France Musique, dim 23 fĂ©v 2020, 16h. RomĂ©o et Juliette de Tchaikovski. La tribune des critiques de disques. Quelle est la meilleure version enregistrĂ©e de la partition du compositeur russe romantique ? Ce nâest quâen 1886, que Tchaikovski valide la version dĂ©finitive de son ouverture, dâaprĂšs Shakespeare, RomĂ©o et Juliette, les amants maudits mais sublimes de VĂ©rone. Ayant prĂ©sentĂ© la premiĂšre version dĂšs 1870 (créée cette annĂ©e lĂ en mars Ă Moscou), Piotr Illiytch rĂ©pond Ă la demande pressante du fondateur du Groupe des Cinq, Balakirev ; lui-mĂȘme avait composĂ© un remarquable Roi Lear. Tchaikovski lui emboĂźte le pas et exprime sa passion shakespearienne.
La partition rĂ©alise alors le dessein du groupe des Cinq : Ă©lever lâĂ©criture musicale russe Ă lâĂ©gal de la musique occidentale symphonique. Pari rĂ©ussi par Piotr Illiytch qui fusionne les deux tendances, dĂšs le dĂ©but avec lâexposition prĂ©alable du thĂšme de frĂšre Laurent, complice et marieur des amants, qui sâinspire dâun choral russe.
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CD événement, annonce. DANIEL LOZAKOVICH, violon : NONE BUT THE LONELY HEART (1 CD NONE BUT THE LONELY HEART)
CD Ă©vĂ©nement, annonce. DANIEL LOZAKOVICH, violon : NONE BUT THE LONELY HEART (1 CD NONE BUT THE LONELY HEART). DG 2⊠Legato fluide et aĂ©rien, sonoritĂ© solaire et pourtant investie, miracle dâarticulation et dâĂ©lĂ©gance stylistique⊠câest peu dire que ce dĂ©jĂ second album du violoniste suĂ©dois, vĂ©ritable prodige du violon, DANIEL LOZAKOVICH nĂ© en suĂšde en 2001 confirme les qualitĂ©s que nous relevions alors dans son recueil JS BACH (Partitas) Ă©ditĂ© chez DG en juin 2018. La maturitĂ© lui va Ă ravir dans le choix judicieux, naturel du pourtant trĂšs dĂ©licat Concerto de Tchaikovski, lâopus 35 en rĂ© majeur, oĂč en 1878 Piotr Illiytch se reconstruit en Suisse aprĂšs la berezina de son mariage avec Antonina Milukova : le compositeur a probablement eu la rĂ©vĂ©lation dĂ©finitive de son homosexualitĂ© au moment de ses noces malheureuses⊠Le ton Ă©lĂ©giaque et tragique alternent constamment dans cette lecture investie, pudique, profonde, dâune musicalitĂ© inouĂŻe, que lâon avait pas Ă©coutĂ© ainsi avec autant de sensibilitĂ© et de naturel depuis⊠Vadim Repin (son prĂ©dĂ©cesseur chez DG). Mais Lozakovich montre que ses allures de Petit Prince ne sont pas usurpĂ©s : un miel de pure poĂ©sie habite de jeune homme et colore de façon spĂ©cifique son jeu dâune absolue sensibilitĂ©. LâinterprĂšte ajoute un surcroĂźt de fragilitĂ© et dâincisive blessure cependant jamais extravertie (exprimĂ©e suggĂ©rĂ©e sur le souffle et sur une ligne toujours filigranĂ©e et suspendue), qui imprime Ă sa juvĂ©nilitĂ© incarnĂ©e, une sincĂ©ritĂ© bouleversante, en particulier dans le jeu dialoguĂ© avec les bois et la clarinette, oĂč lâon atteint un trĂšs haut degrĂ© de douceur poĂ©tique, Ă tirer les larmes⊠ce que rĂ©alise Daniel Lozakovich tien du miracle dans un concerto que lâon aborde souvent sous le seul angle de la virtuositĂ©.
Le jeune suĂ©dois apporte et cultive cette soie de lâĂąme qui chante et qui touche au cĆur : portant au ciel sa mĂ©lodie si vocal en sol mineur (Canzonetta). Autant de profondeur et de richesse intĂ©rieure ne se peuvent comprendre quâen les reliant avec le drame intime du compositeur. En complĂ©ment, le soliste joue plusieurs transcriptions et mĂ©lodies dont celle nostalgique, dĂ©tachĂ©e, et qui donne son titre au programme : Rien sinon le coeur solitaire / None but the lonely heart. Le jeune virtuose douĂ© dâune rare intensitĂ© expressive, profonde et grave serait-il ici particuliĂšrement inspirĂ©, sous la direction de son mentor Vladimir Spivakov ?
Parution annoncĂ©e le 18 octobre 2019 – 1 CD Deutsche Grammophon. Critique dĂ©veloppĂ©e le jour de la sortie de l’album NONE BUT THE LONELY HEART / TCHAIKOVSKY / Daniel Lozakovich (1 CD DG Deutsche Grammophon)
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PLUS DâINFOS sur le site de Deutsche Grammophon :
https://www.deutschegrammophon.com/fr/artist/lozakovich/
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LIRE aussi la critique du prĂ©cĂ©dent cd de DANIEL LOZAKOVICH chez Deutsche Grammophon : JS BACH – CLIC de CLASSIQUENEWS
Crédit photographique : © Johan Sandberg
Deutsche Grammophon 2019
COMPTE-RENDU, concert. La Roque dâAnthĂ©ron, le 9 aout 2019. TCHAIKOVSKI, RACHMANINOV : A Malofeev, N Goerner. Orch Nat du Tatarstan. A Slakovsky
COMPTE-RENDU, concert. Festival International de piano de La Roque dâAnthĂ©ron, le 9 aout 2019. TCHAIKOVSKI, RACHMANINOV : A Malofeev, N Goerner. Orch Nat du Tatarstan. A Slakovsky. Le Festival International de piano de La Roque d’AnthĂ©ron nous conviait Ă une trĂšs grande et belle Nuit du piano. Deux compositeurs russes, un jeune pianiste russe Ă©blouissant, un pianiste argentin solaire, un orchestre et un chef, exaltĂ©s. Par notre envoyĂ© spĂ©cial YVES BERGĂ.
Une premiĂšre partie consacrĂ©e Ă deux Ćuvres de Piotr Ilitch TchaĂŻkovsky (1840-1893) et une deuxiĂšme Ă deux Ćuvres de SergueĂŻ Rachmaninov (1873-1943). Deux concertos, deux Ćuvres symphoniques, Ă©quilibre parfait d’un diptyque somptueux. Alexander Malofeev, gamin surdouĂ© de dix-sept ans, inaugure cette Nuit du piano. Premier Prix du Concours International TchaĂŻkovsky pour jeunes pianistes, saluĂ© par sa prestation exceptionnelle Ă quatorze ans, il joue le Concerto N°2 pour piano et orchestre en sol majeur opus 44 de TchaĂŻkovsky, sous la voĂ»te spectaculaire de La Roque, et ses 121 cubes blancs qui en font l’une des acoustiques les plus jalousĂ©es des festivals de plein air. Moins cĂ©lĂšbre que l’incontournable Concerto N°1 en Si bĂ©mol Majeur avec son premier mouvement et ses immenses accords qui parcourent tout le clavier et ce thĂšme legato, d’une ligne mĂ©lodique puissante et si sensuelle, le Concerto N°2 (TchaĂŻkovsky en composera 3) est en trois mouvements, comme la plupart des concertos, dont la forme a Ă©tĂ© fixĂ©e Ă la fin de l’Ă©poque baroque. A travers ses innombrables concertos, Antonio Vivaldi (1678-1741) contribua Ă fixer les trois mouvements et Ă donner au soliste une grande libertĂ© d’Ă©criture, dont la virtuositĂ© et la technique se dĂ©velopperont au cours des siĂšcles suivants. La cadence de la fin des premiers mouvements, improvisĂ©e puis Ă©crite au XIXe siĂšcle, est un hĂ©ritage de cette audace baroque. Le Concerto N°2 est composĂ© de trois mouvements :Allegro brillante e molto vivace /Andante non troppo/Allegro con fuoco.
La folle soirée russe !
Le jeune virtuose Malofeev semble danser sur le clavier, son aisance dans les parties trĂšs techniques et sa maturitĂ© dans les passages plus sombres sont Ă©tonnantes ; il se courbe vers le piano, comme pour faire corps avec le son, puis se relĂšve, impĂ©tueux pour mieux dominer la partition. Il sait aussi dialoguer avec la flĂ»te traversiĂšre, le violon solo ou le violoncelle, comme s’il s’agissait d’un mouvement de Sonate plus intime puis devient fougueux, survoltĂ© dans l’Allegro con fuoco, thĂšme de danse villageoise avec de grands accords fulgurants qui parcourent tout le clavier, dans une Ă©criture trĂšs rhapsodyque. Dans ses 2 bis, Alexander Malofeev semble faire la synthĂšse de cet art dĂ©jĂ trĂšs abouti : Islamey, opus 18 de Mili Balakirev, membre du Groupe des Cinq. Fantaisie orientale oĂč les mains se croisent sans cesse dans une course folle et un extrait des Saisons, opus 37a de TchaĂŻkovsky (La Chanson d’Automne : Octobre), d’une profonde mĂ©lancolie retenue. Eblouissant ! L’Orchestre National symphonique du Tatarstan, accompagne le jeune virtuose. Le Tatarstan, entitĂ© de la FĂ©dĂ©ration de Russie peut s’honore d’avoir un tel Ensemble symphonique. Le Festival d’Automne de sa capitale Kazan, est de grande renommĂ©e et permet Ă l’Orchestre National d’y briller et de se confronter Ă d’autres formations internationales. Bien sĂ»r, les compositeurs russes inondent tous les programmes de concert. Alexander Sladkovsky, le chef emblĂ©matique depuis 2010, laurĂ©at du Concours International Prokofiev, d’abord sous le charme de cet adolescent sans limites, imprime une intensitĂ©, une gĂ©nĂ©rositĂ© et fait vibrer chaque pupitre. PrĂ©sence poignante sur son estrade, cabotin et imposant.
L’orchestre reprend seul le flambeau pour une interprĂ©tation de haute volĂ©e de la Symphonie N°2 de TchaĂŻkovsky en ut mineur opus 17 « Petite Russie » ; symphonie en 4 mouvements comme la plupart des symphonies depuis Mozart. Le chef donne Ă chaque mouvement un relief particulier, une couleur correspondant aux indications si colorĂ©es du compositeur. Chaque mouvement est divisĂ© en plusieurs parties indiquĂ©es par des caractĂšres diffĂ©rents, vitesses, atmosphĂšres : 1er mouvement, Andante sostenuto-Allegro comodo/2Ăšme mouvement, Andantino marziale, quasi moderato/3Ăšme mouvement, Scherzo-Allegro molto vivace/4Ăšme mouvement, Finale-Moderato assai-Allegro vivo. Ces diffĂ©rentes palettes de durĂ©e et d’expression, vont permettre Ă Alexander Sladkovsky de passer d’une direction franche, martiale, dense Ă des gestes plus souples. Le chef est habitĂ©, il communique physiquement par une attitude souvent emphatique, trĂšs théùtrale. Si l’Andante dĂ©marre par une marche pulsĂ©e, rythmĂ©e par les noires des bassons et des cordes graves, il se termine par une phrase plus lĂ©gĂšre. Dans le Scherzo, tempo ternaire jubilatoire, le chef est bondissant, faisant ressortir ainsi le pupitres des Bois qui lancent des fusĂ©es, reprises par les cordes. L’Allegro vivo est un hymne grandiose. La Danse Espagnole, en bis, extraite du Lac des Cygnes de TchaĂŻkovsky, termine cette premiĂšre partie dans un enthousiasme communicatif. Le public est dĂ©jĂ conquis !
