
COMPTE RENDU critique, opĂ©ra. TOULON, OpĂ©ra, le 26 mai 2019. TCHAIKOVSKI : EugĂšne OnĂ©guine. Pouchkine⊠Magnifique et terrible vie que celle du poĂšte romancier Alexandre Pouchkine (1799-1837), descendant dâun Africain et appelĂ© Ă devenir le premier Ă©crivain Ă avoir donnĂ© ses lettres de noblesse littĂ©raire Ă la langue russe, vĂ©nĂ©rĂ© comme tel en Russie. Jeunesse tumultueuse, dissidente politiquement, il connaĂźt lâexil puis le carcan rĂ©cupĂ©rateur de postes officiels imposĂ©s, notamment censeur, Ă lâopposĂ© de ses aspirations libertaires. Comme son hĂ©ros Lenski dans son roman en vers, Pouchkine meurt en duel, tuĂ© par son beau-frĂšre, un officier alsacien qui avait dĂ©jĂ Ă©pousĂ© la sĆur de Natalia, sa frivole Ă©pouse, afin de dĂ©tourner ses soupçons et dĂ©sarmer le premier dĂ©fi du poĂšte. La simplicitĂ© classique de la langue de ce romantique exaltĂ© aura le mĂ©rite dâinspirer nombre de compositeurs, Glinka (Rouslan et Ludmila), Dargomyjski (La Russalka, Le Convive de Pierre), Moussorgski (Boris Godounov), TchaĂŻkovski (Eugene Oneguineet La Dame de pique, Mazeppa), Rimski-Korsakov (Mozart et Salieri,Le Coq dâor), Rachmaninov (Le Chevalier avare).
Le roman et lâopĂ©ra
De ce roman en vers, plus quâun opĂ©ra avec nĆud, pĂ©ripĂ©ties et dĂ©nouement dramatique, TchaĂŻkovski tire, comme il lâintitule justement une suite de « scĂšnes lyriques » en trois actes et sept tableaux, des moments dans la vie du hĂ©ros EugĂšne OnĂ©guine, jeune gandin guindĂ©, fringuĂ© et arrogant, jouant les dandies blasĂ©s et cyniques Ă la mode anglaise des Lovelace de Richardson et de Byron, en vogue dans les annĂ©es 1820.
SĂ©duisant dâemblĂ©e la romanesque Tatiana, jeune provinciale qui se livre entiĂšrement Ă lui dans une lettre, prisonnier de son rĂŽle, il la repousse, pour en tomber Ă©perdument amoureux lorsquâil la retrouvera plus tard mariĂ©e et princesse fĂȘtĂ©e de la capitale, et en sera repoussĂ© Ă son tour.
Entre temps, il aura tuĂ© en duel son meilleur ami, le poĂšte Vladimir Lenski, aprĂšs un badinage provocateur avec la coquette Olga, la fiancĂ©e de ce dernier, sĆur de Tatiana. Bref, ce sont, pratiquement, Ă lâexception du duel, presque comme un accident qui ne semble avoir dâautre incidence sur lâhistoire quâun long voyage dâEugĂšne, des scĂšnes domestiques intimes, Ă©gayĂ©es de danses de paysans et avec deux bals antithĂ©tiques (province et capitale) et deux scĂšnes tout aussi opposĂ©es entre Tatiana et EugĂšne, et deux refus symĂ©triquement inverses de lâhomme, puis de la femme, de rĂ©pondre Ă lâamour de lâautre.
Piotr Illyitch Tchaikovski
EugĂšne Oneguine : LâĂTRE ET LETTRE
 
Lettres symétriques
EugĂšne Oneguine, paru en feuilletons, roman en vers commencĂ© Ă vingt-deux ans, terminĂ© quelque huit annĂ©es plus tard, est court en texte mais long en Ă©laboration. Dans une architecture trĂšs libre, trĂšs lĂąche mĂȘme avec ses digressions lyriques et ses commentaires de lâauteur sur ses personnages, il est nĂ©anmoins structurĂ© par deux lettres parallĂšles et dissymĂ©triques : celle de Tatiana Ă EugĂšne au milieu du chapitre III aprĂšs leur rencontre, et celle dâEugĂšne Ă Tatiana mariĂ©e au Prince GrĂ©mine, aprĂšs leurs retrouvailles des annĂ©es aprĂšs, au chapitre VIII, la fin. Dans la premiĂšre, câest tout son ĂȘtre que livre la jeune fille, campagnarde romantique, Ă lâĂ©lĂ©gant citadin blasĂ©, sâabandonnant Ă son vouloir :
« à jamais je te confie ma destinée ».
