STREAMING. LILLE, le 16 janvier 2021 : concert Escaich / Chausson. ON LILLE / Alexandre Bloch. Concert captivant depuis lâAuditorium du Nouveau SiĂšcle de Lille et diffusĂ© sur la toile dans le cadre de lâoffre digitale de lâON LILLE / Orchestre National de Lille (Audite 2.0), Ă©laborĂ©e en rĂ©ponse au confinement des orchestres depuis la fin octobre 2019. La combinaison Escaich / Chausson, confirme que le National de Lille a Ă cĆur de dĂ©fendre le rayonnement de notre patrimoine musical français. On notera en particulier le caractĂšre trĂšs dramatique voire cinĂ©matographique de la partition de Thierry Escaich ; ses Ă©clairs fantastiques dĂšs le dĂ©but du Concert pour orgue n°1 : Escaich est un narrateur inspirĂ© qui joue des antagonismes de couleurs, dâatmosphĂšres et de rythmes aussi ; voilĂ qui crĂ©e dĂšs son commencement, une ambiance Ă©lectrique mais suavement articulĂ©e dĂšs le premier mouvement du Concerto (Allegro moderato). Crescendos, sĂ©quences fortissimo, le compositeur Ă lâorgue lui-mĂȘme offre une lecture complice avec chef et instrumentistes, riche en clartĂ© et expressivitĂ©. De surcroĂźt la rĂ©alisation de ce streaming est engageante et immersive, avec effet de grue au dessus de lâorganiste, au dessus de lâorchestre. La conception est dâautant plus intĂ©ressante que ce dramatisme exige de tous les pupitres, et sait dĂ©velopper de somptueuses effets de texture souterraine, infiniment suggestive (la fin du mĂȘme premier mouvement). Le dĂ©but mystĂ©rieux, inquiĂ©tant de lâAdagio (orgue en dialogue mĂȘlĂ© avec les clarinettes), plante le dĂ©cor ; câest un lamento conçu comme un vaste crescendo, oĂč lâorgue semble sâenivrer des riches vagues texturĂ©es de lâorchestre. Le compositeur ouvrageant le mouvement central tel un appel irrĂ©sistible, en un temps irrĂ©pressible et irrĂ©versible, en un dramatisme lĂ encore exacerbĂ©, âŠdâapocalypse ou de dĂ©luge.
Lâesprit de la catastrophe emporte tout lâorchestre et le chant de lâorgue hallucinĂ©, qui se termine sur une phrase suspendue, interrogative, irrĂ©solue. Le solo de violoncelle cristallise cette mise sous tension gĂ©nĂ©rale (Ă 14â32) cĂ©dant la voie Ă lâorgue de plus en plus crĂ©pusculaire et finalement apaisĂ©. Le dernier mouvement cite plusieurs Ă©pisodes en une course effrĂ©nĂ©e oĂč scintillent lâaccent des bois, vents et cuivres (somptueuses et mystĂ©rieuses clarinettes). La vitalitĂ© du discours orchestral qui dialogue avec lâorgue en fusions et oppositions achĂšve la partition gĂ©nĂ©reuse et flamboyante mĂȘme, avec les mĂȘmes crĂ©pitements et Ă©clairs du dĂ©but. De quoi aussi souligner la grande unitĂ© du propos qui refonde Ă sa façon, le propos cyclique dâun Franck. Ce qui frappe câest la grande sensibilitĂ© quasi hollywoodienne dâEscaich pour la palette Ă©largie, dĂ©ployĂ©e de lâorchestre. Un bain spectaculaire de timbres et dâĂ©pisodes hautement contrastĂ©s qui respectent les Ă©quilibres de lâĂ©criture symphonique.
Trentenaire, Chausson livre une splendide partition orchestrale lui aussi : sa Symphonie en si bĂ©mol majeur de 1891 (dĂ©but Ă 28â50), prolonge le souci symphonique de Saint-SaĂ«ns, Lalo, Franck Ă©videmment et aussi dâIndy qui dans le sillon ouvert par la crĂ©ation de la SNM – SociĂ©tĂ© nationale de musique (nĂ©e aprĂšs 1870), cultivent lâessor de lâĂ©criture symphonique française contemporaine. Lâampleur de Chausson sonne comme une apothĂ©ose mĂȘme : dĂšs 1897, le Philharmonique de Berlin sous la direction dâArthur Nikisch joue lâopus 20.
