastien Daucé (cd.Charpentier chez Harmonia Mundi).
Porpora et Gardel
Mise en miroir de deux autres génies, l’un Italien, Nicolo Porpora (1686-1768), illustre professeur de chant pour non moins illustres castrats (Farinelli…), puis de composition pour Josef Haydn. L’autre, longtemps Italien avant de finir Anglais, l’Allemand Haendel. Ouvertures et airs d’opéra sont choisis par l’Academia Montis Regalis (depuis 1994) et son chef Alessandro de Marchi, avec le contre-ténor argentin Franco Fagioli : ce très-aimé vocaliste ne sera-t-il pas en écho culturel des Hommages à Carlos Gardel par le bandonéiste William Sabatier ou du chanteur Diego Flores ? On s’enchantera aussi d’un Rêve d’Ariane sous chapiteau, jolie histoire de la comédienne belge Ariane Rousseau, qui se délasse des idées noires (criminologiques, sa formation universitaire) en contant aux enfants l’histoire du quatuor à cordes (Quatuor Alfano, depuis 2008).
Le Fils de Qui Nous Savons
Au 2nd week-end, un vrai anniversaire joyeux (300e de la naissance) pour Karl-Philipp Emmanuel Bach – Fils Prodigue de Qui-nous-savons, ange du bizarre qui ouvrit voie royale au pré-romantisme-, par la grande piano-fortiste et- claveciniste Aline Zylberajch (passionnée d’instruments anciens, enseignante, interprète au cd-Ambronay). Sonates, variations, et portraits de K.P.E., dont l’œuvre-testament de 1787 (« les sentiments de K.P.E. ») se lit comme un autoportrait terminal de Rembrandt…. En remontant vers le Père, immense classicisme (qui est aussi Théâtre Sacré) de la Passion selon Saint Jean, où le génie de Johann-Sebastian est magnifié… dans une économie du nombre, le chef israëlien Itay Jedlin et son Concert Etranger (2006) travaillant selon l’esprit minimaliste de Joshua Rifkin ou de S.Kuijken, un ou deux chanteurs suffisant à chaque partie vocale, cette transparence divisant d’ailleurs le monde baroqueux initialement en guerre contre les super-effectifs qui faisaient naguère crouler Bach sous un néo-romantisme massif…
Vivaldi, Biber et le naturalisme
Les Quatre Saisons vivaldiennes, quel « boulevard du Temps qui passe » ! Enrico Onofri, superbe virtuose, le met au programme de son Imaginarium, lui qui fut 1er violon chez Jordi Savall et le demeure au Giardino Armonico. Le concert s’ouvre sur une mélodie « symbolisant la disparition de l’hiver derrière les montagnes », air du XVIIe qui a transité par La Moldau de Smetana et l’hymne national israëlien. On continue avec une version instrumentale du Chant des Oiseaux de Janequin, des chansons de Merula, d’Uccellini (« mariage d’un coucou avec une poule »…), sans oublier la Sinfonia Representativa de Biber, qui fait intervenir chat, grenouille et rossignol. Bref, le naturalisme baroque au point de joyeuse incandescence….Le w.e. fait large place aux « paysages sonores » (jardins, tour de l’abbaye), ouvrant même le jeu à une « rencontre baroque-improvisations du Ciel et des Ténèbres », par les Musiciens du Louvre, le collectif La Forge et la Cie Nine Spirit. Un Cactus, synthèse des musiques baroques, est conté aux enfants par un groupe parole-chant (L.Carudel, B.Le Levreur). Pour ne pas négliger les absolus du baroque italien ivre de « la musica e le parole », Profeti della Quinta (jeune ensemble issu de la Schola de Bâle) madrigalise entre Monteverdi, Rossi, Luzzaschi et le Prince des Ténèbres Ambiguës, Gesualdo. « A l’inverse », on clôt avec Israel en Egypte, où Haendel Londonien compose à la fin des années 1730 une « vaste épopée chorale exaltant les exploits du Peuple Elu ». C’est un des illustres aînés anglais (2nde génération baroqueuse ?), Roy Goodman, qui conduit le vénérable Nederlands Kamerkoor (fondé à la fin des années 1930 !), explorateur de la musique la plus ancienne (et médiévale) à celle de notre temps (Kagel, Tavener, Canat de Chizy).
Dynastie Rebel, Jordi citoyen du Monde
Au 3e Temps, encore du Haendel en son Dixit Dominus, de « grande théâtralité » romanissime, et un anniversarié (300e de la naissance), Nicolo Jommelli, maître de chapelle au Vatican mais très novateur d’esthétique pour un Beatus Vir, au programme des cadets du Ghislieri Choir and Consort, menés par le non moins jeune Giulio Prandi. Puis on voyagera dans la généalogie familiale des Rebel – le père, Jean-Féry, le fils, François – et les amitiés de François R. avec … François Francoeur, en fait co-auteurs de nombreux opéras et ballets qui magnifient à la cour de Louis XV (et pour la Pompadour) un style théâtralissime avec machines. « Les Surprises », fondé en 2010 par Juliette Grignard et L.N. Bestion de Camboulas entendent bien ici nous…en faire la surprise…. Le grand aîné, ami et protecteur d’Ambronay, Jordi Savall, citoyen du monde musical, aime à confronter – mais surtout pas affronter – civilisations et cultures esthétiques, pour mieux nous faire réfléchir sur l’indispensable (jadis, aujourd’hui, demain) Paix, notamment autour de la Méditerranée et entre Europe et Asie. Ce sera ici un peu plus à l’ouest, d’Espagne en Italie, de France, Allemagne en Angleterre, son Hesperion XXI variant le thème d’un « âge d’or de la musique pour ensemble de violes ».