à quoi, un EugÚne repenti qui avait gardé la lettre de Tatiana, répond en écho décalé mais tardif :
« Faites de moi / Ce quâil vous plaĂźt [âŠ] Je mâabandonne Ă mon destin. »
Sans rĂ©pondre Ă sa lettre (absente de lâopĂ©ra), le faisant attendre impitoyablement des mois durant, mĂȘme en avouant quâelle lâaime encore, Tatiana lui rĂ©pĂštera presque mot pour mot ce quâil lui rĂ©pondit alors (« votre leçon ») en refusant son amour. Et la jeune femme tire amĂšrement mais implacablement la leçon commune de la rencontre ratĂ©e de deux ĂȘtres, victimes et de la fatalitĂ© invoquĂ©es par tous deux :
« Et le bonheur Ă©tait si proche, / Si possibleâŠMais le destin / A tranchĂ©. »
Héros antinomiques : images
Pouchkine, dĂšs lâĂ©pigraphe qui prĂ©cĂšde son roman, place son hĂ©ros sous des auspices peu sympathiques : « PĂ©tri de vanitĂ© » ; dâorgueil, causĂ© par « un sentiment de supĂ©rioritĂ©, peut-ĂȘtre imaginaire ». Dans lâexergue immĂ©diatement en tĂȘte du premier chapitre, il indique : « Il est pressĂ© de vivre, il a hĂąte de jouir. »
Il le prĂ©sente Ă la suite « faisant risette Ă un mourant » quâil voue au diable, un oncle dont il espĂšre hĂ©riter car son pĂšre a ruinĂ© la famille. Plus humoristiquement, il le traite de « jeune vaurien », « mon polisson », « VĂȘtu comme un dandy de Londres », sachant « écrire et lire le français / Ă la perfection », « garçon instruit mais pĂ©dant », faisant illusion sur sa culture, finalement pas trĂšs grande, mais suffisamment pour sĂ©duire « des coquettes dĂ©jĂ expertes » au nez de leur mari, sachant « fort tĂŽt porter le masque », collectionneur prĂ©cieux de prĂ©cieuses babioles de toilette, affligĂ© dâune « paresse mĂ©lancolique », mais passant « trois heures au moins /Par jour Ă se voir dans la glace », et, finalement, il « sortait de son cabinet / Semblable Ă VĂ©nus la friponne » dĂ©guisĂ©e en homme, sophistication toute fĂ©minine. Mondain, apprĂ©ciĂ© partout dans le grand monde, il hante les soirĂ©es, les théùtres. MĂȘme Ă la fin, le narrateur le nomme « Mon incorrigible excentrique », « bizarre compagnon », voyageant avec lui aprĂšs la rupture absolue avec Tatiana.
Autant dire que ce personnage superficiel longuement prĂ©sentĂ©, est Ă lâextrĂȘme opposĂ© de la rĂȘveuse Tatiana, parue plus tard dans le roman, qui
« nâavait ni la beautĂ©/ Ni la fraĂźcheur de sa cadette ;
Rien qui attire le regard. / Triste, sauvage, enfermée,
Pareille Ă la biche craintive, /
Elle avait lâair dâune Ă©trangĂšre/ Au sein de sa propre famille ».
Elle nâest « jamais cĂąline » avec les siens, sans poupĂ©e, « on ne lâavait jamais vu sâamuser » : « Rien dâespiĂšgle en elle », Ă lâinverse de sa sĆur Olga, se lassant vite des jeux frivoles avec leurs « petites amies », en rien attirĂ©e par les travaux domestiques fĂ©minins, le travail dâaiguille. Lectrice de Richardson, de Rousseau. Autant dire que cette personne profonde, douĂ©e ou affligĂ©e dâune « pensive rĂȘverie/ Depuis quâelle Ă©tait tout enfant », si elle a le coup de foudre pour OnĂ©guine, ce nâest quâun malentendu reposant sur une image et il aura sans doute assez de luciditĂ© pour deux pour refuser cet ĂȘtre projetĂ© sur lui par la romanesque jeune fille. Et quand il la retrouve plus tard, mariĂ©e Ă un hĂ©ros, le Prince GrĂ©mine, Ă©lĂ©gante donnant le ton dans les salons, câest sans doute de cette image quâil sâĂ©prend et prend pour un amour qui a couvĂ© durant ses longs voyages aprĂšs avoir tuĂ© Lenski en duel.