A l’Ă©poque romantique, la Russie oppose deux visages: l’un national, l’autre plus europĂ©en : Cinq compositeurs russes, regroupĂ©s sous l’appellation Groupe des Cinq Ă©criront des Ćuvres exaltant les sentiments patriotiques, pages aux coloris trĂšs expressifs, aux mĂ©lodies originales. On retient essentiellement Borodine : Le Prince Igor (« Danses polovtsiennes »)…, Rimsky Korsakov : Le Coq dâOr, La Grande PĂąque Russe, ShĂ©hĂ©razade… et Modeste Moussorgsky : Boris Goudounov (opĂ©ra), Les Tableaux dâune Exposition (orchestration de Maurice Ravel)… TchaĂŻkovsky, en marge de ce mouvement, reste profondĂ©ment russe mais est aussi attachĂ© Ă la culture occidentale par ses Symphonies, ses concertos, sa musique de chambre et donnera au Ballet symphonique ses lettres de noblesse, le dĂ©finissant comme genre Ă part entiĂšre, enfin sorti des traditionnelles interventions, si attendues, dans les opĂ©ras. Il Ă©tait soutenu par une aristocratie qui dĂ©daignait la musique imprĂ©gnĂ©e dâart populaire et « rencontra » une mĂ©cĂšne providentielle : Nadejda Von Meck qui aura avec lui une relation Ă©pistolaire des plus insolites ; elle lui enverra une bourse rĂ©guliĂšrement sans jamais chercher Ă le rencontrer, admiration dĂ©sintĂ©ressĂ©e d’une rare Ă©lĂ©gance. Bien sĂ»r, elle sera la dĂ©dicataire de plusieurs Ćuvres du MaĂźtre qui ne se faisait pas prier pour honorer les caprices artistiques de la richissime veuve russe fortunĂ©e !
Dans la deuxiĂšme partie, le pianiste argentin Nelson Goerner, cinquante ans, visage lumineux, joue le Concerto N°3 opus 30 de SergueĂŻ Rachmaninov (1873-1943) avec le mĂȘme orchestre et le mĂȘme chef. Ce pianiste argentin obtient en 1986 le Premier Prix du Concours Franz Liszt de Buenos Aires et rencontre la mĂȘme annĂ©e la sublime pianiste argentine Martha Argerich : sa carriĂšre internationale est lancĂ©e. On le dĂ©couvre ce soir dans ce redoutable Concerto du MaĂźtre russe. C’est lors d’une tournĂ©e aux Etats-Unis, en 1909, que Rachmaninov compose et joue ce 3Ăšme Concerto en rĂ© mineur ; c’est un triomphe ! Gustav Malher, lui aussi prĂ©sent aux Etats-Unis pour faire connaĂźtre ses Ćuvres, dirige le compositeur russe dans ce Concerto en 1910 ! Rachmaninov a composĂ© 4 concertos pour le piano. Le Concerto N°1 en fa# mineur a Ă©tĂ© rendu cĂ©lĂšbre par l’Ă©mission Apostrophes de Bernard Pivot dont il Ă©tait le gĂ©nĂ©rique. Il a bercĂ©, ainsi, des annĂ©es de soirĂ©es littĂ©raires, de 1975 Ă 1990 ! Le troisiĂšme Concerto, en trois mouvements, est d’une extrĂȘme virtuositĂ©.
Dans l’Allegro ma non tanto, Goerner reste Ă©lĂ©gant, raffinĂ©, virtuose sans emphase ; aprĂšs la tornade Malofeev, le pianiste argentin parcourt le clavier avec une aisance fantastique et maĂźtrise tous les piĂšges de cette Ă©criture postromantique si exigeante: accords, gammes, arpĂšges diaboliques et des superpositions de voix Ă©tonnantes. La cadence finale est redoutable par sa force et son Ă©criture si complexe. Le deuxiĂšme mouvement, Intermezzo-Adagio est d’une langueur mĂ©lancolique, dialogues avec la flĂ»te, le hautbois, le cor, parenthĂšses Ă©lĂ©giaques avant la dĂ©ferlante du 3Ăšme mouvement Finale-Alla breve, hybride et brillant, mĂȘlant des couleurs expressionnistes et jazzy surprenantes. Le pianiste est en connexion parfaite avec son instrument et l’orchestre. Le public salue, debout, cette performance. En bis, Le Bailecito (Petite danse) du compositeur argentin Carlos Guastavino, (1912-2000), connu essentiellement pour ses nombreuses mĂ©lodies (MĂ©lodies argentines…), est un clin-d’oeil Ă ses origines. Goerner effleure le clavier, caresse les touches. Puis il conclut par des variations impressionnantes d’Adolf Schulz-Evler, compositeur polonais mort en 1905, d’aprĂšs le Beau Danube Bleu de Johann Strauss. Brillantissime ! Triomphe total!
Pour terminer cette grande soirĂ©e, l’orchestre joue Le Rocher, PoĂšme symphonique opus 7 de Rachmaninov, Ćuvre de jeunesse, 1893, aux couleurs plus impressionnistes, qui s’inspire d’un poĂšme de MikhaĂŻl Lermontov : Le Rocher. Fresque symphonique, dĂ©coupĂ©e en plusieurs tableaux : dĂ©part sombre et tĂ©nĂ©breux, cordes graves, legato puis une partie plus dansante ; aprĂšs une respiration apaisĂ©e et mystĂ©rieuse, un nouveau contraste pour un crescendo grandiose en tutti.
Le gĂ©nĂ©reux chef transmet son incroyable vitalitĂ©, dans une attitude grandiloquente, parfois caricaturale mais touchante aussi par son Ă©nergie juvĂ©nile. Trois bis, ce qui est rarissime, aprĂšs un tel concert, pour une soirĂ©e qui semblait se prolonger sans cesse, dont « La Bacchanale », extraite de Samson et Dalila de Camille Saint-SaĂ«ns, tumultueuse, ornĂ©e, orientale, festive et Stan Tamerlana d’Alexander TchaĂŻkovski, compositeur et pianiste russe, nĂ© en 1946. Oeuvre dĂ©lirante par ses sonoritĂ©s Ăąpres, folkloriques et ses rythmes entraĂźnants, qui soulĂšve le public dans une extase jouissive hallucinante. Le chef bondit, gesticule, se tourne vers la foule dĂ©jĂ debout, et l’invite Ă se joindre Ă la fĂȘte par des claps de mains, des cris, faisant Ă©cho aux jeux entre les cuivres, les percussions, les vents, les cordes. Spectateurs mĂ©dusĂ©s, un chef aĂ©rien qui nous offrait toute la puissance et la vie d’un orchestre vibrant, musiciens, spectateurs ne faisant qu’un. Un moment trĂšs Ă©tonnant. On avait tous envie de prendre le premier vol pour Kazan et continuer cette soirĂ©e magique dans l’aventure d’autres rĂ©pertoires. Par notre envoyĂ© spĂ©cial YVES BERGĂ. Illustrations : Festival international de piano de la Roque d’AnthĂ©ron 2019
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Festival International de piano de La Roque d’AnthĂ©ron
Vendredi 9 aoĂ»t 2019 – Nuit du piano:
⹠Alexander Malofeev : piano
⹠Orchestre National symphonique du Tatarstan. Alexander Sladkovsky : direction
⹠Concerto N°2 pour piano et orchestre en sol majeur opus 44 de Piotr Ilitch Tchaïkovsky
⹠Symphonie N°2 en ut mineur opus 17 « Petite Russienne » de Piotr Ilitch Tchaïkovsky
⹠Nelson Goerner : piano
⹠ Orchestre National symphonique du Tatarstan. Alexander Sladkovsky : direction
⹠Concerto N°3 opus 30 de Sergueï Rachmaninov
âą Le Rocher, PoĂšme symphonique opus 7 de SergueĂŻ Rachmaninov
KARAJAN 2019 : Les 30 ans de la mort (1989 – 2019) Symphonies de BRUCKNER et TCHAIKOVSKY / Berliner Philharmoniker (DG)
ETE 2019. Deux coffrets opportuns viennent rappeler lâhĂ©ritage dâun grand chef du XXĂš, Herbert Van Karajan (nĂ© en 1908, mort en 1989) dont les 30 ans de la disparition seront ainsi cĂ©lĂ©brĂ©s par DG Deutsche Grammophon ce 16 juillet 2019. Autant dire que le label de Hambourg, le plus prestigieux au monde, fort dâun catalogue inĂ©galĂ©, rend hommage Ă lâun des piliers de sa gloire et de sa pertinence artistique, toujours bien vivaces aujourdâhui. Avec ses chers Philharmoniker de Berlin, le chef septuagĂ©naire Ă la stature dâempereur, enregistre lâintĂ©grale des symphonies de Bruckner (1 Ă 9, Ă Berlin de janvier 1975 Ă janvier 1981), et de Tchaikovsky (6 Symphonies, entre octobre 1975 et fĂ©vrier 1979)⊠le geste est carrĂ©, parfois dĂ©clamatoire mais jamais court, parfois emphatique mais habitĂ© ; jouant sur une spatialisation nouvelle du son, plus concentrĂ© que rayonnant, pourtant souvent dĂ©taillĂ© (Tchaikovski), Karajan affirme une esthĂ©tique de lâenregistrement particuliĂšrement fouillĂ©e, Ă laquelle il a participĂ© au premier rang.
Le souffle impĂ©rial de ses Bruckner auxquels il garantit aussi une introspection majestueuse en liaison avec la foi sincĂšre du compositeur de Linz ; la tendresse et cette prĂ©sence obsessionnelle du Fatum chez Piotr Illiytch fondent la valeur des 2 coffrets, remarquablement remixĂ©s pour lâoccasion (cd et Blu-ray audio HD 96khz / 24 bit. Soit dans un format master des plus optimisĂ©. 2 coffrets incontournables.
CD, coffret événement. KARAJAN : 9 symphonies de Bruckner (Berliner Phil. Herbert von Karajan, 9 cd DG Deutsche Grammophon)
CD, coffret événement. KARAJAN : 6 Symphonies de Tchaikovski (Berliner Phil. Herbert von Karajan, 4 cd DG Deutsche Grammophon)
APPROFONDIR
LIRE aussi nos articles et dossiers HERBERT VON KARAJAN, dont le bilan des coffrets édités pour les 25 ans de la mort de Karajan en 2014 :
25 ans aprĂšs sa mort (1989), le chef autrichien Herbert von Karajanlaisse un hĂ©ritage musical et esthĂ©tique qui sâincarne par le disque : titan douĂ© dâune hypersensibilitĂ© fructueuse chez Beethoven, Schumann, Tchaikovski, Richard Strauss, Brahms entre autres âŠ, Karajan sâest forgĂ© aussi une notoriĂ©tĂ© lĂ©gitime grĂące Ă son souci de la qualitĂ© des enregistrements quâil a pilotĂ©s et rĂ©alisĂ©s pour Deutsche Grammophon. Outre la virtuositĂ© habitĂ©e, un sens innĂ© pour la ciselure comme le souffle Ă©pique de la fresque, Karajan a marquĂ© lâhistoire de lâenregistrement par son exigence absolue. Une acuitĂ© inĂ©dite pour dâinfimes nuances rĂ©vĂ©lant lâopulence arachnĂ©enne des timbres⊠tout cela sâentend dans le geste musical comme dans la prise de son⊠dans son intĂ©grale de 1961-1962 des Symphonies de Beethoven, magistralement captĂ©es dans le respect de la vie et de la palpitation⊠Pour ses 25 ans, le prestigieux label jaune réédite une sĂ©rie de coffrets absolument incontournables. Voici notre sĂ©lection dâincontournables. LIRE notre sommaire articles et dossiers HERBERT VAN KARAJAN
COMPTE RENDU critique, opéra. TOULON, Opéra, le 26 mai 2019. TCHAIKOVSKI : EugÚne Onéguine. Garichot
COMPTE RENDU critique, opĂ©ra. TOULON, OpĂ©ra, le 26 mai 2019. TCHAIKOVSKI : EugĂšne OnĂ©guine. Pouchkine⊠Magnifique et terrible vie que celle du poĂšte romancier Alexandre Pouchkine (1799-1837), descendant dâun Africain et appelĂ© Ă devenir le premier Ă©crivain Ă avoir donnĂ© ses lettres de noblesse littĂ©raire Ă la langue russe, vĂ©nĂ©rĂ© comme tel en Russie. Jeunesse tumultueuse, dissidente politiquement, il connaĂźt lâexil puis le carcan rĂ©cupĂ©rateur de postes officiels imposĂ©s, notamment censeur, Ă lâopposĂ© de ses aspirations libertaires. Comme son hĂ©ros Lenski dans son roman en vers, Pouchkine meurt en duel, tuĂ© par son beau-frĂšre, un officier alsacien qui avait dĂ©jĂ Ă©pousĂ© la sĆur de Natalia, sa frivole Ă©pouse, afin de dĂ©tourner ses soupçons et dĂ©sarmer le premier dĂ©fi du poĂšte. La simplicitĂ© classique de la langue de ce romantique exaltĂ© aura le mĂ©rite dâinspirer nombre de compositeurs, Glinka (Rouslan et Ludmila), Dargomyjski (La Russalka, Le Convive de Pierre), Moussorgski (Boris Godounov), TchaĂŻkovski (Eugene Oneguineet La Dame de pique, Mazeppa), Rimski-Korsakov (Mozart et Salieri,Le Coq dâor), Rachmaninov (Le Chevalier avare).