Miserere sans transcendance chrétienne
L’ensemble Chemirami and co, de Keyvan Chemirani, hôte privilégié d’Ambronay, dialogue avec Z.L.Nascimento et P.Edouard, fait rêver en improvisations et compositions de Brésil, Inde et Irak ; et le quatuor (lui aussi de percussions) Beat confie aux enfants son Drumblebee. Autre chapitre illustrant les principes du Festival : le récent prolonge sans rupture l’ancien, et les Folies Françoises de P.Cohen-Akenine font « Leçons de Ténèbres » et de la dramaturgie mortifère (A.Scarlatti) pour conduire vers la vision qu’en peut avoir un compositeur actuel, Thierry Pecou, «éloigné de toute transcendance » et qui voit dans son Miserere comment « une musique occidentale peut s’entrechoquer avec l’animisme africain et le panthéisme des Indiens amazoniens ». Les Cris de Paris (Geoffroy Jourdain) itinère aussi de Janequin et Tallis (le mythique Spem in alium, motet à 40 voix réelles) en « jeune France » d’Aurélien Dumont, qui utilise le dispositif multicanal « 5 point 1 », où un « cercle imaginaire – l’auditeur – reçoit les informations spatialisées de la polychoralité dispersée ».
Vrai crépuscule mozartien
Enfin, début octobre, quand couleurs et atmosphère d’Ambronay font entrer en automne, on commencera par le crépusculaire Requiem de Mozart : L. Garcia Alarcon – dirigeant le New Century Baroque de Namur – fait le tri entre l’irréductiblement mozartien et « les adjonctions » (entre autres Süssmayer), pour mieux en exalter les vertus admirables. (et pour ce concert, c’est à l’Auditorium Ravel de Lyon…). Avec Benjamin Dieltjens, il veut rendre au K.622 (l’ultime concerto, de clarinette) « toute sa charge nostalgique », notamment en soulignant la « tonalité opératique » inhérente, selon lui, à cette œuvre-testament. Plus « classiquement baroque(ux) », Fabio Biondi et son Europa Galante travaillent la vocalité violonistique et orchestrale des concertos (d’esprit italien) chez Vivaldi, Brioschi, Corelli ou Leclair, avec la révélation d’une Sinfonia funebre, de Locatelli. L’autre aîné ambronaisien, maintenant Père du Baroque, William Christie ( dites : Lézards Flo pour son ensemble mythique) fait,lui, rayonner le « Grand Motet François » : Rameau, bien sûr, et aussi Cassanea de Mondonville.
Trois fois » e «
Dans le cadre des créations, y compris linguistiques, on notera une concession à l’anglomanie régnante : il y a ici des « afters », et surtout un festival dans le Festival, eeemerging. Serait-ce que sous le Bugey en 2014, (comme dans les salons proustiens Odette de Crécy parle selon la mode « outre-Manche » et s’affiche « fishing for compliments »), on se soumet, diraient les grincheux (nous en sommes, parfois) au verbiage franco-anglais ? Donc : émergence et triple e ( euro ?), nouvelle étape de soutien aux « jeunes qui seront peut-être les stars de demain ». Car à Ambronay on repère, invite et fait jouer les neufs ensembles : ce sera Armonia degli affetti dans Chanter d’amour, Secunda Pratica dans Nouveau Monde Baroque, la Botta Forte avec Mi palpita il core, , Voces Suaves A la Cour des Gonzague… Côté enfants, les charmants Esprits Animaux, déjà « émergés », dévoilent sous chapiteau un ludique B.a.-ba du Baroque, et on monte dans le Tram des Balkans de la claveciniste Violaine Cochard qui compose, arrange et balkanise Vivaldi, Frescobaldi ou Bach.
Car on ne saurait finir le Festival 2014 sans retour et recours au Père Johann Sebastian et à ses cantates, ici pour la Saint Michel, non sans que Raphaël Pichon et son Pygmalion lui adjoignent le très original et spatialisé Heilig d’un Fils, notre cher K.P.E. si à part et en avance sur son temps…Allez, la fête commence bientôt. Bonne teufe roqueba !
Ambronay (01 ) (Abbatiale, Tour, Parc, Chapiteau et autres lieux ( Saint Maurice de Gourdans, Pérouges, Brou, Lyon) : 35e Festival, du 12 septembre au 5 octobre 2014. Concerts, rencontres, colloques, visites, ateliers, tables rondes. Information et réservation en ligne : T. 04 74 38 74 04 ; www.ambronay.org