LâopĂ©ra
Le tourmentĂ© TchaĂŻkovski, nĂ© en 1840 et mort prĂ©maturĂ©ment en 1893 sans que lâon sache de quoi, tout aussi fĂȘtĂ© en son pays que Pouchkine (il aura droit Ă des funĂ©railles nationales) crĂ©e en 1878 sa version musicale du roman en vers. Sa volontĂ© toute moderne de vĂ©ritĂ© le pousse Ă refuser, pour ces rĂŽles principaux de jeunes gens amoureux, des chanteurs vĂ©tĂ©rans et leur prĂ©fĂšre la fraĂźcheur et la spontanĂ©itĂ© de jeunes solistes du Conservatoire de Moscou oĂč lâĆuvre est créée au théùtre Maly, le 29 mars 1879.
On dirait de cet opĂ©ra, par ses sentiments et situations, quâil est « vĂ©riste » si le vĂ©risme nâĂ©tait souvent quâune exacerbation de sentiments extrĂȘmes alors quâici, tout est dans un intimisme qui, malgrĂ© les Ă©lans passionnĂ©s, demeure dans une grande pudeur dont mĂȘme la transgression de la lettre dâamour de Tatiana nâest quâune exaltation de cette limite rompue.
En sorte, non tragĂ©die, mais drame dâun dĂ©calage dans le temps, dit-on, mais aussi, on ne le remarque pas, de deux couples mal assortis tels ceux de Cosi fan tuttede Mozart : le dĂ©licat poĂšte Lenski, tĂ©nor, eĂ»t mieux convenu Ă Tatiana, comme le souligne EugĂšne dans le roman, soprano rĂȘveuse et sentimentale telle une Fiordiligi, que la sĆur Olga, mezzo frivole comme Dorabella, mieux avenue avec le baryton libertin EugĂšne.
Réalisation et interprétation
Disons-le dâentrĂ©e de ce roman que jâaime et de cet opĂ©ra que jâadore, jâaurai rarement vu, mĂȘme dans une production du Marinsky de Saint-Petersbourg, une rĂ©alisation (Alain Garichot) et une interprĂ©tation aussi sĂ©duisantes et convaincantes dans leur somptueuse simplicitĂ©.
ScĂ©nographie unique (Elsa Pavanel) pour divers lieux : plus quâune rĂ©aliste forĂȘt, des troncs dâarbres immenses, stylisant la grande forĂȘt russe non domestiquĂ©e ni polie encore par la ville lointaine mais que la prĂ©sence de deux couples de femmes, deux jeunes et deux ĂągĂ©es, dâun enfant, civilise de douceur.
Les expressives lumiĂšres changeantes selon le jour de Marc DelamĂ©ziĂšre, dorĂ©es de crĂ©puscule, bleuies de nuit, blanchies dâaurore,soulignent paradoxalement un fond presque toujours noir, exaltĂ© Ă la fin par une immense lune oppressante pour un nocturne bal masquĂ© de blanc.

La sobriĂ©tĂ© de ce dĂ©cor dans cette enveloppante mais rayonnante obscuritĂ©, permet dâen faire Ă©conomiquement tour Ă tour jardin dâĂ©tĂ© oĂč lâon reçoit les visiteurs et les offrandes des paysans, rustique salle de bal de la fĂȘte, chambre de Tatiana oĂč un simple lit bateau Empire, une table avec sa bougie prennent une prĂ©sence poĂ©tique intense, surtout ce voile blanc planant, ciel de lit suspendu, nuage du ciel et, symboliquement, tombant vaporeusement sur le sol comme un rĂȘve trop lourd dâidĂ©al de la jeune fille, vaste drap ou tablier de jeu terrestres des paysannes en blanc.
Les dames du premier bal campagnard, dans des couleurs dâestompe gris, rose, jaune, ont des robes Ă manches Ă gigot (Claude Masson) et des coiffes et des coiffures dans le goĂ»t des annĂ©es 1830 de lâĂ©criture du roman, et non celles de la narration, la fin de la guerre contre NapolĂ©on dont GrĂ©mine est lâun des hĂ©ros et EugĂšne un absent sinon dĂ©serteur. Les troncs disparus, câest le noir sur noir nuancĂ©, digne de Soulages, du salon mondain du second bal et sa martiale et angoissante polonaise de masques blancs sur costumes noirs.
