Voilà un excellent programme diversifié et plutôt très exigeant par l’éclectisme des styles choisis, qui renseigne opportunément sur le niveau et l’identité même du Ballet Nice Méditerranée à un moment charnière de son histoire, suite au décès de son directeur artistique Eric Vu An [juin 2024], quand son successeur vient de prendre ses fonctions [le chorégraphe suédois Pontus Lidberg nommé en déc 2024],… année de passage qui affirme ce soir une ambition artistique admirable à laquelle les tempéraments du Ballet niçois savent répondre en énergie et subtilité. Du moins, par un engagement indiscutable. Passer de l’élégance athlétique continue du new yorkais Forsythe au jeu assumé, délirant et tout aussi trépidant d’Ekman relèverait du vertige acrobatique schizophrénique, s’il n’était entre les deux écritures, une même quête jubilatoire de l’exultation rythmique,.. précise, ciselée chez le premier, organique et facétieuse chez son cadet.
D’emblée et presque trop soudainement, THE VERTIGINOUS THRILL OF EXACTITUDE de FORSYTHE [1996], impose sa vitalité aussi exténuante que critique tant le chorégraphe new yorkais hypercultivé semble faire le catalogue de toutes les figures classiques connues à maîtriser absolument [tours, pirouettes, arabesques,… toute figure héritée des classiques transmise par Marius Petipa ; filtrée par Balanchine…]. Voici donc Forsythe tel qu’en lui-même, entre athlétisme et esthétisme, furieuse et même trépidante exultation des corps mais avec une précision hallucinante voire une succession comme précipitée qui confine à l’emballement parodique… Et surtout amusé. S’y distinguent entre autres les deux danseurs demi-solistes, Shigeyuki Kondo et surtout Isaac Shaw… dont le charisme corporel irradie, sachant exprimer un plaisir lumineux puisé à la source même de chaque mouvement et son rebond immédiat. Les danseurs semblent gonflés à bloc, remontés sur ressorts, et trouvant dans la succession des figures imposées, une flexibilité unitaire qui les font paraître aussi léger qu’une plume. Il faut bien le temps des deux ballets suivants pour se remettre avant de réaliser en seconde partie du programme [après aussi 20 mn d’entracte], la nouvelle trépidation de …Cacti.
Figures des » INDOMPTÉS » de Claude Brumachon [1992], les deux hommes dansent, explorent les chaînes et les rebonds d’une relation, de LEUR relation ; qui les enchaîne, qui les porte aussi, aimantation et distanciation, dans une série de figures en miroir et parallèles, parfois synchronisées, souvent décalées. Dans leur quête simultanée qui questionne leur place entre ciel et terre, vont-ils se trouver eux-mêmes, et l’un par rapport à l’autre ? Les 2 électrons tentent tout le ballet durant, de répondre à cette quête, aspiration à 2 voix, à 2 corps, élan irrépressible vers une fusion espérée du moins un apaisement concerté, harmonique… qui semble se produire à la fin.
Les 3 GNOSSIENNES en revanche [triptyque plus hiératique, en pas de deux de Hans van Manen], tout à l’inverse, dans un balancement suspendu, hypnotique, posent les deux êtres du couple [impeccables et très concentrés Veronica Colombo et Luis Valle] dans des postures parfaitement assumées qui théâtralisent le duo dans des extensions et des portés audacieux, radicaux, d’un équilibre apollinien. Le ton est plus majestueux et même solennel, d’un rituel noble où la jeune femme est sacralisée comme une icône, ses gestes aux lignes pures qui tendent à l’épure d’une déesse honorée comme une statue.
Avec CACTI, la danse invite le théâtre [surréaliste] et l’humour synchronisé. Le chorégraphe interroge les rites indigènes et ce qu’ils peuvent gagner à s’ouvrir aux offres extérieures, une voie médiane qui produit cette danse théâtre loufoque, décalée, furieusement poétique, qui mêle aussi la création orale. Chacun sur son praticable cherche la pulsion de l’autre ; se règle sur ses gestes, ses respirations ; ses 15 danseurs sont comme des faunes ; ils trouvent le rythme collectif et peu à peu réalisent une formidable machine collective, une tribu organique lent connectée.
En outre la présence des 4 instrumentistes du Quatuor remarquablement intégré au sein des danseurs renforce l’idée d’une performance inclassable. L’humour triomphe dans le foutraque loufoque avant la tenue des porteurs de cactus, en un duo [avec répliques parlées simultanées] qui parodie l’enjeu et le déroulement de tous les duos légués par la tradition classique et romantique.
Le choix de la pièce est d’autant plus juste que placée ainsi en fin de soirée, elle renoue dans le choix même de Schubert [le jeune fille et la mort en version orchestrale] avec la trépidation heureuse solaire du Forsythe d’ouverture. On y retrouve aussi cette frénésie collective, juvénile, cette quête de pure jubilation qu’Alexander Ekman a superbement chorégraphié dans les premières et dernières de Cacti : où l’impertinent se jouant des codes de la Danse classique et contemporaine orchestre les mouvements synchronisés des danseurs sur leur podium. On rit, on s’amuse, saisi par la synchronicité millimètrée des groupes qui se répondent.
Dans ses multiples défis que relancent encore la diversité des écritures, les danseurs du Ballet Nice Méditerranée démontrent un niveau remarquable ; si certaines faiblesses ou déséquilibres paraissent parfois [les 3 danseuses ont paru moins synchronisées et engagées dans le Forsythe d’ouverture], l’unité et la cohésion du ballet s’affirme nettement dans le jeu collectif expressif et théâtral de Cacti, véritable exultation chorégraphique, éblouissante dans ses écarts formels, ses prouesses délirantes, son autocritique et son impertinence assumée. Réjouissante soirée. On suivra désormais la trajectoire du Ballet Nice Méditerranée, promis sous la direction de son nouveau directeur à de prochains accomplissements, probablement aussi passionnants.
Dernière ce mardi 8 avril 2025, 20h, à l’Opéra de Nice :
https://www.opera-nice.org/fr/evenement/1196/forsythe-brumachon-van-manen-ekman
VIDÉOS
les danseurs du Ballet Nice Méditerranée [dont Isaac Shaw à 3’08]
Le travail des préparation des danseurs du Ballet Nice Méditerranée pour Cacti d’Alexander Eckman
LIRE aussi notre présentation du programme de danse à l’Opéra de Nice / Ballet Nice Méditerranée, du 2 au 8 avril 2025 – Forsythe / Brumachon / Van Manen / Ekman … Quatuor à cordes de l’Orchestre Philharmonique de Nice : https://www.classiquenews.com/opera-de-nice-ballet-nice-mediterranee-du-2-au-8-avril-2025-forsythe-brumachon-van-manen-ekman-quatuor-a-cordes-de-lorchestre-philharmonique-de-nice/
précédente critique
Précédent Spectacle du Ballet Nice Méditerranée, critiqué sur CLASSIQUENEWS : Coppelia, chorégraphie d’Eric Vu-An, 15 oct 2024 / CRITIQUE, danse. NICE, Théâtre de l’Opéra, le 15 octobre 2024. Coppélia : Delibes / chorégraphie : Éric Vu an. Ballet Nice Méditerranée, Orchestre Philharmonique de Nice, Léonard Ganvert (direction): https://www.classiquenews.com/critique-danse-opera-de-nice-le-15-octobre-2024-coppelia-delibes-choregraphie-eric-vu-an-ballet-nice-mediterranee-orchestre-philharmonique-de-nice-leonard-ganvert-direction/
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