jeudi 29 mai 2025

CRITIQUE, oratorio. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 23 MAI 2025. HAENDEL : Deborah. S. Junker, JJ. Orlinski, Matthias Wolff… Amsterdam Baroque Orchestra & Choir, Ton Koopman (direction)

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1733 a été une année de crise pour Georg Friedrich Haendel et pour ses alliés politiques. Année terrible pour Robert Walpole suite à la crise de la taxe d’accise qui lui a aliéné le soutien de la noblesse. Cette année-là, Haendel approchait la cinquantaine et sa position comme compositeur d’opéras était de plus en plus contestée. Alors qu’il a vu son Orlando subir les conséquences de la création d’une compagnie rivale, The Opera of nobility, Haendel a opéré un revirement digne des meilleurs hommes d’affaires, il a créé coup sur coup deux de ses premiers oratorios proposant un modèle inédit jusqu’alors. Réunissant le dramatisme de l’opéra, un livret issu de l’écriture mais en anglais et une richesse musicale sans limites. Le 17 mars 1733 au King’s Theatre de Haymarket, l’histoire de la prophétesse Deborah déroulait ses magnificences sur la scène où le profane a vu guerriers, enchanteresses et dragons jusqu’à présent. 

 

Mais qui est Deborah ? Cette figure sui generis de l’Ancien Testament est la seule femme « Juge d’Israel« . Donnant ses jugements et ses prophéties sous un arbre dattier, l’oratorio se centre sur son rôle actif dans la libération du peuple hébreu de l’invasion des Cananéens menés par le terrible Sisera. Deborah, porteuse de la flamme divine, encourage l’ardeur guerrière de Barak et la vertu de Jaël. Pour une fois, c’est cette dernière qui réussit à occire le général cananéen. Cet épisode en particulier a été magistralement immortalisé dans une très belle toile d’Artemisia Gentileschi désormais dans les collections du Musée National de Budapest. Très rarement repris et quasiment jamais en France, Deborah est, avec Athalia et Susanna, une des plus belles partitions d’oratorio de Haendel, on se demande pourquoi ces trois chefs d’œuvre demeurent encore dans un oubli relatif dans les programmations. Deborah comporte quelques airs d’une rare beauté. Nous pouvons citer l’intense « At my feet extended low » de Sisera, le vaillant « Tyrant, no more we dread thee » de Jaël ou le divin « The glorious sun shall cease to shed » de Deborah, prophétique lueur qui embaume d’espoir la fin des combats. 

Nous nous réjouissons de pouvoir redécouvrir sur le plateau du Théâtre des Champs-Elysées cette partition sous la direction experte de Ton Koopman. On oublie souvent que le grand maestro néerlandais n’est pas simplement un des plus grands interprètes de Johann Sebastian Bach mais aussi un Haendelien confirmé et célébré. Pour cette Deborah, il nous gâte avec les instrumentistes et choristes de son Amsterdam Baroque Orchestra. Las, nous sommes étonnés du nombre important de coupures dans la partition, à commencer par l’ouverture et la quasi intégralité du rôle protagoniste de Jaël. Ces coupes rendent l’intrigue quelque peu bancale. Aussi, les tempi sont un peu trop lents à notre goût. Cependant des moments d’une pure beauté ont réussi à nous convaincre que maestro Koopman devrait revenir plus souvent à Haendel.

Sophie Junker est une Deborah idéale. Incarnant la hiératique prophétesse avec aplomb, la soprano belge à la tessiture qui convient au rôle et sa maîtrise du chant Haendelien restituent les plus beaux joyaux de cette partition à la perfection. La ligne vocale immarcescible de Sophie Junker, doublée d’une précision hors pair dans la vocalise ont rendu à Deborah à la fois la puissance fougueuse de la prophétesse et l’ardeur d’une héroïne prompte à tout pour le salut de sa foi et sa nation. Jakub Jozef Orlinski, en revanche, reste égal à lui-même. Avec un timbre chaleureux par instants mais au placement déséquilibré, il est un Barak en filigrane et n’arrive pas à surmonter certaines difficultés de la partition que péniblement. Nous avons été passablement agacés par des facéties histrioniques hors propos pour un héros biblique. 

Le reste de la distribution n’a pas été remarquable. L’Abinoam caricatural de Matthias Wolff Friedrich peinait à faire entendre la musique de Haendel. Le Sisera soporifique de Sophia Patsi ne fait pas briller la flamme cruelle du Cananéen. Seul l’excellent ténor Kieran White sort son épingle du jeu avec ses interventions, c’est un des plus talentueux chanteurs de sa génération et il mériterait d’avoir des rôles principaux à foison. Kieran White a une voix exceptionnelle comme on les aime : précise, riche en contrastes et au timbre à la fois brillant et envoûtant. 

Le soleil glorieux percera finalement les nuées qui ont embaumé le printemps parisien ce soir de Deborah. L’histoire de la juge et de Jaël nous porte à croire que l’avenir promet des épreuves qui vont être balayées par le courage et l’effort. C’est dans cette période d’incertitude qu’il est nécessaire d’entendre ces œuvres et en tirer les leçons. Outre la morale religieuse, ce sont les émotions que Haendel a su distiller en faisant de la marmoréenne Deborah, un rayon puissant de ce soleil qui ne s’éteint jamais.

 

 

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CRITIQUE, oratorio, THEÂTRE DES CHAMPS-ELYSEES, le 23 MAI 2025. HAENDEL : Deborah. S. Junker, J. Orlinski, Matthias Wolff… Amsterdam Baroque Orchestra & Choir, Ton Koopman (direction). Crédit photo (c) DR.

 

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