Fondé en 2002 par Ton Koopman et Robert Nicolas Huet, le Festival Itinéraire Baroque nous offrait, pour sa quinzième édition, un programme d’une passionnante richesse. Sis au cœur d’un merveilleux patrimoine architectural, le Festival a permis à des musiciens venus des quatre coins de l’Europe de nous faire traverser le Moyen-Âge, la Renaissance italienne, française et anglaise, le Baroque italien et le Classicisme viennois dans des églises romanes peu connues du grand public, mais à l’acoustique remarquable. Durant quatre jours, du jeudi au dimanche, plusieurs formules étaient offertes au festivaliers : le concert unique, plusieurs concerts dans un seul lieu, enfin des concerts sur plusieurs sites. De quoi satisfaire toutes les envies et toutes les énergies, car suivre l’entièreté du programme (en tout onze concerts) était particulièrement intense.
ECLECTISME pour les 15 ans du Festival Itinéraire Baroque en Périgord
Pour son concert d’ouverture, dans la très belle Ă©glise romane de Champagne, la phalange des Amsterdam Baroque Orchestra dirigĂ©e par T. Koopman a proposĂ© un judicieux programme Bach, compositeur fĂ©tiche du chef nĂ©erlandais, avec la suite n°1 BWV 1066, la sinfonia de BWV 42 et deux cantates festives de circonstance, « Jauchzet Gott in allen Landen » et « Weichet nur, betrĂĽbte Schalten », dite Cantate du Mariage. Souffrante, la soprano Hana BlazĂková a Ă©tĂ© remplacĂ©e au pied levĂ© par la cubaine Yetzabel Arias Fernandez qui, malgrĂ© une prononciation de l’allemand plus mĂ©diterranĂ©enne qu’orthodoxe, a enchantĂ© l’auditoire : projection impeccable, puissance d’une voix ronde et chaleureuse, très Ă l’aise dans les aigus, sans aucune affectation, tout en Ă©tant attentive aux inflexions pathĂ©tiques du texte. Une très belle musicalitĂ© magnifiĂ©e par les musiciens d’une justesse confondante, avec un trompettiste particulièrement virtuose, David Hendry, et des violonistes qui ne le sont pas moins. Dans la première cantate, quand la voix est sollicitĂ©e dans l’aigue s’installe alors un dialogue admirable avec les cordes. D’autres grands moments ont captivĂ© l’assistance, notamment la magnifique première aria avec hautbois obligĂ© de la seconde cantate ou les arpèges envoĂ»tants des violons et violoncelles de la seconde aria. Le très bel Ă©quilibre des pupitres est encore mieux mis en valeur dans les pièces instrumentales, en particulier dans la Sinfonia qui ouvrait la seconde partie du concert.
Le second jour, l’itinéraire emmenait les festivaliers globe-trotter dans le charmant village de Cercles. De 11h à 23h, autour d’un café baroque et d’un marché gourmand, trois concerts se déroulaient dans la très belle abbatiale Saint-Cybard datant du XIVe siècle. Au programme, des pièces de Monteverdi pour deux ténors (Ensemble Vivante), extraites des VIIe, VIIIe et IXe Livres. On saluera la qualité du chant et de l’accompagnement instrumental, la parfaite diction de Tore Tom Denys et Érik Leydal que dénature nullement une légère pointe d’accent d’outre-Manche. Les voix sont sonores et bien articulées, chacune avec leurs caractères propres (l’une plus juvénile et lumineuse, l’autre plus ronde et charnue). Elles font merveille dans les grandes pages madrigalesques, en particulier dans la longue plainte en dialogue pétrie de chromatismes de « Interrotte speranze », dans l’oxymorique canzonetta « Sì dolce è ’l tormento », ou encore dans le concitato « Se vittorie sì belle », avec en bis les célèbres « Bella donna » et « Zefiro torna ».
Le second concert proposait un parcours original autour de la naissance et de la diffusion de la Commedia dell’Arte. On passera rapidement sur la soprano Elena Bertuzzi, voix verte et acide, sans aucune des aspérités sur lesquelles pourraient s’agripper les mille nuances pathétiques du texte. Une lecture strictement littérale à l’opposé de ce qu’exige ce riche répertoire du premier Seicento. En revanche, le programme, constitué de pièces de Vecchi, Willaert, Landi, Holborne, Zanetti, Janequin, Ferrari et quelques anonymes, servait de parfait écrin aux performances convaincantes du comédien Lorenzo Bassotto, histrion rompu à l’art des lazzi, sachant parfaitement s’adapter au public, à l’actualité (ainsi le célèbre lazzo de la mouche revisitée à la sauce Brexit) et aux situations parfois imprévisibles qui peuvent naître au cours de la soirée (l’arrivée impromptue d’un spectateur retardataire par exemple).