Le roman et lâopĂ©ra
De ce roman en vers, plus quâun opĂ©ra avec nĆud, pĂ©ripĂ©ties et dĂ©nouement dramatique, TchaĂŻkovski tire, comme il lâintitule justement une suite de « scĂšnes lyriques » en trois actes et sept tableaux, des moments dans la vie du hĂ©ros EugĂšne OnĂ©guine, jeune gandin guindĂ©, fringuĂ© et arrogant, jouant les dandies blasĂ©s et cyniques Ă la mode anglaise des Lovelace de Richardson et de Byron, en vogue dans les annĂ©es 1820.
SĂ©duisant dâemblĂ©e la romanesque Tatiana, jeune provinciale qui se livre entiĂšrement Ă lui dans une lettre, prisonnier de son rĂŽle, il la repousse, pour en tomber Ă©perdument amoureux lorsquâil la retrouvera plus tard mariĂ©e et princesse fĂȘtĂ©e de la capitale, et en sera repoussĂ© Ă son tour.
Entre temps, il aura tuĂ© en duel son meilleur ami, le poĂšte Vladimir Lenski, aprĂšs un badinage provocateur avec la coquette Olga, la fiancĂ©e de ce dernier, sĆur de Tatiana. Bref, ce sont, pratiquement, Ă lâexception du duel, presque comme un accident qui ne semble avoir dâautre incidence sur lâhistoire quâun long voyage dâEugĂšne, des scĂšnes domestiques intimes, Ă©gayĂ©es de danses de paysans et avec deux bals antithĂ©tiques (province et capitale) et deux scĂšnes tout aussi opposĂ©es entre Tatiana et EugĂšne, et deux refus symĂ©triquement inverses de lâhomme, puis de la femme, de rĂ©pondre Ă lâamour de lâautre.
Piotr Illyitch Tchaikovski
EugĂšne Oneguine : LâĂTRE ET LETTRE
Lettres symétriques
EugĂšne Oneguine, paru en feuilletons, roman en vers commencĂ© Ă vingt-deux ans, terminĂ© quelque huit annĂ©es plus tard, est court en texte mais long en Ă©laboration. Dans une architecture trĂšs libre, trĂšs lĂąche mĂȘme avec ses digressions lyriques et ses commentaires de lâauteur sur ses personnages, il est nĂ©anmoins structurĂ© par deux lettres parallĂšles et dissymĂ©triques : celle de Tatiana Ă EugĂšne au milieu du chapitre III aprĂšs leur rencontre, et celle dâEugĂšne Ă Tatiana mariĂ©e au Prince GrĂ©mine, aprĂšs leurs retrouvailles des annĂ©es aprĂšs, au chapitre VIII, la fin. Dans la premiĂšre, câest tout son ĂȘtre que livre la jeune fille, campagnarde romantique, Ă lâĂ©lĂ©gant citadin blasĂ©, sâabandonnant Ă son vouloir :
« à jamais je te confie ma destinée ».
à quoi, un EugÚne repenti qui avait gardé la lettre de Tatiana, répond en écho décalé mais tardif :
« Faites de moi / Ce quâil vous plaĂźt [âŠ] Je mâabandonne Ă mon destin. »
Sans rĂ©pondre Ă sa lettre (absente de lâopĂ©ra), le faisant attendre impitoyablement des mois durant, mĂȘme en avouant quâelle lâaime encore, Tatiana lui rĂ©pĂštera presque mot pour mot ce quâil lui rĂ©pondit alors (« votre leçon ») en refusant son amour. Et la jeune femme tire amĂšrement mais implacablement la leçon commune de la rencontre ratĂ©e de deux ĂȘtres, victimes et de la fatalitĂ© invoquĂ©es par tous deux :
« Et le bonheur Ă©tait si proche, / Si possibleâŠMais le destin / A tranchĂ©. »
Héros antinomiques : images
Pouchkine, dĂšs lâĂ©pigraphe qui prĂ©cĂšde son roman, place son hĂ©ros sous des auspices peu sympathiques : « PĂ©tri de vanitĂ© » ; dâorgueil, causĂ© par « un sentiment de supĂ©rioritĂ©, peut-ĂȘtre imaginaire ». Dans lâexergue immĂ©diatement en tĂȘte du premier chapitre, il indique : « Il est pressĂ© de vivre, il a hĂąte de jouir. »
Il le prĂ©sente Ă la suite « faisant risette Ă un mourant » quâil voue au diable, un oncle dont il espĂšre hĂ©riter car son pĂšre a ruinĂ© la famille. Plus humoristiquement, il le traite de « jeune vaurien », « mon polisson », « VĂȘtu comme un dandy de Londres », sachant « écrire et lire le français / Ă la perfection », « garçon instruit mais pĂ©dant », faisant illusion sur sa culture, finalement pas trĂšs grande, mais suffisamment pour sĂ©duire « des coquettes dĂ©jĂ expertes » au nez de leur mari, sachant « fort tĂŽt porter le masque », collectionneur prĂ©cieux de prĂ©cieuses babioles de toilette, affligĂ© dâune « paresse mĂ©lancolique », mais passant « trois heures au moins /Par jour Ă se voir dans la glace », et, finalement, il « sortait de son cabinet / Semblable Ă VĂ©nus la friponne » dĂ©guisĂ©e en homme, sophistication toute fĂ©minine. Mondain, apprĂ©ciĂ© partout dans le grand monde, il hante les soirĂ©es, les théùtres. MĂȘme Ă la fin, le narrateur le nomme « Mon incorrigible excentrique », « bizarre compagnon », voyageant avec lui aprĂšs la rupture absolue avec Tatiana.
Autant dire que ce personnage superficiel longuement prĂ©sentĂ©, est Ă lâextrĂȘme opposĂ© de la rĂȘveuse Tatiana, parue plus tard dans le roman, qui
« nâavait ni la beautĂ©/ Ni la fraĂźcheur de sa cadette ;
Rien qui attire le regard. / Triste, sauvage, enfermée,
Pareille Ă la biche craintive, /
Elle avait lâair dâune Ă©trangĂšre/ Au sein de sa propre famille ».
Elle nâest « jamais cĂąline » avec les siens, sans poupĂ©e, « on ne lâavait jamais vu sâamuser » : « Rien dâespiĂšgle en elle », Ă lâinverse de sa sĆur Olga, se lassant vite des jeux frivoles avec leurs « petites amies », en rien attirĂ©e par les travaux domestiques fĂ©minins, le travail dâaiguille. Lectrice de Richardson, de Rousseau. Autant dire que cette personne profonde, douĂ©e ou affligĂ©e dâune « pensive rĂȘverie/ Depuis quâelle Ă©tait tout enfant », si elle a le coup de foudre pour OnĂ©guine, ce nâest quâun malentendu reposant sur une image et il aura sans doute assez de luciditĂ© pour deux pour refuser cet ĂȘtre projetĂ© sur lui par la romanesque jeune fille. Et quand il la retrouve plus tard, mariĂ©e Ă un hĂ©ros, le Prince GrĂ©mine, Ă©lĂ©gante donnant le ton dans les salons, câest sans doute de cette image quâil sâĂ©prend et prend pour un amour qui a couvĂ© durant ses longs voyages aprĂšs avoir tuĂ© Lenski en duel.
LâopĂ©ra
Le tourmentĂ© TchaĂŻkovski, nĂ© en 1840 et mort prĂ©maturĂ©ment en 1893 sans que lâon sache de quoi, tout aussi fĂȘtĂ© en son pays que Pouchkine (il aura droit Ă des funĂ©railles nationales) crĂ©e en 1878 sa version musicale du roman en vers. Sa volontĂ© toute moderne de vĂ©ritĂ© le pousse Ă refuser, pour ces rĂŽles principaux de jeunes gens amoureux, des chanteurs vĂ©tĂ©rans et leur prĂ©fĂšre la fraĂźcheur et la spontanĂ©itĂ© de jeunes solistes du Conservatoire de Moscou oĂč lâĆuvre est créée au théùtre Maly, le 29 mars 1879.
On dirait de cet opĂ©ra, par ses sentiments et situations, quâil est « vĂ©riste » si le vĂ©risme nâĂ©tait souvent quâune exacerbation de sentiments extrĂȘmes alors quâici, tout est dans un intimisme qui, malgrĂ© les Ă©lans passionnĂ©s, demeure dans une grande pudeur dont mĂȘme la transgression de la lettre dâamour de Tatiana nâest quâune exaltation de cette limite rompue.
En sorte, non tragĂ©die, mais drame dâun dĂ©calage dans le temps, dit-on, mais aussi, on ne le remarque pas, de deux couples mal assortis tels ceux de Cosi fan tuttede Mozart : le dĂ©licat poĂšte Lenski, tĂ©nor, eĂ»t mieux convenu Ă Tatiana, comme le souligne EugĂšne dans le roman, soprano rĂȘveuse et sentimentale telle une Fiordiligi, que la sĆur Olga, mezzo frivole comme Dorabella, mieux avenue avec le baryton libertin EugĂšne.
Réalisation et interprétation
Disons-le dâentrĂ©e de ce roman que jâaime et de cet opĂ©ra que jâadore, jâaurai rarement vu, mĂȘme dans une production du Marinsky de Saint-Petersbourg, une rĂ©alisation (Alain Garichot) et une interprĂ©tation aussi sĂ©duisantes et convaincantes dans leur somptueuse simplicitĂ©.
ScĂ©nographie unique (Elsa Pavanel) pour divers lieux : plus quâune rĂ©aliste forĂȘt, des troncs dâarbres immenses, stylisant la grande forĂȘt russe non domestiquĂ©e ni polie encore par la ville lointaine mais que la prĂ©sence de deux couples de femmes, deux jeunes et deux ĂągĂ©es, dâun enfant, civilise de douceur.
Les expressives lumiĂšres changeantes selon le jour de Marc DelamĂ©ziĂšre, dorĂ©es de crĂ©puscule, bleuies de nuit, blanchies dâaurore,soulignent paradoxalement un fond presque toujours noir, exaltĂ© Ă la fin par une immense lune oppressante pour un nocturne bal masquĂ© de blanc.
La sobriĂ©tĂ© de ce dĂ©cor dans cette enveloppante mais rayonnante obscuritĂ©, permet dâen faire Ă©conomiquement tour Ă tour jardin dâĂ©tĂ© oĂč lâon reçoit les visiteurs et les offrandes des paysans, rustique salle de bal de la fĂȘte, chambre de Tatiana oĂč un simple lit bateau Empire, une table avec sa bougie prennent une prĂ©sence poĂ©tique intense, surtout ce voile blanc planant, ciel de lit suspendu, nuage du ciel et, symboliquement, tombant vaporeusement sur le sol comme un rĂȘve trop lourd dâidĂ©al de la jeune fille, vaste drap ou tablier de jeu terrestres des paysannes en blanc.
Les dames du premier bal campagnard, dans des couleurs dâestompe gris, rose, jaune, ont des robes Ă manches Ă gigot (Claude Masson) et des coiffes et des coiffures dans le goĂ»t des annĂ©es 1830 de lâĂ©criture du roman, et non celles de la narration, la fin de la guerre contre NapolĂ©on dont GrĂ©mine est lâun des hĂ©ros et EugĂšne un absent sinon dĂ©serteur. Les troncs disparus, câest le noir sur noir nuancĂ©, digne de Soulages, du salon mondain du second bal et sa martiale et angoissante polonaise de masques blancs sur costumes noirs.