WagnĂ©rien de la premiĂšre heure (comme Saint-SaĂ«ns), Chausson intĂšgre le choc de Parsifal (Ă©coutĂ© Ă sa crĂ©ation Ă Bayreuth en 1883) : grandeur, majestĂ©, poison fatidique et fatalisme irrĂ©pressible aussi sâentendent ici. Mais avec la clartĂ©, la construction de Franck. Chausson sculpte la matiĂšre orchestrale avec une suavitĂ© intĂ©rieure qui lui est propre (bois caressants, caverneux, tendres). A lâinstar de leur enregistrement discographique, chef et orchestre lillois savent amplifier la grandeur tragique de lâĂ©criture (appel des trombones du premier mouvement) tout en se souciant des couleurs (la partition porte la dĂ©dicace au peintre Henry Lerolle, beau frĂšre dâErnest), de la dĂ©licate texture qui cite de fait souvent le Wagner de Parsifal, mais comme rĂ©gĂ©nĂ©rĂ© / colorĂ© dâune transparence typiquement française (qui sollicite spĂ©cifiquement clarinettes, flĂ»tes, hautbois en leurs Ă©clats pastoraux annonciateurs de la fraĂźcheur impressionniste). Dâailleurs, la Symphonie opus 20 est parsemĂ©e dâune franche allĂ©gresse, bien absente ensuite des Ćuvres tardives, plus vĂ©nĂ©neuses (PoĂšme de lâamour et de la mer).
Symphonie en si bémol majeur de 1891
Accents wagnériens et franckistes de Chausson
Le mouvement central (TrĂšs lent), dirigĂ© mains nues par le chef dĂ©veloppe ce sentiment de langueur dĂ©sespĂ©rĂ©e aux couleurs parsifaliennes ; Ă©noncĂ© en vagues longues, Ă©tirĂ©es comme le ferait Wagner. Chausson marquĂ© par Bayreuth cĂ©lĂšbre ici le gĂ©nie qui dut lâĂ©mouvoir au cĆur, balançant entre la caresse Ă©perdue de la clarinette, la tendresse Ă©thĂ©rĂ©e de la flĂ»te, le flot lĂ©tal des cordes⊠que confortent plus mystĂ©rieux et souterrains, les violoncelles. Le pessimisme pictural de Chausson se dĂ©voile ici grĂące au souci de clartĂ© et Ă la grande flexibilitĂ© recherchĂ©e, atteinte par Alexandre Bloch. Le maestro ajoute aussi des rĂ©sonances plus suggestives encore dans lâĂ©noncĂ© du 2Ăš thĂšme, inscrit comme une lĂ©gende mĂ©diĂ©vale, aux circonvolutions amoureuses et maudites. Le sommet de la partition se rĂ©vĂšle dans lâĂ©quilibre clair des pupitres oĂč bois, cuivres et cordes sâapproprient la dimension spectaculaire de la douleur et du tragique wagnĂ©rien. De sorte que nous tenons ici lâopus nĂ©o wagnĂ©rien mais français, le plus accompli. Ainsi Chausson dans le sillon de Wagner, se montre-t-il aussi pertinent et original, puissant et poĂšte que CĂ©sar Franck. De fait, les annĂ©es 1880 et 1890 marquent France lâapothĂ©ose du wagnĂ©risme.
Lâultime mouvement (notĂ© AnimĂ©) affirme davantage le tempĂ©rament hĂ©roĂŻque et tragique de Chausson. Tout en rĂ©alisant le principe cyclique franckiste, Chausson Ă©blouit par sa dimension lĂ encore hautement dramatique, dâune coupe habile qui Ă©carte la grandiloquence et les banalitĂ©s ; lâOrchestre National de Lille cisĂšle un son large, aux crĂ©pitements prĂ©cis et saillants, installant la noble Ă©lĂ©gie du choral final dont hautbois et clarinette solos dessinent le profil tendre ; Alexandre Bloch sait vivifier la texture gĂ©nĂ©reuse et subtile tout en creusant lâampleur grave, la tension du propos symphonique, qui entre espoirs et dĂ©sillusions, est dâune Ă©tonnante maturitĂ© Ă©motionnelle (franckiste). Et le chef apporte aussi ce dosage ineffable de grandeur pastorale (Ă la Dvorak), de tendresse enchantĂ©e, de mĂ©lancolie discrĂšte et pleinement apaisĂ©e qui sâachĂšve ainsi dans la douceur. Superbe lecture, puissante et dĂ©taillĂ©e, fine et colorĂ©e, que lâon retrouvera dans le disque prĂ©cĂ©demment paru (et critiquĂ© sur classiquenews, distinguĂ© par notre CLIC de CLASSIQUENEWS, mars 2019).
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LIRE aussi notre critique du cd CHAUSSON : Symphonie en mi bĂ©mol majeur – opus 20, 1891 par lâON LILLE / Alexandre Bloch / CLIC de CLASSIQUENEWS (mars 2019) :
http://www.classiquenews.com/cd-evenement-critique-ernest-chausson-poeme-de-lamour-et-de-la-mer-symphonie-opus-20-orchestre-national-de-lille-alexandre-bloch-veronique-gens-1-cd-alpha-2018/
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Programme de salle ici
https://www.onlille.com/saison_20-21/wp-content/uploads/prog-salle-Chausson-Janv2021.pdf
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REVOIR le concert Escaich / Chausson par lâOrcehstre National de Lille / Alexandre Bloch sur le site YOUTUBE de lâON LILLE – Orchestre National de Lille, Alexandre BLOCH : https://www.youtube.com/watch?v=FVkMKw1WSjY&feature=emb_logo