Mais le concert le plus remarqué fut celui qui acheva la journée, donné par l’Ensemble La Risonanza, dirigé par Fabio Bonizzoni du clavecin. À travers un superbe programme Vivaldi, Scarlatti, Bononcini, Corelli et Haendel, on a pu y retrouver Yetzabel Arias Fernandez, magnifique fil rouge de ce Festival. Elle a livré une lecture éblouissante de la cantate « Bella madre dei fiori » d’Alessandro Scarlatti, et ce dès le récitatif initial, d’une puissante charge pathétique ; ligne de chant d’une grande ductilité qui, avec grâce et naturel, permet le passage à la première aria sans heurts particuliers, comme c’est souvent le cas dans les cantates du XVIIIe siècle, extrêmement codifiées. On appréciera les incroyables pianissimi des violons qui ne faiblissent guère et conservent une égale énergie, ou encore la sublime aria finale, avant un bref et récitatif et très cantabile, renouant avec la tonalité pathétique du début. Des qualités qu’on retrouve dans les deux autres cantates de Bononcini (« Barbara, ninfa ingrata »), où la voix de la soprano fait preuve d’une amplitude impressionnante, et de Haendel (« Armida abbandonata »), pour laquelle la chanteuse cubaine révèle un timbre généreux, parfaitement idoine pour incarner la magicienne, tout en laissant paraître les failles humaines d’une femme avant tout amoureuse. Dans les pièces instrumentales (les variations sur la Folie d’Espagne de Vivaldi et la chaconne de Corelli, révélant une belle cohérence thématique en faisant écho à l’entêtement du sentiment amoureux des trois cantates), les musiciens de La Risonanza font preuve d’une précision entomologiste, agrémentée d’un son chaleureux, d’une opulence toute vénitienne.
Le lendemain commençait l’itinĂ©raire proprement dit. Six brefs concerts de moins d’une heure nous entrainaient tour Ă tour Ă l’église Saint Martin de Cherval, Saint Martial Viveyrol, Sainte-Marie de Bourg-des-Maisons, Saint-Saturnin de Coutures ou au château de Beauregard, selon un ordre que les festivaliers pouvaient choisir Ă leur convenance, les concerts Ă©tant repris cinq fois dans la journĂ©e. Parmi les temps forts de cet itinĂ©raire, on relèvera en particulier le beau rĂ©cital de harpe baroque, par la jeune Emma Huijsser (que l’on retrouvera dans quelques jours Ă Innsbruck dans la recrĂ©ation des Nozze in sogno de Cesti), qui nous a fait redĂ©couvrir le riche rĂ©pertoire de la Thuringe au XVIIIe siècle (pièces de Bach, Weiss et auteurs anonymes), dans une interprĂ©tation dĂ©licate, sans failles et constamment inspirĂ©e, alors qu’elle remplaçait elle aussi au pied levĂ© la soprano-harpiste Hana BlazĂková, prĂ©vue dans un programme de musique mĂ©diĂ©vale. Après un beau concert de cantates classiques de Kraus et Haydn par la mezzo Anna Zander, judicieusement accompagnĂ©e au pianoforte par Mayumi Kamata (belle voix sonore et bien projetĂ©e), le meilleur moment de la journĂ©e fut sans conteste le programme « Dowland in Holland » proposĂ© par les experts nĂ©erlandais de la Camerata Trajectina ; des textes particulièrement savoureux, pleins d’humanitĂ©, de bon sens populaire et de gouaille sur des musiques prĂ©existantes du cĂ©lèbre gambiste anglais. Tous les musiciens sont Ă fĂ©liciter, des voix toujours bien posĂ©es de la soprano Hieke Meppelink et du tĂ©nor Nico van der Meel, fidèles de toujours de la Camerata, aux instruments prĂ©cis et colorĂ©s de Saskia Coolen (flĂ»te Ă bec et viole de gambe), de Erik Beijer (viole de gambe) et Michiel Niessen (luth et vihuela). Un programme fort rĂ©jouissant (l’un des recueils choisis s’intitule prĂ©cisĂ©ment « de Boertigen », « JovialitĂ©s ») qui faisait alterner les pièces pathĂ©tiques (comme le « Christelijcke Klachte », réécriture du cĂ©lèbre « Flow my tears »), les airs plus burlesques (irrĂ©sistible « Meysje met jou blancke billen », « Fillettes avec tes fesses pâles »), ou sĂ©rieux, voire politiques (« D’un gouvernement parfait », sur une pavane de Dowland). En outre, il faut souligner la remarquable acoustique dans le cadre enchanteur du jardin de Beauregard. La façade arrière du château, au pied d’un grand arbre aux branches enveloppantes, les spectateurs assis en demi-cercle, tout cela donnait l’impression d’un théâtre de verdure du plus bel effet.
Le Festival s’achève comme il avait commencé avec Ton Koopman et les forces de son Amsterdam Baroque Orchestra cette fois au grand complet dans un double programme Haydn (Nelson-Messe) et Mozart (Messe du Couronnement). Une nouvelle interprétation magistrale des musiciens néerlandais dans ces deux chefs-d’œuvre classiques. La direction de Koopmann fascine par sa précision sans qu’à aucun moment elle ne sacrifie la ferveur qu’exigent ces deux messes. La puissance dramatique, l’amplitude et l’équilibre des parties, le respect scrupuleux des contrastes accompagnent avec élégance les rares parties solistes, dont tous les interprètes sont à saluer (Yetzabel Arias Fernandez, une fois de plus, l’alto Bogna Bartosz, plus en retrait, le ténor remarquable de clarté Tilman Lichdi, et surtout la basse Klaus Mertens, dont l’autorité et la justesse n’ont pas pris une ride). Une mention spéciale pour le formidable chœur, fervent et techniquement impeccable, qui a livré, en particulier de l’opus mozartien, une interprétation autrement plus inspirée que la récente lecture d’Accentus à Beaune quinze jours auparavant. Au final un bilan extrêmement positif.
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