Sans naturalisme aucun, le jeu est dâun naturel confondant, mĂȘme les danses paysannes, la valse, le cotillon, la polonaise funĂšbre du second bal du dernier acte avec ses masques, bien rĂ©glĂ©es par Cooky Chiapalone.Les personnages de second plan sont justement dessinĂ©s : le Capitaine Zaretski campĂ© solidement, fringant et raide, par Mikhael Piccone, avec son aristocratique impatience pour les formalitĂ©s du duel, dont il est artisan aussi dans le roman en refusant lâinĂ©lĂ©gance dâun arrangement quâEugĂšne nâaurait pas refusĂ© Ă son ami, qui va voir Olga en espĂ©rant sans doute quâelle le dissuade. Souvent sacrifiĂ©, Ă Monsieur Triquet, le Français Ă©chappĂ© sĂ»rement Ă la RĂ©volution française et aux convulsions de lâinvasion napolĂ©onienne, tĂ©moin et vestige des liens culturels, entre la France des LumiĂšres et la Russie dâalors, dont lâĂ©lite parlait le français, Ăric Vignau sait donner une dĂ©licatesse Ă©mouvante, toute la dignitĂ© humaine dâun ĂȘtre dĂ©placĂ©, dĂ©classĂ© sĂ»rement, dans un chant nuancĂ© des couplets dĂ©suets Ă la gloire de Tatiana.Il mĂ©rite bien les bravos de ses hĂŽtes.
Tout semble juste dans cette subtile mise en scĂšne : la tendresse entre la mĂšre, Madame Larina, une onctueuse, et noble dans sa simplicitĂ©, Nona Javakhidze, attentive Ă son chevalet oĂč elle dessine, Ă©changeant avec la nourrice, tĂ©moin attentif de son passĂ©, en contrepoint nostalgique du chant insouciant des deux jeunes filles, des souvenirs sentimentaux de jeunesse, des rĂȘves fanĂ©s, concluant avec la rĂ©signation de lâexpĂ©rience :
« Lâhabitude nous tient lieu de bonheur. » Grande lectrice autrefois comme sa fille Tania, elle tente de la persuader que les hĂ©ros de roman nâexistent pas.
Voix plus sombre, ronde, Filipievna, la Niania, la Nourrice incarnĂ©e par Sophie Pondjiclis, amie tendre de la mĂšre, maternelle, avec les filles, est touchante seule Ă la table avec ce rituel religieux de lâicĂŽne, bouleversante dans lâaveu de la bribe de son passĂ© qui se lacĂšre, mariĂ©e Ă treize ans avec un garçon plus jeune : toute une vie en quelque phrases. Olga la joyeuse plus que frivole a le timbre pulpeux de Fleur Barron, contralto lĂ©ger, une adorable poupĂ©e dont on admire le jeu subtil dâenfant prise en faute, dâavoir Ă©tĂ© la cause, innocemment provocante du duel. Dans le roman, elle pleure beaucoup et oublie vite son fiancĂ© mort Ă cause dâelle.
Celui-ci, Vladimir Lenski, lâami malheureux dâEugĂšne, est jouĂ©, chantĂ©, comme vĂ©cu, par le tĂ©nor biĂ©lorusse Pavel Valuzhin, physique exact du brave garçon rĂȘveur, du bois dont on fait les victimes, plus fait pour la rĂȘveuse Tatiana que pour la lĂ©gĂšre Olga, mais victime aussi des contraires qui sâattirent : lumineuse voix Ă©lĂ©giaque dans lâombre dĂ©jĂ de la mort, il fait passer le frisson de la fatalitĂ© dans la dĂ©chirure irrĂ©mĂ©diable de lâadieu (« Kouda, kouda ? »).
Le Prince GrĂ©mine, Ă©poux de Tatiana, nâa quâun air, mais quel air ! Dâune beautĂ© qui reste en tĂȘte, dâamplitude du mi grave au mi aigu, la parfaite tessiture des basses. On donne souvent, Ă tort, le rĂŽle Ă des basses en fin de carriĂšre, Ă des vieillards dont la voix fait des vagues. La basse russe Andrey Valentiy non seulement Ă©chappe Ă ces dĂ©fauts mais est physiquement noblement princier dans son allure ; il fait passer tendresse mais aussi sensualitĂ© dans lâamour dâun homme mĂ»r pour sa jeune et belle femme quâil proclame Ă lâĂ©bahi OnĂ©guine qui le dĂ©couvre, avec un timbre somptueux, Ă©lĂ©gant, profond et lĂ©ger, avec une Ă©galitĂ© de volume et de beautĂ© quâon appellerait Ă©quanime dans la terminologie morale.
Et il est vrai que la Tatiana de la soprano russe Natalia Pavlovaen beautĂ© et voix, et en physique, est idĂ©ale comme Ă©tait idĂ©ale son hĂ©roĂŻne pour Pouchkine. Elle ne semble pas jouer mais ĂȘtre ce personnage : voix Ă©gale sur toute sa longueur, aĂ©rienne mais charnue. Sa scĂšne plus quâair de la lettre, lâune des plus longues du rĂ©pertoire, est dĂ©taillĂ©e dans ses nuances dâĂ©motion, frissonnante, exhalĂ©e dâinquiĂ©tude, exaltĂ©e dâespoir, intime et ardente dans les envolĂ©es de son motif avec lâorchestre.
Dans le rĂŽle-titre, le baryton polonais Simon Mechlinski, impeccablement sanglĂ© dans son costume, on dirait uniforme, de dandy dĂ©libĂ©rĂ©, a fiĂšre allure, trĂšs composĂ©e, lenteur Ă©tudiĂ©e des gestes, condescendant, par amitiĂ© pour Vladimir le poĂšte ami, Ă visiter ces campagnards regardĂ©s de haut, redingote nĂ©gligemment sur le bras pour venir rĂ©pondre Ă la lettre de Tatiana : le chanteur fait passer cela dans sa voix, son premier air au jeu distanciĂ©, blasĂ© mais caressant, voix sĂ©ductrice en sa mĂąle chaleur qui refuse lâamour tout en en recevant lâhommage, lâencens. Grand acteur, il saura presque la mener Ă la dĂ©chirure dans son dernier air, sous la pluie de lettres tombant du ciel des dĂ©bris dâun rĂȘve, cri de dĂ©sespoir, sans quelle perde de sa beautĂ©.
On ne peut quâadmirer la finesse de cette distribution vocale, homogĂšne dans lâĂ©quilibre entre les voix en juste harmonie de volume, rĂ©partie entre les slaves et les deux françaises, dâune jeunesse crĂ©dible dans les rĂŽles principaux comme le souhaitait TchaĂŻkovski. Les chĆurs sont remarquablement tenus et soutenus par un orchestre transcendĂ©. Et il faut dire aussi que la direction musicale de la finlando-ukrainienne Dalia Stasevska, Ă la bonne Ă©cole de lâassistanat dâEsa Pekka Salonen et de Paavo JĂ€rvi, cette Ă©cole du nord dĂ©sormais rĂ©fĂ©rence en matiĂšre dâorchestre, par ailleurs invitĂ©e de rien moins que du BBC Symphonie Orchestra, est admirable. Elle dirigeait et chantait le texte, sourire contre sourire face Ă Tatiana, une osmose de toute beautĂ©. On a beau rĂ©sister Ă la catĂ©gorisation de genre, on a un peu de gĂȘne Ă classer selon le sexe, mais disons alors, dans certaines habitudes culturelles traditionnelles assumĂ©es faute de mieux, quâil y avait toute une finesse fĂ©minine dans ces moments justement si fĂ©minins de lâĆuvre avec la beautĂ© diverse de toutes ces femmes, jeunes ou non, et une puissance quâon dirait virile dans les montĂ©es gĂ©nĂ©reuses tant de lâexaltation de Tatiana que dans le drame. Mais, homme, femme, peu importe : un grand chef ou grande cheffe Ă coup sĂ»r. Un bonheur.
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COMPTE RENDU critique, opéra. TOULON, Opéra, le 26 mai 2019. TCHAIKOVSKI : EugÚne Onéguine.
EUGĂNE ONĂGUINE
opéra en trois actes de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Livret de Constantin Chilovski et du compositeur
dâaprĂšs le roman dâAlexandre Pouchkine (1799-1837)
A lâaffiche de OpĂ©ra de Toulon, les 24, 26, 28 mai 2019
Direction musicale : Dalia Stasevska
Mise en scÚne : Alain Garichot.
Décors : Elsa Pavanel. Costumes : Claude Masson
LumiÚres : Marc DelaméziÚre.
Chorégraphie : Cooky Chiapalone.
Distribution :
Tatiana : Natalya Pavlova.
Olga : Fleur BaronâšMadame Larina : Nona Javakhidze
Filipievna : Sophie Pondjiclis
EugĂšne OnĂ©guine : Simon MechliĆski
Lenski : Pavel ValuzhinâšLe prince GrĂ©mine : Andrey Valentiy
Monsieur Triquet : Ăric Vignau
Capitaine Zaretski : Mikhael Piccone
Orchestre et ChĆur de lâOpĂ©ra de Toulon
Production Opéra de Lorraine,
repris par Angers-Nantes Opéra
Photos : Frédéric Stéphan
1 Tatiana, Madame Larina, Olga;
2 EugĂšne, Tatiana;
3 Filipievna.
operadetoulon.fr
COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. LYON, OpĂ©ra, le 27 mars 2019. TCHAIKOVSKI : LâEnchanteresse. Zholdak / D. Rustioni
COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. LYON, OpĂ©ra, le 27 mars 2019. TCHAIKOVSKI : LâEnchanteresse. Zholdak / D. Rustioni. Jamais reprĂ©sentĂ© en France, LâEnchanteresse est pourtant lâune des partitions les plus sĂ©duisantes de TchaĂŻkovski, composĂ©e entre Mazeppa et La dame de Pique. La direction Ă©lectrisante de Daniele Rustioni et la mise en scĂšne ingĂ©nieuse de Andriy Zholdak, servies par une distribution Ă©poustouflante ont magnifiĂ© la crĂ©ation française de cet opĂ©ra enchanteur.
On est dâabord Ă©bloui par lâintelligence du dispositif scĂ©nique et la direction dâacteurs millimĂ©trĂ©e. Sur scĂšne, un montage vidĂ©o reprĂ©sentant le moine Mamyrov nous introduit dans la narration du drame qui sâexpose Ă travers un triple dispositif spatial : la reconstitution de lâintĂ©rieur dâune Ă©glise, monumentale et impressionnante, une cabane typiquement russe, auberge tenue par lâEnchanteresse Nastassia, et sur la gauche une chambre bourgeoise oĂč dĂ©ambulent des convives interlopes. La luxuriance des dĂ©cors est dâabord un atout idoine qui Ă©voque avec bonheur lâĂąme et la culture russes. Une transposition moderne ou dĂ©calĂ©e eĂ»t Ă©tĂ© Ă tout le moins une faute de goĂ»t. Mettre en scĂšne lâhistoire tragique de cette Carmen russe (comparaison Ă©voquĂ©e par le compositeur lui-mĂȘme dans sa correspondance) offre une multitude dâinterprĂ©tations, comme ce fut le cas encore rĂ©cemment avec le chef-dâĆuvre de Bizet.
La Carmen versus Tchaikovski
/ ThéorÚme russe
Lâaudace de la lecture de Zholdak souligne le charme vĂ©nĂ©neux de la jeune veuve qui parvient, tel le hĂ©ros du ThĂ©orĂšme de Pasolini, Ă sĂ©duire tous les cĆurs, du gouverneur, en passant par le prince Nikita et son fils le prince Youri, suscitant jalousies et trahisons, jusquâĂ la mort tragique du fils du gouverneur. La vision du metteur en scĂšne ukrainien semble rĂ©duire lâintrigue Ă la vision du prĂȘtre qui, parfois par des moyens virtuels (le casque quâil coiffe au dĂ©but de lâopĂ©ra), dirige le dĂ©roulement de la diĂ©gĂšse augmentĂ©e dâun quatriĂšme lieu, un salon blanc Ă Cour aux tonalitĂ©s inquiĂ©tantes. Le propos global montre une Ă©vidente rĂ©activation du concept de lutte des classes opposant la riche aristocratie Ă la vulgaire faune villageoise entre lesquelles apparaissent, en marge de lâintrigue, les expĂ©riences sexuelles dâun adolescent. On est ainsi pris entre une lecture objectivement virtuose et scĂ©niquement efficace et un dĂ©faut dâĂ©motions contredit par la musique dâune beautĂ© souveraine et la qualitĂ© exceptionnelle des interprĂštes.
