mardi 13 mai 2025

CRITIQUE, opéra. STRASBOURG, Opéra national du Rhin, le 11 mai 2025. LEHAR : Giuditta. M. Louledjian, T. Bettinger, S, Ratia… Pierre-André Weitz / Thomas Rösner

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Directeur général de l’Opéra national du Rhin depuis 2020, Alain Perroux créé une nouvelle fois l’événement en montant Giuditta (1934), une rareté jamais présentée en Alsace : l’ultime ouvrage lyrique de Franz Lehar émerveille par son inspiration crépusculaire, d’un raffinement orchestral proche de son ami et rival Puccini, sans parler de l’inventivité mélodique toujours aussi étourdissante. La production joyeusement loufoque imaginée par Pierre-André Weitz n’atteint pas au même génie, loin s’en faut, mais préserve l’essentiel par ses qualités scénographiques.

 

Tout dernier maître de l’opérette viennoise, Franz Lehar (1870-1948) a fait sa célébrité des rythmes de valse revisités à l’envie, avec une imagination jamais prise en défaut. Trop souvent réduite en France à son chef d’oeuvre La Veuve joyeuse (1905) – voir notamment à Marseille en 2023 -, la musique de Léhar a su progressivement évoluer vers davantage de profondeur, osant en fin de carrière des livrets à l’issue malheureuse, comme c’est le cas pour Giuditta. Promis à une inédite et prestigieuse création par l’Opéra de Vienne, cet ouvrage figure parmi les plus ambitieux de son auteur, ce qui explique pourquoi Lehar a travaillé son orchestration dans les moindres détails, offrant des harmonies mouvantes et chatoyantes, d’une superbe variété. Le livret, malgré ses aspects bavards, inspire le compositeur par l’évocation  d’atmosphères locales au parfum truculent, du sud de l’Europe aux confins de la méditerranée. Il est à noter que la version française, ici présentée, modifie le nom des personnages comme des lieux représentés, qui nous transportent du midi français au Yemen, en passant par le Maroc.

Adapté du film Coeurs Brûlés (1930), avec Marlene Dietrich et Gary Cooper, le livret navigue entre plusieurs contrées comme un roman d’aventures, prétexte à une coloration délicieuse de l’action, admirablement rendue par le chef Thomas Rösner (né en 1973). En maître des transitions, l’Autrichien se joue des ambiances foraines initiales, avant d’embrasser les parfums orientaux d’une sensualité féline, sans parler des dernières scènes de cabaret, tout aussi pittoresques dans leur évocation. Si Lehar garde toujours le cap d’une bonne humeur revigorante, à rebours d’un livret plus mélancolique, il sait toutefois offrir quelques scènes d’une hauteur d’inspiration tendre et désabusée, à l’instar des solos réservés à Octavio.

La mise en scène de Pierre-André Weitz, plus connu comme scénographe habituel d’Olivier Py, déçoit par sa conception trop tournée vers l’évocation visuelle, des cartes postales exotiques aux ambiances festives, à l’énergie roborative. Le recours omniprésent à la farce, surtout pour les seconds rôles, tourne en rond à force d’outrance et d’exagération, sans parvenir à faire rire. La direction d’acteur ne trouve jamais le ton juste entre caricature et cabotinage, à l’image de la tonitruante comédienne Sissi Duparc, faisant passer au second plan les interrogations liées aux amours contrariés de Giuditta et Octavio. On pense ainsi au retournement soudain de Giuditta à la fin du troisième tableau, lorsque l’héroïne se met à danser après avoir été délaissée par son promis dans le désert : aucune amertume ou ambivalence ne vient nuancer l’acceptation de l’échec de sa relation trop fusionnelle, ni souligner l’avènement de sa nouvelle carapace, celle d’une femme désormais fière de sa liberté chèrement acquise.  

Peu aidée par cette mise en scène qui laisse les chanteurs à eux-mêmes dans des situations redondantes, Melody Louledjian (Giuditta) peine à rendre crédible l’évolution de son personnage, de la beauté initialement prisonnière de son mari vieillissant à l’égérie de cabaret, désormais forte de sa célébrité. Vocalement, sa présence manque de charisme pour faire oublier un médium insuffisamment audible. Fort heureusement, la chanteuse française d’origine arménienne assure l’essentiel par ses phrasés à la ligne toujours bien dosée. On préfère toutefois le chant incarné de Thomas Bettinger (Octavio), qui perd en substance dans les hauteurs de l’aigu, mais parvient à toucher au cœur par sa sincérité dans les passages doux-amers. Habituellement plus à l’aise, Sahy Ratia (Séraphin) ne parvient pas à s’imposer dans un rôle en grande partie comique, qui demande un débit à la diction millimétrée. Sa voix trop blanche et son manque de graves sont particulièrement préjudiciables dans ses duos avec la lumineuse Sandrine Buendia (Anita), aux phrasés mordants et bien projetés. L’expérience de la soprano française acquise dans le domaine de l’opérette avec les Frivolités parisiennes (notamment dans Normandie de Misraki en 2019) est un atout indéniable et immédiatement audible. Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur, même si la tendance au surjeu, évoquée plus haut, reste palpable, y compris pour des interprètes aussi rompus au genre que l’excellent Rodolphe Briand. Avec l’orchestre, l’autre grand motif de satisfaction vient du Chœur de l’Opéra national du Rhin, toujours aussi parfait de précision et d’engagement.

 

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CRITIQUE, opéra. STRASBOURG, Opéra national du Rhin, le 11 mai 2025. LEHAR : Giuditta. Melody Louledjian (Giuditta), Thomas Bettinger (Octavio), Sandrine Buendia (Anita), Nicolas Rivenq (Manuel, Sir Barrymore, son Altesse), Sahy Ratia ( Séraphin), Christophe Gay (Marcelin, l’Attaché, Ibrahim, un chanteur de rue), Jacques Verzier (Jean Cévenol), Rodolphe Briand (L’Hôtelier, le Maître d’hôtel), Sissi Duparc (Lollita, le Chasseur de l’Alcazar), Pierre Lebon (Le Garçon de restaurant, un chanteur de rue, un sous-officier, un pêcheur). Chœur de l’Opéra national du Rhin, Hendrik Haas (chef de Chœur), Orchestre national de Mulhouse, Thomas Rösner (direction musicale) / Pierre-André Weitz (mise en scène). A l’affiche de l’Opéra national du Rhin à Strasbourg jusqu’au 20 mai, puis à Mulhouse les 1er et 3 juin 2025. Crédit photo © Klara Beck

 

 

VIDEO : Présentation de l’ouvage par Alain Perroux

 

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