vendredi 29 mars 2024

Haute-Saône. 15 ème festival Musique et Mémoire. Les 1er et 2 août 2008. Ronchamp: L’argument de Beauté, Discantus. Héricourt: Pascal Contet, accordéon.

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15 ans de recherche… et d’accomplissements

L’équation: magie des lieux / performance musicale, est rarement réussie. Si cette alliance qui fait tout le prix des concerts reste imprévisible, le festival Musique et Mémoire, le temps de son dernier week-end auquel nous assistions, fut mémorable. A l’inénarrable du lieu, la programmation artistique ajoute ce sentiment de transcendance grâce à un niveau artistique de très haute tenue. De surcroît, le festival saônois qui a fait de l’expérimentation et de la prise de risque, deux valeurs clés, poursuit plus qu’auparavant, son esprit défricheur et son activité de commande, demandant aux artistes programmés d’innover, de créer, de surprendre. Les deux spectacles dont nous sommes témoins, accréditent la réussite d’un événement de musique idéalement enraciné dans son territoire (le département de la Haute-Saône, en particulier son septentrion qui se déroule aux pieds des Vosges), dans cet espace naturel préservé dont le nom évoque désormais, tout un monde féerique: le pays des mille étangs.

Fabrice Creux, directeur de l’événement, tient son cap depuis 15 ans: baroque et modernité. Artistes associés (Chiara Banchini, Jean-Charles Ablitzer), ou en résidence comme cette année, Brigitte Lesne et son ensemble Discantus, oeuvres en création, passages de l’ancien au moderne, le Festival Musique et Mémoire pourrait en apprendre à beaucoup, qui le plus souvent tournent sur eux-mêmes, répétant têtes d’affiche et productions remâchées… A Lure, Luxeuil, Héricourt, Ronchamp, Faucogney … rien de tel: si le baroque est bien présent, au coeur même de la programmation, il y est toujours mis en perspective, suscitant dialogues et passerelles, confrontations et découvertes. Bach voisine avec le contemporain, la musique avec la danse, la musique elle-même avec la singularité des lieux du Pays. Pour preuve les deux concerts auxquels nous assistions, les 2 et 3 août 2008.

Discantus révèle une Angleterre qui donne le ton

Ronchamp. Notre-Dame du Haut, samedi 2 août 2008. L’Argument de beauté, titre de la production, tient en vérité autant à la musique qu’à la secrète magie de l’architecture. Le lieu est enchanteur dominant la plaine, massif sacré célébré depuis le Moyen-Age, et que Le Corbusier en 1955, a coiffé d’une nouvelle architecture à la fois ronde, organique, mais aussi légère, véritable rampe ascensionnelle pour une ferveur intense et archaïque. Comme une conque sur la colline, l’édifice permet d’y célébrer des messes à l’extérieur comme à l’intérieur, réorchestrant le rapport de l’homme et de Dieu, en une relation toujours perceptible, de l’intime et de l’universel. Ronchamp permet tout cela. Et le visiteur qui pénètre dans la chapelle est davantage saisi par le traitement du béton, matériau qui véhicule une nouvelle dynamique: voûte comme aspirée vers l’au-delà, murs constellés de perforations symboliques et chromatiques… Le Corbusier y compose une nouvelle partition entre l’ombre et la lumière, la forme et l’espace. Puits de lumière, transparence, surtout pour nous, mélomanes toujours en quête d’accomplissements, scénographie simple et essentielle où la musique, en de divines résonances, (dont le secret des dispositifs serait né d’une collaboration dès l’origine entre Xenakis et Le Corbusier), reconstruit la sensation du temps et de l’espace. Discantus nous offre l’aboutissement de sa résidence au Festival.

Beauté sur la colline

Le programme qui permet au 8 femmes chanteuses d’aborder les polyphonies du XVème siècle, donne la mesure des qualités acoustiques d’un écrin conçu en vérité, pour la musique: façonné pour la voix, caisse de résonance pour un chant de sublimation, celui qui célèbre en particulier le mystère et la divinité de Marie (Salve Regina...). En duo sur la chaire, en trio sur la tribune, en quatuor ou quintette, dans le corps résonant de la chapelle, les voix de Discantus, dont plusieurs processions autour du public, concrétisent cette spacialisation du geste musical, réalisent l’un des plus beaux concerts qu’il nous a été donné d’écouter pendant le Festival des Vosges saônoises… en réponse, en formation polychorale, autour de l’autel ou formant cercle autour du lutrin, les interprètes reproduisent le concert des voix angéliques, d’où s’est distinguée la voix soliste, incarnée, palpitante, de Brigitte Lesne (Salve Mundi). Les voix sont associées et même fusionnées au carillon parallèle des cloches à mains, non plus entrées précédant la voix mais accentuations du texte chanté: l’alliance est inédite. Le résultat sonore, stupéfiant … de beauté. Or le titre du programme indique clairement la recherche d’une esthétique concrète: outre la plénitude vécue par le spectateur enveloppé dans l’architecture, l’argument de beauté dont il s’agit, est du point de vue musical (celui des interprètes) celui militant pour la beauté … du son. Un son restitué selon son désir qui choisit d’après des règles précises, telle ou telle altération harmonique préétablie, mais dont la réalisation est laissée à son choix, afin de recréer la résonance et la vibration du monde céleste.