En premier lieu, le rĂŽle-titre est magistralement dĂ©fendu par l’enchanteresse Elena Guseva, au caractĂšre bien trempĂ©, tout en faisant preuve dâune fragilitĂ© Ă©mouvante lors de son grand air du 3e acte (« Je tâai ouvert mon Ăąme »), magnifiĂ© par une projection maĂźtrisĂ©e et un timbre rond et puissant. Le prince Youri bĂ©nĂ©ficie des talents dâacteur de Migran Agadzhanian, tĂ©nor Ă la fois solide et lumineux qui toujours fait merveille, y compris dans son admirable duo avec sa mĂšre au second acte (« Je nâai devant DieuâŠÂ »). La princesse Eupraxie est justement interprĂ©tĂ©e avec conviction et un naturel autoritaire confondant par la mezzo Ksenia Vyaznikova, sorte de Junon des Steppes au timbre de lave ; remarquable Ă©galement sa suivante Nenila, campĂ©e par Mairam Sokolova. Son mari, le prince Nikita trouve une belle incarnation avec le baryton Evez Abdulla, qui concentre avec superbe toutes les tares du petit despote local, veule, intransigeant, violent, enragĂ© (voir son air de dĂ©pit du 4e acte : « Les enfers se sont ouverts »). Quant Ă lâespĂšce de dĂ©miurge que reprĂ©sente Mamyrov, il est merveilleusement incarnĂ© par Piotr Micinski, inquiĂ©tant Ă souhait et Ă lâĂ©mission vocale impeccable. Tous les autres rĂŽles secondaires mĂ©riteraient dâĂȘtre citĂ©s (comme le vagabond PaĂŻssi de Vasily Esimov ou le sorcier Koudma de Sergey Kaydalov) et complĂštent magnifiquement une distribution sans faille.
Dans la fosse, Daniele Rustioni dirige avec force et prĂ©cision lâOrchestre et les ChĆurs de lâOpĂ©ra de Lyon (ces derniers nâinterviennent quâen coulisse) et rend justice Ă une partition luxuriante, Ă la durĂ©e quasi wagnĂ©rienne, qui fait enfin son entrĂ©e dans le rĂ©pertoire français.
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COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. LYON, OpĂ©ra, le 27 mars 2019. TCHAIKOVSKI : LâEnchanteresse. Evez Abdulla (Prince Nikita), Ksenia Vjaznikova (Princesse Eupraxie), Migran Agadzhanyan (Prince Youri), Piotr Micinski (Mamyrov), Mairam Sokolova (Nenila), Oleg Budaratskij (Ivan Jouran), Elena Guseva (Nastassia), Simon Mechlinski (Foka), ClĂ©mence Poussin (Polia), Daniel Kluge (Balakine), Roman Hoza (Potap), Christophe Poncet de Solages (Loukach), Evgeny Solodovnikov (Kitchiga), Vasily Efimov (PaĂŻssi), Sergey Kaydalov (Koudma), Tigran Guiragosyan (InvitĂ©), Andriy Zholdak (mise en scĂšne, lumiĂšres et dĂ©cors), Simon Machabeli (costumes), Ătienne Guiol (VidĂ©o), Georges Banu (Conseiller dramaturgique), Christoph Heil (Chef des chĆurs), Orchestre et ChĆurs de lâOpĂ©ra de Lyon / Daniele Rustioni, direction / illustrations : © Stofleth
L’Enchanteresse de Tchaikovski, ou la Carmen russe
FRANCE MUSIQUE, Dim 14 avril 2019, 20h. TCHAIKOVSKI : LâEnchanteresse. Les dĂ©couvertes dâĆuvres rares de compositeurs pourtant archiconnus sont elles aussi exceptionnelles et cette Enchanteresse de lâauteur de Casse Noisette, EugĂšne OnĂ©guine (1879), La Dame de pique (1890), demeure une rĂ©vĂ©lation majeure de ces derniĂšres semaines. ReprĂ©sentĂ© en mars 2019 Ă l’OpĂ©ra de Lyon, lâopĂ©ra de Piotr Illiytch en 4 actes, est inspirĂ© de la piĂšce Ă©ponyme de Ippolit Chpajinski
Lâexceptionnel ouvrage LâEnchanteresse (1887) reste Ă©trangement mĂ©connu ; câest le 9Ăš opĂ©ra de TchaĂŻkovski, composĂ© juste avant sa CinquiĂšme Symphonie. nâest plus jouĂ© aujourdâhui. A torts. Anvers lâavait rĂ©cemment mis Ă lâhonneur (2011). Câest le tour de Lyon qui souligne combien la durĂ©e de la partition (3h) est proportionnelle Ă sa qualitĂ© : le plus long opĂ©ra de Tchaikovsky exige des chanteurs de qualitĂ© (trop nombreux ?) et des effets scĂ©niques Ă lâenvi (danses et chasse au IV) : dâoĂč la difficultĂ© pour le monter. Car en sorcier de lâorchestration et dâun raffinement de timbres inouĂŻ, Tchaikovski ne cesse dâenvoĂ»ter. Câest Ă cette source fantastique et dramatique passionnante que sâabreuve le jeune Rachmaninov, auteur lui aussi dâopĂ©ras (de jeunesse : tels Francesca da RImini, Le Chevalier LadreâŠ), actuellement totalement oubliĂ©s.
Le sujet cible lâamour et sa force irrĂ©sistible agissant comme un aimant. Tchaikovski souhaitait concevoir dans le sillon de Bizet, une Carmen russe, dĂ©nommĂ©e Nastassia, ou « Kouma ». TenanciĂšre, elle revĂȘt bien des aspects qui enchantent et fascinent tous les hommes prĂȘts Ă la suivre, dont le Prince Nikita Kourliatev qui en paiera le prix fort lui aussiâŠ
Dans cette production lyonnaise, les spectateurs avaient pu constater le parti du metteur en scĂšne russe Andriy Zholdak soucieux de mettre en avant le personnage ailleurs secondaire du clerc Mamyrov qui dirige les Ă©pisodes de lâaction, de France en Russie⊠Lâespace est rĂ©guliĂšrement divisĂ© en 3 parties comme un retable sacrĂ©, permettant lâinteraction de situations simultanĂ©es, mais parfois confuses. Lâhypocrisie sociale est de mise, permettant sous les masques, la rĂ©alisation des turpitudes et des fantasmes (sexuels : les guerriĂšres nippones provenant directement dâun manga Ă©rotiqueâŠ) les plus scabreux.
Pour autant, Zholdak montre rapidement quelques limites avec une propension Ă en faire trop, signifiant et sur-signifiant la moindre intention musicale, y compris dans certaines scĂšnes oĂč le livret tient la route (tel lâaffrontement dĂ©jĂ citĂ© entre les Ă©poux au II). Il nâĂ©vite pas, aussi, certaines redondances fatigantes Ă la longue et pas toujours trĂšs lisibles â notamment la prĂ©sence des guerriĂšres japonaises sexy façon manga, trop souvent sollicitĂ©e. Plus grave, avec des lieux peu pertinents par rapport Ă lâaction, il semble peu inspirĂ© lors des deux derniers actes, donnant une furieuse impression de tourner en rond par rapport Ă la premiĂšre partie de soirĂ©e.
La Carmen russe
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La distribution elle est sans dĂ©faut, y compris les « seconds rĂŽles » / comprimari : la Nastassia dâElena Guseva (Nastassia) dĂ©ploie chaleur de timbre, expressivitĂ© mordante, sens dramatique insolent. En princesse Romanovna, Ksenia Vyaznikova sâimpose elle aussi par sa prĂ©sence et son acuitĂ© musicale. Les hommes sont un peu moins convaincants hĂ©las⊠mais sans dĂ©mĂ©riter cependant. Question de justesse et dâautoritĂ© scĂ©nique. Câest le cas du chant tendu mais racĂ© dâEvez Abdulla (le prince Kourliatev) ; de Migran Agadzhanyan qui dĂ©fend le rĂŽle de Youri (fils du prince) honnĂȘtement sans plus. En fosse, Daniele Rustioni pilote lâOrchestre de lâOpĂ©ra de Lyon avec Ă©nergie, Ă dĂ©faut de rĂ©elles nuances. La fiĂšvre « fantastique » de lâopĂ©ra de Tchaikovski y gagne un magnĂ©tisme Ă©vident. Enfin on salue avec insistance le nez et lâaudace de lâOpĂ©ra de Lyon dâĂ©largir le rĂ©pertoire lyrique par la conquĂȘte de piĂšces mĂ©connues qui se rĂ©vĂšlent captivantes aprĂšs leur (re)crĂ©ation en France : en 2018 furent produites les crĂ©ations du Cercle de Craie (Zemlinsky) et de Germania dâAlexander Raskatov⊠/ Illustration : Lâenchanteresse Ă Lyon en mars 2019 / (© Bertrand Stofleth)
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TCHAIKOVSKI : LâEnchanteresse, opĂ©ra.
Piotr Ilyitch TchaĂŻkovski : TcharadieĂŻka
Evez Abdulla, baryton : Gouverneur de Nijni Novgorod
Ksenia Vyaznikova, mezzo-soprano : Princesse Eupraxie Romanovna, sa femme
Migran Agadzhanyan, ténor : Youri, leur fils
Piotr Micinski,basse : Mamyrov, vieux clerc
Mayram Sokolova, mezzo-soprano : Nenila, sa soeur, suivante de la princesse
Oleg Budaratsky, basse : Ivan Jouran, maßtre de chasse du prince
Elena Guseva, soprano : Nastassia (surnommée Kouma), aubergiste
Simon Mechlinski, baryton : Foka, son oncle
Clémence Poussin, mezzo-soprano : Polia, amie de Kouma
Daniel Kluge, ténor : Balakine, marchand de Nijni-Novgorod
Roman Hoza, baryton : Potap, fils de marchand
Christophe Poncet de Solages, ténor : Loukach, fils de marchand
Evgeny Solodovnikov : basse, Kitchiga, lutteur
Vasily Efimov, tĂ©nor : PaĂŻssi, errant sous l’apparence d’un moine
Sergey Kaydalov, baryton : Koudma, sorcier
Tigran Guiragosyan, ténor, invité
Choeur de l’OpĂ©ra de Lyon dirigĂ© par Christoph Heil
Orchestre de l’OpĂ©ra de Lyon
Direction : Daniele Rustioni
Andriy Zholdak (mise en scÚne, décors, lumiÚres)
COMPTE-RENDU, opĂ©ra. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 15 mars 2019. TCHAĂKOVSKI : La dame de Pique. BolchoĂŻ / T. SOKHIEV
COMPTE-RENDU, opĂ©ra. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 15 mars 2019. TCHAĂKOVSKI : La dame de Pique. BolchoĂŻ / T. SOKHIEV. Et si la version de concert dans ces conditions exceptionnelles Ă©tait la perfection pour les opĂ©ras ? Câest un peu ce qui me paraĂźt Ă©vident ce soir en Ă©coutant et en vivant cette Dame de Pique dont la richesse symphonique est desservie dans une fosse. Tugan Sokhiev avait dirigĂ© la Dame de Pique au Capitole en fĂ©vrier 2008, avec un immense succĂšs personnel pour sa parfaite comprĂ©hension de toutes les facettes de cet opĂ©ra complexe. La mise en scĂšne avait semblĂ© plus discutable Ă certains. Ce soir avec ses forces du BolchoĂŻ, le maestro va encore plus loin et nous entraĂźne encore plus avant dans la comprĂ©hension de cet opĂ©ra magnifique. Lâorchestre du BolchoĂŻ est incroyablement colorĂ©, puissant, compact. Les solistes nâont peut ĂȘtre pas tous la dĂ©licatesse de ceux du Capitole, mais quelle puissance expressive est la leur ! Plus puissant et parfois plus sauvages, les musiciens moscovites sont pris par le feu absolu qui Ă©mane de la direction de Tugan Sokhiev. Le chĆur qui nous avait enchantĂ© la veille, est ce soir encore plus nombreux (presque le double) et sans partitions. Il sâamuse et il est facile de deviner que sur scĂšne, ils ont maintes fois jouĂ© ces personnages du chĆur.