Sans naturalisme aucun, le jeu est dâun naturel confondant, mĂȘme les danses paysannes, la valse, le cotillon, la polonaise funĂšbre du second bal du dernier acte avec ses masques, bien rĂ©glĂ©es par Cooky Chiapalone.Les personnages de second plan sont justement dessinĂ©s : le Capitaine Zaretski campĂ© solidement, fringant et raide, par Mikhael Piccone, avec son aristocratique impatience pour les formalitĂ©s du duel, dont il est artisan aussi dans le roman en refusant lâinĂ©lĂ©gance dâun arrangement quâEugĂšne nâaurait pas refusĂ© Ă son ami, qui va voir Olga en espĂ©rant sans doute quâelle le dissuade. Souvent sacrifiĂ©, Ă Monsieur Triquet, le Français Ă©chappĂ© sĂ»rement Ă la RĂ©volution française et aux convulsions de lâinvasion napolĂ©onienne, tĂ©moin et vestige des liens culturels, entre la France des LumiĂšres et la Russie dâalors, dont lâĂ©lite parlait le français, Ăric Vignau sait donner une dĂ©licatesse Ă©mouvante, toute la dignitĂ© humaine dâun ĂȘtre dĂ©placĂ©, dĂ©classĂ© sĂ»rement, dans un chant nuancĂ© des couplets dĂ©suets Ă la gloire de Tatiana.Il mĂ©rite bien les bravos de ses hĂŽtes.
Tout semble juste dans cette subtile mise en scĂšne : la tendresse entre la mĂšre, Madame Larina, une onctueuse, et noble dans sa simplicitĂ©, Nona Javakhidze, attentive Ă son chevalet oĂč elle dessine, Ă©changeant avec la nourrice, tĂ©moin attentif de son passĂ©, en contrepoint nostalgique du chant insouciant des deux jeunes filles, des souvenirs sentimentaux de jeunesse, des rĂȘves fanĂ©s, concluant avec la rĂ©signation de lâexpĂ©rience :
« Lâhabitude nous tient lieu de bonheur. » Grande lectrice autrefois comme sa fille Tania, elle tente de la persuader que les hĂ©ros de roman nâexistent pas.
Voix plus sombre, ronde, Filipievna, la Niania, la Nourrice incarnĂ©e par Sophie Pondjiclis, amie tendre de la mĂšre, maternelle, avec les filles, est touchante seule Ă la table avec ce rituel religieux de lâicĂŽne, bouleversante dans lâaveu de la bribe de son passĂ© qui se lacĂšre, mariĂ©e Ă treize ans avec un garçon plus jeune : toute une vie en quelque phrases. Olga la joyeuse plus que frivole a le timbre pulpeux de Fleur Barron, contralto lĂ©ger, une adorable poupĂ©e dont on admire le jeu subtil dâenfant prise en faute, dâavoir Ă©tĂ© la cause, innocemment provocante du duel. Dans le roman, elle pleure beaucoup et oublie vite son fiancĂ© mort Ă cause dâelle.
Celui-ci, Vladimir Lenski, lâami malheureux dâEugĂšne, est jouĂ©, chantĂ©, comme vĂ©cu, par le tĂ©nor biĂ©lorusse Pavel Valuzhin, physique exact du brave garçon rĂȘveur, du bois dont on fait les victimes, plus fait pour la rĂȘveuse Tatiana que pour la lĂ©gĂšre Olga, mais victime aussi des contraires qui sâattirent : lumineuse voix Ă©lĂ©giaque dans lâombre dĂ©jĂ de la mort, il fait passer le frisson de la fatalitĂ© dans la dĂ©chirure irrĂ©mĂ©diable de lâadieu (« Kouda, kouda ? »).

Le Prince GrĂ©mine, Ă©poux de Tatiana, nâa quâun air, mais quel air ! Dâune beautĂ© qui reste en tĂȘte, dâamplitude du mi grave au mi aigu, la parfaite tessiture des basses. On donne souvent, Ă tort, le rĂŽle Ă des basses en fin de carriĂšre, Ă des vieillards dont la voix fait des vagues. La basse russe Andrey Valentiy non seulement Ă©chappe Ă ces dĂ©fauts mais est physiquement noblement princier dans son allure ; il fait passer tendresse mais aussi sensualitĂ© dans lâamour dâun homme mĂ»r pour sa jeune et belle femme quâil proclame Ă lâĂ©bahi OnĂ©guine qui le dĂ©couvre, avec un timbre somptueux, Ă©lĂ©gant, profond et lĂ©ger, avec une Ă©galitĂ© de volume et de beautĂ© quâon appellerait Ă©quanime dans la terminologie morale.
