vendredi 19 avril 2024

Aix en Provence. Festival « Côté Cour ». Le 17 juillet 2008. Récital Muriel Tomao, Brigitte Peyré (sopranos). De Naples à Séville

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Côté cour, côté coeur

Côté cour. Succédant à « Voix Off », à l’ombre du Festival d’Aix-en-Provence, le Festival « Côté Cour » crée en 1998 par Georges Cayla qui nous a quittés, poursuit son solaire chemin sous les étoiles, illuminant de spectacles et concerts originaux et conviviaux de qualité des lieux rares et exquis de la ville, villas, cloîtres, jardins, musées. Ambiances délicates et chaleureuses qui se terminent, après le spectacle, autour d’un buffet avec les artistes.
Belle ambition affichée et paris tenus : faire découvrir des voix nouvelles, présenter un large éventail musical qui va du flamenco au jazz, du fado au tango, en passant par le Baroque jusqu’à la musique contemporaine. Et, côté jardin et cour et clou de ce Festival, la création d’un opéra peu connu d’un compositeur célèbre : déjà Mozart, Campra, Pergolèse, Händel, et cette année, ce rarissime bijou juvénile de Rossini, L’Occasion fait le larron, un marivaudage en quadrille, un chassé-croisé amoureux, dans le goût du XVIII e siècle, aigre-doux des sentiments.

Côté jardin. Récital à trois, deux voix et un piano : de Naples à Séville, villes sœurs par l’histoire espagnole et, ce soir, par la musique et la voix de deux superbes soprani, Brigitte Peyré et Muriel Tomao, unies ici par la grâce de la remarquable pianiste Marie-France Arakélian. Les ayant accompagnées séparément, elle a voulu jumeler leur voix pour ce concert choisi et pour notre bonheur de cette triade complice.
Muriel Tomao, voix large, dorée, cuivrée dans le médium ; Brigitte Peyré, voix drue, argentine, sachant colorer doucement son grave ont, avec une grande souplesse alterné le premier et le second soprano, le dessus et le dessous, très musicalement, dans cet ensemble de duos scandés de solos brillants. Le trop modeste Bernard Colmet, metteur en scène discret, met en jeux ces textes -même contre eux-mêmes en les détournant- mais toujours dans le respect de la musique, en orfèvre, faisant jouer nos deux cantatrices en véritables actrices, avec un humour bien venu, intégrant aussi la pianiste à ces légères facéties.
La première partie, italienne est ouverte et close sur Rossini : la fameuse Regata veniziana fait de nos deux divas des chattes pour le beau Tonio et des tigresses pour le pauvre Beppe et, en fin, une adorable Pastorella delle Alpi, une pastourelle délicate, une bergerette délicieuse, caquetante et cocotante, métamorphose irrésistiblement Peyré en chèvre bêlante de tout l’art de sa voix d’oiseau. Entre les deux, des airs napolitains de Donizetti, très vocaux, duos à la stimulante émulation jouée en rivalité intempestive, une dramatique Visione de Tosti par Peyré et, du même, un voluptueux Marecchiare, par Tomao qui semble respirer large le large napolitain, détournée en rageuse et orageuse sérénade contre la Castafiore perturbatrice.


Pendants d’oreilles, éventail et « mantón de Manila » (grand châle) aux épaules, et voilà la partie espagnole avec toute cette vocalité virtuose populaire de grande envolée baroque débutée par le pétillant De España vengo de Luna perlé de jubilantes roulades par Brigitte, qui contraste avec l’Adela de Rodrigo, mélancolique élégie sur la mort d’amour que Muriel nous murmure avec une poignante et rêveuse intériorité qu’elle retrouvera, en tragédienne pudique, dans La canción de la Infanta, poétique texte ancien castillan admirablement mis en musique vocale et piano par Pauline García Viardot, dont nous aurons encore une habanera, invitation au voyage langoureuse, bercée de vagues alanguies, par nos deux divas que l’on a envie de suivre. On saluera encore, influence certaine des García et de Viardot, un superbe boléro de Saint-Saëns (El desdichado), en bis un air espagnol de Gounod, véritable aquarelle musicale végétale, et, pour les musiciens espagnols, la voluptueuse et nostalgique habanera de Penella, la piquante tarentelle tarentule de Giménez, piquetée de « ay ! » cocasses. Le boléro de Barbieri sur un bandit de grands chemins, chanté par les deux femmes émoustillées, est exemplaire de la subtile lecture détournée de Colmet qui culmine dans une chanson espagnole de Rossini (si hispanisé dans sa musique) où un banal madrigal devient une vraie saynète bouffe. Servi par trois belles interprètes, on en redemande.
Sans tambour ni trompette mais en musique, grâce, jeu et talent, un récital-spectacle qui honore de son originalité cet original festival.

Aix-en-Provence. Le 17 juillet 2008. Festival Côté Cour, Jardin du Musée Granet. De Naples à Séville (Airs italiens et espagnols). Brigitte Peyré, soprano. Muriel Tomao, soprano,. Marie-France Arakélian. Bernard Colmet, mise en scène.

Illustrations: Brigitte Peyré et Muriel Tomao © Florence Cayla 2008

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