Le BolchoĂŻ Ă Toulouse
Une Dame de Pique historique !
Car dĂšs la premiĂšre scĂšne, les groupes sont multiples, et les dames chantent le chĆur dâenfants avec des voix plus blanches et une lĂ©gĂšretĂ© Ă©tonnante quand ont connait leur puissance. En ce qui concerne les chĆurs, deux moments opposĂ©s montrent sa qualitĂ© et sa ductilitĂ©, en mĂȘme temps que le gĂ©nie de la direction de Tugan Sokhiev. Le final du premier tableau de lâacte 2 (arrivĂ©e de la tsarine) et si imposant et noble que la prĂ©sence de la Grande Catherine semble vraie. Tant dâampleur, de puissance, de largeur sâoppose en tout au dernier chĆur dâhommes de lâopĂ©ra dans sa compassion pour Hermann mourant. Cette Ă©motion de sons pianos si riches harmoniquement, si timbrĂ©s et Ă la limite de la fragilitĂ© des voix, produit un effet émotionnel puissant en nĂ©gatif de la puissance sonore prĂ©cĂ©dente. Entre ces deux niveaux extrĂȘmes, toute les palettes musicales et Ă©motionnelles contenues dans la partition enveloppent le public, le fait Ă©voluer et changer.
La direction inspirée de Tugan Sokhiev, qui dirige en chantant tout par coeur, se donne totalement à la géniale musique de Tchaïkovski, la servant avec passion.
La distribution est sans faux pas, excellente pour des raison diffĂ©rentes. La Liza dâAnna Nechaeva est un fleuve vocal : puissance, homogĂ©nĂ©itĂ© de timbre, souffle large, timbre Ă©mouvant. Son mĂ©dium charnu et son grave sonore sont parfaits et les aigus lumineux. En Pauline, Elena Novak offre une gĂ©nĂ©rositĂ© vocale et musicale qui donne envie de lâentendre dans biens dâautres rĂŽles. Le Prince Yeletski dâIgor Golovatenko a toute la noblesse et lâĂ©motion dans sa voix qui rendent ces interventions inoubliables, du lyrisme de son air Ă la puissance de la scĂšne finale. Nikolay Kazanskiy en Tomski a une voix agrĂ©able et un chant plein dâempathie. La Comtesse dâAnna Nechaeva, dans un timbre dâune belle plĂ©nitude et une noblesse naturelle, chante Ă la perfection une partie complexe que souvent des divas sur le retour ne phrasent pas aussi dĂ©licatement. Câest un vrai rĂ©gal et son extraordinaire tempĂ©rament dramatique donne toute la puissance Ă son personnage qui redevient central. En Hermann, le tĂ©nor Oleg Delgov renoue avec les attentes de TchaĂŻkovski qui voulait pour son hĂ©ros une voix plus lyrique que dramatique. En effet la fausse tradition de donner ce rĂŽle Ă une Ă©norme voix ne tient pas compte de lâitalianitĂ© que TchaĂŻkovski attendait de son tĂ©nor et câest plus gĂȘnant si lâon prend en compte la fragilitĂ© mentale extrĂȘme du personnage. Lâintelligence dâOleg Delgov force lâadmiration tant il fait comprendre la complexitĂ© de son personnage. Il a semblĂ© plus dĂ©pendant de la partition quand tous ses collĂšgues savaient leur rĂŽle par cĆur, mais son Hermann restera dans les mĂ©moires. Le final en particulier a Ă©tĂ© bouleversant. Il faut prĂ©ciser que Tugan Sokhiev a terminĂ© Ă©puisĂ© ayant donnĂ© au final une dimension mĂ©taphysique bouleversante rendant lumineux le rapport au destin et Ă lâinĂ©vitable de la mort pour chacun. Je nâai jamais entendu ni en disque ni sur scĂšne un dernier tableau si Ă©levĂ© en terme de philosophie en musique et de spiritualitĂ©. LâĂ©motion qui a gagnĂ© la salle a Ă©tĂ© si intense que la dernier geste du chef a maintenu un trĂšs long silence recueilli avant que les applaudissements et le cris enthousiastes ne remplissent la Halle-aux-Grains. Immense succĂšs que nous devons aux « Grands InterprĂštes », partenaires de cette remarquable premiĂšre Musicale Franco-Russe pour ce concert idĂ©al. Tugan Sokhiev comprend et vit cette partition comme personne. Les forces moscovites survoltĂ©es, une distribution entiĂšrement russe, un public subjuguĂ©, âŠtout a concouru Ă faire de cette soirĂ©e un voyage inoubliable en terre de lâĂąme russe, du rapport au destin, de ses effets inĂ©luctables et tragiques.
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COMPTE-RENDU, OpĂ©ra. TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 14 mars 2019. Piotr Illich TCHAIKOVSKI (1840-1893) : La Dame de Pique, OpĂ©ra en trois actes et sept tableaux, version de concert. Avec : Oleg Dolgov, Hermann ; Nikolay Kazanskiy, Tomski ; Igor Golovatenko, Prince Yeletski ; Ilya Selivanov, Tchekalinski ; Denis Makarov, Sourine ; Ivan Maximeyko, Tchaplitski / Le maĂźtre des cĂ©rĂ©monies ; Aleksander Borodin, Narumov ; Elena Manistina, La Comtesse ; Anna Nechaeva, Liza ; Agunda Kulaeva, Pauline ; Elena Novak, La gouvernante ; Guzel Sharipova, Prilepa / Macha ; Orchestre et ChĆur du Théùtre du BolchoĂŻ de Russie , chef de chĆur Valery Borisov ; Tugan Sokhiev, direction. Illustration : © H Stoeklin pour classiquenews 2019
CD, critique. Dmitri LISS : Wagner, Tchaikovsky (Symphonie n°4) – 1 cd Fuga Libera (2017).
CD, critique. Dmitri LISS : Wagner, Tchaikovsky (Symphonie n°4) – 1 cd Fuga Libera (2017). Le couplage Wagner / Tchaikovsky ici rĂ©alisĂ© ne manque pas de nous sĂ©duire. Chef principal et directeur artistique de lâOrchestre Philharmonique de lâOural, Dmitri Liss retrouve dans ce programme biface, le South Netherlands Philharmonic / Philharmonie Zuidnederland, dont il est le chef principal depuis 2016. De toute Ă©vidence, sous sa direction, lâorchestre nĂ©erlandais redouble de nerf et de caractĂ©risation, en particulier dans la 4Ăš de Tchaikovski dont il rĂ©alise une version passionnante (nâĂ©coutez que le relief et la vitalitĂ© schizophrĂ©nique du Scherzo).
Le Wagner cultive une opulence sonore, un hĂ©donisme qui nous semble propre aux orchestre nordiques, comme sâil Ă©taient dĂ©finitivement marquĂ©s chez Wagner par la suspension de la « brume » orchestrale. Peu de dĂ©tails instrumentaux (comme ce chant de la clarinette du Liebestod⊠que savait articuler comme personne un Karajan subjuguĂ©). Liss, sans vouloir faire de jeu de mots, prĂ©fĂšre quant Ă lui « lisser » la texture wagnĂ©rienne, sans cependant rien lui ĂŽter de sa brillance et de son mystĂšre. Le mystĂšre achĂšve dans un murmure suspendu le Vorspiel ; quand au Liebestod, il est tout entier aspirĂ© par lâappel des cĂźmes, par la sublimation dâune conscience autre que celle du rĂ©el. Si Wagner cible la transcendance et la mĂ©tamorphosen Tchaikovski lui dans la 1Ăšre Symphonie ne parvient pas Ă se dĂ©faire dâune destinĂ©e contraire, comme maudite, empĂȘtrĂ©e dans un nĆud de conflits qui le laisse impuissant, dĂ©muni, solitaire.
Wagner lissé
Tchaikovsky schizophrénique
Dmitri Liss se montre moins vaporeux et plus tranchant, dramatique ici ; tout pĂ©nĂ©trĂ© par la tragĂ©die intime dâun Tchaikovsky dĂ©passĂ© par sa propre condition, le chef montre une rĂ©elle appĂ©tence pour lâorchestre tchaikovskien dont il sait dĂ©tailler les milles facettes du dĂ©sespoir. Ainsi lâappel des fanfares du premier mouvement, parfaitement Ă©quilibrĂ© et rĂ©sonnant comme une symphonie de Bruckner mais avec ce sens dĂ©jĂ du fatum, dâun théùtre tragique, marque le caractĂšre surtout grave et dĂ©finitif de lâample portique de plus de 18 mn (Andante sostenuto): lâorchestre sâimplique dans ce grand dessein du dĂ©sarroi avec un nerf et une belle clartĂ© des pupitres. La lisibilitĂ© polyphonique convainc. Mais Liss articule les Ă©pisodes plus chantants, eux aussi Ă©perdus, auxquels il sait apporter une pudeur investie rĂ©ellement prenante : les forces de lâesprit et de la transcendance contre la tension du Fatum. Sa direction hĂ©doniste ne manque pas de force ni de profondeur. Il y a de la grandeur, un sens rĂ©el de la sonoritĂ© ; une articulation qui donne de la sincĂ©ritĂ© Ă la direction, une vision trĂšs Ă©laborĂ© sur le plan du continuum et de lâarchitecture. Un esthĂšte au cĆur de la tempĂȘte Tchaikovsky, en somme Liss sait ciseler cet Ă©clat spĂ©cifique de la dĂ©pression (la marche Ă©chevelĂ©e, ivre, entre cordes chauffĂ©es Ă blanc et cuivres somptueusement lugubres⊠qui clĂŽt le sublime Andante initial / comme la souple ondulation intĂ©rieure du mouvement sui suit, le second Andantino in modo di canzona, câest Ă dire Ă©noncĂ©e comme une chanson italienne mais frappĂ©e du sceau dâune langueur maudite). Les Pizz du Scherzo sonnent comme la rĂ©sonance Ă©purĂ©e de la dĂ©pression qui sâest dĂ©ployĂ©e dans les mouvements prĂ©cĂ©dents : la tension lĂ encore est magistralement mesurĂ©e, avec une Ă©chelle de nuances serties dans lâĂ©coute intĂ©rieure ; les respirations de lâharmonie qui suit font Ă©couter cette mĂȘme comprĂ©hension intime de la partition, ⊠schizophrĂ©nique dans la succession des climats mentaux enchaĂźnĂ©s (lâune des plus autobiographiques de Piotr Illiytch ?) Liss est une baguette noble, articulĂ©e et souple douĂ©e dâune concentration profonde : intĂ©rieure, grave sans pathos. Bel Ă©quilibre. CLIC de CLASSIQUENEWS, en particulier pour le Tchaikovsky : on rĂȘve de disposer demain dâune intĂ©grale ciselĂ©e par Liss.
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CD, critique. Dmitri LISS : Wagner, Tchaikovsky (Symphonie n°4) – 1 cd Fuga Libera (2017) – Enregistrements rĂ©alisĂ©s en mars et dĂ©cembre 2017. CLIC de CLASSIQUENEWS de janvier 2019.
LILLE. Jean-Claude Casadesus joue la 6Ăš de Tchaikovsky
LILLE, ONL, jeudi 17 janv 2019. JC CASADESUS / REPIN. FASCINATIONS RUSSES : Tchaikovsky / Glazounov : lâĂąme russe Ă Saint-PĂ©tersbourg. VoilĂ le nouveau jalon de lâitinĂ©raire symphonique auquel nous convie Jean-Claude Casadesus, chef lĂ©gendaire et fondateur du National de Lille, au cours de cette saison 2018 – 2019. A mi parcours, le 17 janvier, lâidĂ©e est appĂ©tissante, en mettant en relation Tchaikovski le maudit et le classique et formellement lĂ©chĂ© Glazounov (mort Ă Neuilly sur Seine, le 21 mars 1936). Au dĂ©but du siĂšcle, lâautodidacte magnifique, Ă©lĂšve privĂ© de Rimsky (avec lequel il orchestre lâopĂ©ra de Borodine, Prince Igor en 1887), compose son ballet Raymonda, quelques symphonies (n°3 Ă 7), et son Concerto pour violon, alors quâil est devenu en 1899, professeur au Conservatoire de Saint-Petersbourg. Le programme du concert lillois permet de retrouver, serviteur zĂ©lĂ© et esthĂšte du son, le violoniste devenu rare en France Vadim Repin que lâon retrouve avec bonheur dans le Concerto de Glazounov.