Et il est vrai que la Tatiana de la soprano russe Natalia Pavlovaen beautĂ© et voix, et en physique, est idĂ©ale comme Ă©tait idĂ©ale son hĂ©roĂŻne pour Pouchkine. Elle ne semble pas jouer mais ĂȘtre ce personnage : voix Ă©gale sur toute sa longueur, aĂ©rienne mais charnue. Sa scĂšne plus quâair de la lettre, lâune des plus longues du rĂ©pertoire, est dĂ©taillĂ©e dans ses nuances dâĂ©motion, frissonnante, exhalĂ©e dâinquiĂ©tude, exaltĂ©e dâespoir, intime et ardente dans les envolĂ©es de son motif avec lâorchestre.
Dans le rĂŽle-titre, le baryton polonais Simon Mechlinski, impeccablement sanglĂ© dans son costume, on dirait uniforme, de dandy dĂ©libĂ©rĂ©, a fiĂšre allure, trĂšs composĂ©e, lenteur Ă©tudiĂ©e des gestes, condescendant, par amitiĂ© pour Vladimir le poĂšte ami, Ă visiter ces campagnards regardĂ©s de haut, redingote nĂ©gligemment sur le bras pour venir rĂ©pondre Ă la lettre de Tatiana : le chanteur fait passer cela dans sa voix, son premier air au jeu distanciĂ©, blasĂ© mais caressant, voix sĂ©ductrice en sa mĂąle chaleur qui refuse lâamour tout en en recevant lâhommage, lâencens. Grand acteur, il saura presque la mener Ă la dĂ©chirure dans son dernier air, sous la pluie de lettres tombant du ciel des dĂ©bris dâun rĂȘve, cri de dĂ©sespoir, sans quelle perde de sa beautĂ©.
On ne peut quâadmirer la finesse de cette distribution vocale, homogĂšne dans lâĂ©quilibre entre les voix en juste harmonie de volume, rĂ©partie entre les slaves et les deux françaises, dâune jeunesse crĂ©dible dans les rĂŽles principaux comme le souhaitait TchaĂŻkovski. Les chĆurs sont remarquablement tenus et soutenus par un orchestre transcendĂ©. Et il faut dire aussi que la direction musicale de la finlando-ukrainienne Dalia Stasevska, Ă la bonne Ă©cole de lâassistanat dâEsa Pekka Salonen et de Paavo JĂ€rvi, cette Ă©cole du nord dĂ©sormais rĂ©fĂ©rence en matiĂšre dâorchestre, par ailleurs invitĂ©e de rien moins que du BBC Symphonie Orchestra, est admirable. Elle dirigeait et chantait le texte, sourire contre sourire face Ă Tatiana, une osmose de toute beautĂ©. On a beau rĂ©sister Ă la catĂ©gorisation de genre, on a un peu de gĂȘne Ă classer selon le sexe, mais disons alors, dans certaines habitudes culturelles traditionnelles assumĂ©es faute de mieux, quâil y avait toute une finesse fĂ©minine dans ces moments justement si fĂ©minins de lâĆuvre avec la beautĂ© diverse de toutes ces femmes, jeunes ou non, et une puissance quâon dirait virile dans les montĂ©es gĂ©nĂ©reuses tant de lâexaltation de Tatiana que dans le drame. Mais, homme, femme, peu importe : un grand chef ou grande cheffe Ă coup sĂ»r. Un bonheur.
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COMPTE RENDU critique, opéra. TOULON, Opéra, le 26 mai 2019. TCHAIKOVSKI : EugÚne Onéguine.
EUGĂNE ONĂGUINE
opéra en trois actes de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Livret de Constantin Chilovski et du compositeur
dâaprĂšs le roman dâAlexandre Pouchkine (1799-1837)
A lâaffiche de OpĂ©ra de Toulon, les 24, 26, 28 mai 2019
Direction musicale : Dalia Stasevska
Mise en scÚne : Alain Garichot.
Décors : Elsa Pavanel. Costumes : Claude Masson
LumiÚres : Marc DelaméziÚre.
Chorégraphie : Cooky Chiapalone.
Distribution :
Tatiana : Natalya Pavlova.
Olga : Fleur BaronâšMadame Larina : Nona Javakhidze
Filipievna : Sophie Pondjiclis
EugĂšne OnĂ©guine : Simon MechliĆski
Lenski : Pavel ValuzhinâšLe prince GrĂ©mine : Andrey Valentiy
Monsieur Triquet : Ăric Vignau
Capitaine Zaretski : Mikhael Piccone
Orchestre et ChĆur de lâOpĂ©ra de Toulon
Production Opéra de Lorraine,
repris par Angers-Nantes Opéra
Photos : Frédéric Stéphan
1 Tatiana, Madame Larina, Olga;
2 EugĂšne, Tatiana;
3 Filipievna.
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