Binchois, anglophile et sacré


Le choix du programme est d’autant plus intéressant qu’il met en lumière la modernité des oeuvres de Gilles Binchois (1400-1460) dans le registre sacré dont l’écriture et les audaces harmoniques, véritable préimpressionnisme (avant l’heure debussyste), souligne combien ce natif de Belgique, reste émerveillé par la musique anglaise du XVème siècle: il a d’ailleurs, fait carrière en Angleterre. On demeure saisi par l’éclat, la brillance, la rondeur dans l’articulation douce du latin, du Kyrie, du Gloria… la flamboyance rentrée, à la fois émerveillement extatique et déploration, du Sanctus, l’échelle harmonique inouïe de son Agnus Dei. L’auteur des chansons bourguignones si célèbres, gagne une auréole spirituelle qu’on ne lui connaissait pas. La restitution interprétative est audacieuse: elle est surtout recréation vivante. D’autant plus que Discantus n’a que peu chanté les musiques de la Renaissance, plus familier des architectures médiévales, du XII ème au XIV ème siècle. Jamais la magie d’un lieu accordée à l’ivresse spirituelle d’un choeur féminin n’avait semblé à ce point couler de source. Chant pleinement investi, sonorité opulente et pleine, rythmique ciselée, concours des cloches millimétré, prononciation vivante du latin pour le plain chant du XVème siècle, (réalisée grâce aux recherches de Jean-Yves Haymoz, lequel vient saluer aux côtés des chanteuses à la fin de spectacle), le travail de Discantus a tiré bénéfice de sa résidence saônoise. Et le volume intérieur de la Chapelle Notre-Dame du Haut a donné corps et amplitude à cette ciselure chorale. L’ensemble poursuivait à Ronchamp une exploration sonore et spatiale déjà amorcée en 2007, avec dans ce même lieu, un programme bâti autour des musiques de Compostelle. Créé spécialement pour le Festival, L’Argument de Beauté, nouvel accomplissement du groupe, devrait tourner début 2009, et aussi être publié au disque chez Zig Zag Territoires au premier semestre 2009.

Bach en perspective à Héricourt

Le lendemain, autre lieu, autre problématique… pour une même alchimie. L’accordéoniste Pascal Contet improvise sur Bach (à partir de ses propres transcriptions de la Partita n°3 en la mineur), formant duo avec la danseuse, membre du Centre Chorégraphique National de Franche Comté (dirigé par Odile Dubosc), Marie-Pierre Jaux. Instrumentiste singulier, Pascal Contet a restitué à l’accordéon ses lettres de noblesse dans le champ vivant de la musique contemporaine. L’instrumentiste, véritable maître en son art, (avec cet autre poète du clavier à soufflets, Bruno Maurice), sait embraser l’instant grâce à un geste musical qui fait du concert et de l’improvisation, une offrande mémorable par sa vérité, son engagement, sa justesse. Visiblement inspiré par le jeu souverain de l’instrumentiste qui parvient à restituer d’infimes nuances de timbres, en un feu rythmique constant, la danseuse dessine un itinéraire improvisé, entre trois tabourets, puis sous les arcades du fort du Mont Vaudois d’Héricourt. Le militaire, le musical, la danse improvisée: rien de plus emblématique, avec le concert Binchois de la veille, que cette performance au carrefour des disciplines, mariant les improbables, permettant aux artistes d’oser se mettre en péril, affrontant le regard critique du public, jouant là encore de passerelles et des résonances immédiates: statisme des arcatures minérales désaffectées / mobilité recréative du corps dansant, sublimé par le jeu libre de l’instrumentiste, baroque atemporel d’un Bach désormais inusable / rituel magique d’une nouvelle célébration qui puise sa propre vérité dans la rencontre instantanée des deux artistes entre eux, de leur duo avec le public, des artistes et du public confrontés simultanément à une architecture patrimoniale inédite… Traverser le corps architectural pour gagner le lieu du spectacle fait aussi partie de son déroulement: le parcours, -précédant le temps du concert improvisé, fait de détours, traversant plusieurs galeries souterraines à peine éclairées-, a réalisé comme un préambule nécessaire vers l’autre monde, une préparation au dévoilement de l’action, jouée et chorégraphiée. Instant rare et jubilatoire.

Haute-Saône. 15ème Festival Musique et Mémoire. Ronchamp, Chapelle Notre-Dame du Haut. Samedi 2 août 2008. « L’argument de Beauté ». Discantus (Brigitte Lesne, direction). Création mondiale. Héricourt, Fort du Mont Vaudois. Dimanche 3 août 2008. « Bach, verso recto ». Pascal Contet, accordéon. Marie-Pierre Jaux, danse. Création mondiale.

Illustrations: Chapelle Notre-Dame du Haut à Ronchamp © David Tonnelier 2008 pour classiquenews.com. Discantus en répétition, puis interprétant l’Argument de Beauté © David Tonnelier 2008 idem. Pascal Contet (DR)
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