Le gĂ©nie orchestrateur du compositeur sâaffirme ici, dâautant que Glazounov en 1904 est aussi sur le mĂ©tier de sa derniĂšre symphonie n°8. Instrumentiste habile, lâauteur sâessaye lui-mĂȘme aux rudiments du violon pour Ă©crire le Concerto : en deux mouvements enchaĂźnĂ©s (Moderato, andante / Finale : allegro), la partition redouble de virtuositĂ© solaire, dâun Ă©quilibre olympien qui exige beaucoup du soliste, en particulier dans la derniĂšre partie de lâAndante oĂč le jeu prodigieux du violoniste doit faire entendre deux instruments. Le feu conclusif, entre panache de la fanfare et Ă©nergie de la danse emporte toute rĂ©serve et pudeur, vers une cime joyeuse et Ă©blouissante.
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Concert « fascination russe »
LILLE, Auditorium du Nouveau SiĂšcle
Jeudi 17 janvier 2019, 20h
http://www.onlille.com/saison_18-19/concert/fascinations-russes/
CHOSTAKOVITCH
Ouverture de fĂȘte
GLAZOUNOV
Concerto pour violon et orchestre
TCHAĂKOVSKI
Symphonie n°6, âPathĂ©tiqueâ
ORCHESTRE NATIONAL DE LILLE
DIRECTION: JEAN-CLAUDE CASADESUSâš / VIOLON: VADIM REPIN
AprĂšs le concert, bord de scĂšne
avec Jean-Claude Casadesus
et Vadim Repin
(entrĂ©e libre, muni dâun billet du concert)
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Symphonie n°6 Pathétique de Tchaikovsky
Créée Ă Saint-PĂ©tersbourg le 16 octobre 1893, la 6Ăš symphonie est le sommet spirituel et introspectif de la littĂ©rature tchaikovskyenne : un Everest de la poĂ©sie intime et interrogative parfois inquiĂšte voire angoissĂ©e. Annonçant ce mĂȘme sentiment de terreur intĂ©rieure sublimĂ©e dâun Chostakovtich Ă venir. La 6Ăš Symphonie captive de bout en bout par lâengagement des musiciens, qui doivent entre Ă©lectricitĂ© et embrasement mais intĂ©rieurs, exprimer la traversĂ©e dans lâautre mondeâŠDans le dernier mouvement (conçu comme un « long adagio », selon sa correspondance avec son neveu chĂ©ri Vladimir Davydov qui en le dĂ©dicataire), et au cours de lâexposition ultime, Ă©nigmatique, de la Sarabande finale, le chant orchestral entonne une danse sacrale, noire, vertigineuse, vĂ©ritable exposĂ© et mise Ă nu, dâune vĂ©ritĂ© secrĂšte, sourde, qui terrasse finalement tout le cycle⊠Cette conscience et cette sincĂ©ritĂ© dans lâintention globale et la construction de la symphonie ultime de Piotr Illiytch affirme une quĂȘte inĂ©dite, qui assure le passage du vivant au mort, en un renoncement obligĂ© pas toujours serein. Aux portes de sa prochaine agonie, la PathĂ©tique raconte la derniĂšre odyssĂ©e du compositeur Ă la maniĂšre dâun Livre des morts, soit autant de paysages Ă la fois intime, personnels (donc secrets voire Ă©nigmatiques), puis terrassĂ©s, angoissĂ©s, comme saisis par lâineffable du tragique. La terreur se fait priĂšre.
Que sera le geste de JC Casadesus ? Il tĂ©moignera dâune expĂ©rience musicale unique Ă ce jour, nourrie par sa complicitĂ© avec les instrumentistes de lâOrchestre National de Lille. Entre la premiĂšre exĂ©cution (pilotĂ©e par lâauteur) dont la direction incertaine suscita un certain malaise, et la reprise sous la baguette de Napravnik, portĂ©e en triomphe, Piotr Illiytch Ă©tait mort, terrassĂ© par un scandale liĂ© Ă la menace dâune rĂ©vĂ©lation de son homosexualitĂ©. Ainsi la 6Ăš recueille la derniĂšre pensĂ©e de lâimmense synphoniste emportĂ© dans la nuit du 18 nov 1893.
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TOURNEE EN REGION
En région
Pas de billetterie O.N.L / billetterie extérieure
Violon : Esther Yoo
Boulogne-sur-Mer Théùtre
vendredi 18 janvier 20h
Infos et réservations au 03 21 87 37 15 ou sur www.ville-boulogne-sur-mer.fr
Aire-sur-la-Lys Le ManĂšge
samedi 19 janvier 20h
Infos et réservations au 03 74 18 20 26
DVD, coffret. PYOTR ILYITCH TCHAIKOVSKY : The Ballets (Royal opera House, 3 DVD Opus Arte)
DVD, coffret. PYOTR ILYITCH TCHAIKOVSKY : The Ballets (Royal opera House, 3 DVD Opus Arte). Coffret Ă©vĂ©nement qui complĂšte lâoffre Ă©galement en dvd rĂ©capitulatif Ă©ditĂ© ce NoĂ«l par BelAirclassiques et dĂ©diĂ© Ă lâĂ©cole russe du Bolshoï⊠Quoiquâon en dise, Tchaikovski aura permi aux chorĂ©graphes et danseurs internationaux de perfectionner leur art, quâil sâagisse de lâacrobatie virtuose et un rien froide, ou de lâĂ©lĂ©gance racĂ©e sublimement incarnĂ©e⊠Voici 3 ballets qui restent ⊠inaltĂ©rables.
Parlons dâabord du LAC DES CYGNES / Swan Lake version Osipova / Golding / Gruzin. EnregistrĂ© en mars 2015 au Royal Opera House, Covent Garden, et retransmise dans les cinĂ©mas du monde entier, le ballet fĂ©erique de Piotr Illiytch rĂ©unit deux tĂȘtes dâaffiche du Royal Ballet, lâĂ©toile russe Natalia Osipova (originaire du Bolshoi) et le canadien, Matthew Golding, nouveau duo pour ce lac attendu. La conception dâAnthony Dowell, qui date de 1987, sâinspire de lâoriginale de 1895 (Petipa / Ivanov), souhaite aussi rĂ©actualiser le propos en incluant des inserts venus de diffĂ©rents chorĂ©graphes plus contemporains, emblĂ©matiques Ă Londres : en particulier Frederick Ashton. Sans omettre des citations de lâĂ©poque de Tchaikovski. Il en rĂ©sulte un mĂ©lange parfois confus, qui affecte le trĂšs haut niveau du Corps de Ballet londonien, pourtant au meilleur de sa forme, autant dans la rĂ©alisation synchronisĂ©e des ensembles, que dans le soutien au solos virtuoses (superbe Rothbart de Gary Avis). Technicienne, Natalia Osipova nâest pas une actrice affĂ»tĂ©e, ce qui altĂšre son double emploi : Odette, le cygne blanc, et Odile, le cygne noir. Expressive en Odette, elle manque de relief et de profondeur, mais aussi de prĂ©cision dans la noirceur dâOdile. RacĂ© certes mais uniforme dans sa posture disciplinaire, Matthew Golding fait finalement un prince Siegfried plus hautain quâhumain, ce qui nuit Ă la finesse Ă©motionnelle de ses duos avec Odile / Odette. Evidemment, lâampleur de ses portĂ©s est magistrale. LĂ encore, une approche mĂ©canique, virtuose⊠mais froide et distanciĂ©e qui ignore totalement lâempathie et la connexion avec sa partenaire. Dans la fosse, Boris Gruzin fait feu de tout bois, rĂ©alisant de la matiĂšre et soie tchaikovskienne, un scintillement orchestral continu. Trop technique et glaçante, la lecture ne dĂ©trĂŽne pas lâexcellent duo Svetlana Zakharova / Roberto Bolle Ă Milan en 2004⊠Oui on nous dira nostalgie, nosltalgie, et « goood old times »⊠mais quand mĂȘme.
LA BELLE AU BOIS DORMANT version Nuñez, Muntagirov. Tout autre est la conception, elle aussi éclectique mais mieux assemblée et conçue de Monica Mason et Christopher Newton : à partir de la chorégraphie de Marius Petipa, ils conservent les ajouts signés Ashton, Wheeldon, Dowell, tout en redessinant la volupté onirique du conte originel français (Perrault)
grĂące aux costumes et dĂ©cors signĂ©s par Olivier Messel. Il en rĂ©sulte une lecture Ă la fois majestueuse et trĂšs fine sur le plan de la caractĂ©risation psychologique des personnages. On prĂ©fĂšre souvent grossir et Ă©paissir le ballet de Tchaikovski en faisant ronfler les rĂ©fĂ©rences Ă la solennitĂ© Grand SiĂšcle, au risque dâĂ©carter tout ce qui relĂšve du drame : rien de tel ici. Car rayonne en un trio irrĂ©sistible trois danseurs-acteurs prodigieux littĂ©ralement : Marianela Nunez (Princesse Aurora, Ă la fois proche et Ă©nigmatique), Kristen McNally (sidĂ©rante Carabosse par laquelle surgit la catastrophe et lâemprise des tĂ©nĂšbres, mais avec quelle Ă©conomie gestuelle : sa pantomime est du trĂšs grand art), enfin le Prince de Vladimir Muntagirov trouve le ton juste et la balance parfaite entre puissance athlĂ©tique et prĂ©sence affĂ»tĂ©e, sans omettre une excellente interaction avec ses partenaires, dans toutes les situations. VoilĂ qui nous change du « rien que technique et virtuositĂ© solistique » du Lac des cygnes prĂ©cĂ©demment prĂ©sentĂ©. Le geste souple et habitĂ© de Koen Kessels rend service Ă une partition colorĂ©e et raffinĂ©e dont il sait retirer toute boursouflure. Magistral.
CASSE NOISETTE, 2016 : les 90 ans de Peter Wright. Le Royal Ballet fĂȘte ainsi les 90 ans du metteur en scĂšne et producteur Peter Wright, dans lâune de ses rĂ©alisations les plus emblĂ©matiques (et applaudies). Créée en 1984, la conception enchante en respectant lâempire du rĂȘve qui montre comment le magicien Drosselmeyer emmĂšne la jeune Clara jusquâau monde enneigĂ© de la FĂ©e DragĂ©e, et au royaume des bonbons. Les aventures qui sâen suivent saisissent par leurs pĂ©ripĂ©ties contrastĂ©es voire martiales : le casse-noisette Hans-Peter se transforme en prince⊠Mais Wright offre Ă partir de la nouvelle onirique dâHoffmann (Casse noisette et le roi des souris, 1816), une rĂ©flexion trĂšs fine de la magie de NoĂ«l, sachant et questionner le sens de la fĂ©erie et lâexpĂ©rience morale quâen tirent les jeunes protagonistes. Saluons lâexcellent Gary AVIS, magicien dĂ©miurge, dâune prĂ©sence convaincante, entre autoritĂ© et mystĂšre. Il accompagne Clara dans son rite qui est aussi lâissue heureuse dâun envoĂ»tement diabolique, car son neveu Hans-Peter a Ă©tĂ© transformĂ© par le roi des souris, en casse-noisette, or seul lâamour dâune jeune fille pourra lâen libĂ©rer.
Au premier acte, confrontĂ©e Ă un immense sapin (qui ne cesse de grandir Ă mesure que le songe devient rĂ©el), Clara rayonne par son angĂ©lisme jamais miĂšvre (trĂšs juste Francesca Hayward). Le Casse-noisette devient prince (seyant et habile Federico Bonelli)⊠Au pays de la FĂ©e DragĂ©e, les danses de caractĂšres se succĂšdent avec variĂ©tĂ© et virtuositĂ©. Jusquâau suprĂȘme pas de deux de la FĂ©e DragĂ©e, auquel lâĂ©toile Lauren Cuthbertson rĂ©serve son Ă©lĂ©gance mĂ»re dâune sublime souplesse : face Ă la Clara attendrie et naĂŻve de Hayward, Cuthbertson Ă©blouit par sa grĂące adulte. Le charme de la production, dĂ©fendu par des solistes de premier plan, semble atemporel. IrrĂ©sistible.
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DVD, coffret. PYOTR ILYITCH TCHAIKOVSKY : The Ballets (Royal opera House, 3 DVD Opus Arte).
EugĂšne OnĂ©guine Ă l’OpĂ©ra de Tours
TOURS, OpĂ©ra. Tchaikovski: EugĂšne OnĂ©guine, les 11, 13 et 15 mai 2016. Une nouvelle tragique de Pouchkine, quintessence du romantisme russe, inspire TchaĂŻkovski pour composer un opĂ©ra Ăąpre, vrai théùtre psychologique dont les thĂšmes sont lâimpuissance, la fatalitĂ©, la force d’un destin maudit… en l’occurrence celui dâEugĂšne : noble aigri, victime de l’amour qui pour se prĂ©server prĂ©fĂšre renoncer Ă tout amour; aussi quand celui ci prend les traits de la belle et jeune Tatiana, le bourreau feint une indiffĂ©rence qui approche le mĂ©pris : mĂȘme la sublime dĂ©claration Ă©crite que la jeune femme adresse Ă celui qui lui a ravi le coeur, n’y fait rien et l’homme se mure dĂ©finitivement dans la solitude. .. Pourtant des annĂ©es aprĂšs, Tatiana devenue princesse rayonne et sĂ©duit EugĂšne qui cette fois, ne pouvant rĂ©sister, s’enflamme, avoue sa passion. …mais dĂ©calage et erreur de synchronicitĂ©, il est trop tard : si Tatiana aime toujours OnĂ©guine, elle restera fidĂšle Ă son Ă©poux.
La production mise en scĂšne par Alain Garichot cisĂšle chaque profile psychologique en une Ă©pure finale qui atteint la sobre et trĂšs intense Ă©pure sentimentale. On avait dĂ©couvert cette rĂ©alisation sur la scĂšne d’Angers Nantes OpĂ©ra (mai 2015) : action brĂ»lĂ©e, voix passionnĂ©es alors. Un grand moment de vĂ©ritĂ© tragique loin des visions trop dĂ©calĂ©es ou thĂ©atreuses, câest Ă dire trop peu respectueuse de la musique. FidĂšle Ă sa maniĂšre Alain Garichot respecte l’intelligibilitĂ© des situations Ă©motionnelles, leur pure et claire implosion dans lâexplicite. Sur scĂšne, il nâest pas dâĂ©quivalent Ă lâintensitĂ© cynique barbare des passions conçues par Piotr Illiytch.
EugĂšne OnĂ©guine Ă lâOpĂ©ra de Tours
ScĂšnes lyriques en trois actes
Livret du compositeur, d’aprĂšs Pouchkine
Création le 29 mars 1879 à Moscou
Mercredi 11 mai 2016 – 20h
Vendredi 13 mai 2016 – 20h
Dimanche 15 mai 2016 – 15h
Direction musicale : Jean-Yves Ossonce
Mise en scĂšne :Â Alain Garichot
Tatiana :Â Gelena Gaskarova *
Olga : Aude Extrémo
Madame Larina :Cécile Galois
Filipievna :Â Nona Javakhidze
EugÚne Onéguine : Jean-Sébastien Bou
Lenski : Sébastien Droy
Prince Grémine :Grigory Soloviov *
Monsieur Triquet :Loïc Félix *
Zaretski :Â Jean-Vincent Blot *
Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire / Tours
Choeurs de l’OpĂ©ra de Tours et Choeurs SupplĂ©mentaires
Présenté en russe, surtitré en français
* dĂ©buts Ă lâOpĂ©ra de Tours
Réservations / informations
02.47.60.20.00
theatre-billetterie@ville-tours.fr
Billetterie
Ouverture du mardi au samedi
10h Ă 12h / 13h Ă 17h45
Grand Théùtre de Tours
34 rue de la Scellerie
37000 Tours
DVD, compte rendu critique. Lang Lang, live in Versailles. Chopin, Tchaikovsky. Scherzos, Les Saisons. Lang Lang, piano – 1 dvd Sony classical, juin 2015
Versailles, juin 2015. Lang Lang, le roi chinois du piano offre un concert de prestige dans le temple de la monarchie française : Versailles. Un lieu luxueux et Ă©litiste que lâinterprĂšte qui aime collectionner les dĂ©fis comme une nouvelle performance, avait Ă cĆur dâĂ©pingler dans son dĂ©jĂ riche palmarĂšs. La rĂ©alisation visuelle tient quand mĂȘme Ă une certaine autocĂ©lĂ©bration grandiloquente, avec par la diversitĂ© des plans focus sur les mains, sur la gestuelle plus que théùtralisĂ©e du pianiste au renom planĂ©taire, sur la recherche dâun cadrage parfois alambiquĂ©e et de façon surprenante souvent dĂ©centrĂ© (?)⊠une tentation pour une succession hystĂ©risĂ©e de cadres, dâeffets, dâaccents spectaculaires⊠pas sĂ»r que Chopin, poĂšte de lâĂ©loquence secrĂšte et de lâintime mystĂ©rieux aurait validĂ© une telle conception. Et dĂšs le premier Scherzo de Chopin, le rĂ©alisateur insĂšre dans le concert des vues des jardins (ce qui aurait mieux valu pour les Saisons de Tchaikovsky).
1. CHOPIN dĂ©clamatoire (environ 40 mn). Pourtant, musicalement, malgrĂ© ses attitudes et expressions exacerbĂ©es, Lang Lang dont on sait le naturel pour le surjet et un pathos pas toujours de bon goĂ»t, surprend dĂšs le Scherzo n°1, aprĂšs un feu pĂ©taradant oĂč il cherche ses limites et pose les jalons du concert, dans une immersion plus intĂ©rieure oĂč coule une rĂ©elle bĂ©atitude plus nuancĂ©e. Un rĂȘve jaillit soudainement sous les ors et le dĂ©corum de la Galerie des Glaces du palais de Versailles. Jouer Chopin Ă Versailles relĂšve dâun dĂ©fi : produisant un esthĂ©tisme viscĂ©ralement opposĂ© (grandeur du Grand SiĂšcle mĂȘme sâil est raffinĂ© ; intimitĂ© introspective dâune musique fabuleuse qui se suffit Ă elle-mĂȘme). Mais le phĂ©nomĂšne Lang Lang se rĂ©alise lĂ encore : occupant lâespace. IrrĂ©sistiblement. A grand renforts de mouvement de la tĂȘte et du cou, le pianiste semble concentrer toute la charge Ă©motionnelle et le raffinement esthĂ©tique du lieu historique : il en transmet ensuite et rĂ©percute le feu sacrĂ© dans un jeu trĂ©pidant et vif souvent dĂ©monstratif. Mais qui fait les dĂ©lices du rĂ©alisateur de ce film Ă©crit comme un clip grandiloquent.
Dâautant que les amateurs du baroque Français profitent aussi de la rĂ©alisation pour revisiter au moment du concert, les lieux sublimes de la monarchie française. TorchĂšres dorĂ©es, sculptures antiques dans la galerie, plafond de Lebrun⊠la riche machine dĂ©corative et politique souhaitĂ©e par Louis XIV acclimatĂ© Ă la ciselure et aux crĂ©pitements du mieux romantiques des compositeurs-pianistes. Le choc ne manque pas de sel.
Lang Lang sous les ors de Versailles
RĂ©serve : le pianiste comme emportĂ© par son feu typiquement oriental, voire kitch, nâĂ©carte pas une certaine duretĂ©. Ni une prĂ©cipitation qui dans le lieu, sonne artificiel.
Le Scherzo n°2 brille par ce crĂ©pitement dur, mordant, une exacerbation qui nâĂ©vite pas dâĂȘtre parfois outrĂ©e ; il est vrai que le lieu ne favorise pas le repli, ni la pudeur comme lâimmersion dans lâintrospection. Lang Lang dĂ©clame dans une partition qui alterne Ă©panchement sincĂšres et chant tragique ; la technicitĂ© est flamboyante mais dĂ©borde de la pudeur rentrĂ©e inscrite dans le morceau. Câest un Chopin plus brillant et finalement mondain que vraiment intĂ©rieur (tendance nettement explicite dans le Scherzo 3 oĂč le jaillissement des notes aigĂŒes en cascades sont plus crĂ©pitements dĂ©terminĂ©s que ruissellements magiciens). Le Scherzo n°4 qui exige certes une technique hallucinante, pĂȘche par ce manque dâintĂ©rioritĂ© et de mystĂšre qui sont profondĂ©ment inscrits dans la partition chopinienne; les contrastes pourtant saisissants des dynamiques dâune partition Ă lâautre, sont jouĂ©s sans plus de profondeur ; tout cela manque dâĂ©coute intĂ©rieure. Tout est projetĂ© dans un jeu dĂ©clamatoire, certes articulĂ© mais trop affirmĂ© dans la lumiĂšre; câest dans la succession des tableaux de ce Scherzo final que le pianiste et son jeu se rĂ©vĂšlent totalement, et de façon caricaturale. Les fans apprĂ©cieront sans mesure ; les autres, songeant Ă Argerich, Pires resteront Ă©trangers Ă un concert martelĂ© comme un Ă©vĂ©nement (aprĂšs celui de Bartoli) mais qui en concevant pour le Chopin, une scĂšne mondaine (comme celle de son rival dâalors, Liszt, coeur dâune hystĂ©risation collective) demeure a contrario de lâesprit du piano chopinien.
2. TCHAIKOVSKI plus sincĂšre et naturel voire intĂ©rieur. Sâil nâest pas pour nous un Chopinien mĂ©morable, Lang Lang se montre dâune cohĂ©rence autre et dâune conviction plus naturelle dans les 12 sĂ©quences (12 mois) des Saisons opus 37a, soit 12 PiĂšces caractĂ©ristiques de Piotr Illyitch. Le pianiste creuse le prĂ©texte climatologique et saisonnier pour percer et exprimer la fine saveur intĂ©rieure de chaque piĂšce en particulier la rĂȘverie suspendue de la barcarolle pour le mois de juin (plage VI), dâune secrĂšte et trĂšs intime tendresse. Infiniment moins exigeantes en matiĂšre de scintillement dynamique et de nuances millimĂ©trĂ©es, les 12 tableaux formant saisons permettent au pianiste de dĂ©voiler un tempĂ©rament plus libre, moins contraint, dâune souplesse organique plus sincĂšre. CaractĂšre martial comme une armĂ©e qui sâorganise pour la chasse de septembre (plage IX) ; puis chant automnal dâoctobre plus recueilli et presque religieux (tendresse fraternelle en Ă©cho au VI, et dâune nostalgie pleine dâamertume et de regrets, de blessures intimes Ă peine masquĂ©es, selon une combinaison si emblĂ©matique de Tchaikovski), la lĂ©gĂšretĂ© presque insouciante du dernier Ă©pisode (NoĂ«l pour dĂ©cembre, un ton bienvenu au moment oĂč le dvd sort en France) affirment une virtuositĂ© plus mesurĂ©e, certes moins exigeante, mais lâintonation est juste et globalement mieux canalisĂ©e. Le charme du lieu opĂšre, la personnalitĂ© (indiscutable) du pianiste sâimposent dâeux-mĂȘmes. Pour le Tchaikovski et la beautĂ© du lieu de tournage, le dvd composera le plus beau des cadeaux de votre NoĂ«l 2015.
Effet de marketing pour un chĂąteau qui souhaite toujours ĂȘtre Ă la page de lâĂ©vĂ©nement musical et de la scĂšne poeple, Lang Lang est dĂ©clarĂ© « ambassadeur » du chĂąteau de Versailles ; il donnera un grand concert dans le bosquet de la Salle de Bal, au cĆur des Jardins Royaux, le mardi 5 juillet 2016 (dans le cadre de Versailles Festival). DVD, Lang Lang, »Live in Versailles” (Chopin, TchaĂŻkovsky) 1 dvd Sony classical. Parution le 18 dĂ©cembre 2015 chez Sony classical. Live enregistrĂ© dans la galerie des Glaces du chĂąteau le 22 juin 2015.
DVD, compte rendu critique. Lang Lang, live in Versailles. Chopin, Tchaikovsky. Scherzos, Les Saisons. Lang Lang, piano – 1 dvd Sony classical.