ENTRETIEN AVEC⊠MARINA REBEKA, soprano. Entretien avec une diva complĂšte, actrice autant que chanteuse, douĂ©e d’une tessiture large, d’une coloratoure ciselĂ©e, d’un ambigus dynamique au medium charnel et aux aigus percutants… A propos de Bel CANTO, de DONIZETTI, de son propre label discographique, au moment oĂč la diva chante le rĂŽle dâANNA BOLENA Ă lâOpĂ©ra de BordeauxâŠ
POURQUOI AVOIR PRIS LA DECISION DE LANCER VOTRE PROPRE LABEL ?
Pour la volontĂ© de rĂ©aliser moi-mĂȘme un enregistrement le meilleur possible, pour la libertĂ© de choisir le rĂ©pertoire qui me va le mieux Ă chaque Ă©tape de ma carriĂšre, le dĂ©sir de partager mon enthousiasme pour dâautres grands interprĂštes. Jâai lâintention de dĂ©fendre une approche crĂ©ative pour chaque projet, ce Ă chaque phase de lâenregistrement ; depuis le choix de lâorchestre, du chef, du oeuvres choisies, jusquâau son produit, au montage, Ă la couverture du programme et au texte du livret.
Jâai dĂ©jĂ enregistrĂ© avec plusieurs labels, et je me suis rendu compte que les firmes avaient peu dâintĂ©rĂȘt Ă ajouter un nom de chanteur Ă leur listing. Dans le marchĂ© actuel, les efforts de promotion se concentrent sur un ou deux chanteurs, quitte Ă ignorer les autres. Je connais de par le monde, de trĂšs nombreux collĂšgues qui sont dâexcellents chanteurs. Or dĂ©jĂ connus Ă lâĂ©chelle locale, ils nâont enregistrĂ© aucun disque. Ce nâest pas bon pour leur dĂ©veloppement de carriĂšre.
La qualitĂ© du son dâun enregistrement est lâautre grande raison qui a motivĂ© ma dĂ©cision. On dĂ©crĂšte que certaines voix sont bonnes pour ĂȘtre enregistrĂ©es, et dâautres non. Cela est le cas des grandes voix, avec des larges en dynamiques et en amplitude (du pianissimo au fortissimo), celles lĂ mĂȘme qui au studio, sonnent dures, lointaines ; alors quâau moment de la performance en salle, elles passent outre lâorchestre et remplissent lâespace des concerts halls sans effort. A lâinverse, Ă lâextrĂ©mitĂ© de cette palette vocale, il existe de petites voix que lâon entend Ă peine dans un spectacle rĂ©el, mais qui sonne trĂšs prĂ©sentes Ă lâenregistrement.
Quand jâai rencontrĂ© mon mari qui est ingĂ©nieur du son, il mâa beaucoup appris quant aux aspects techniques et physiques dâun enregistrement. Le process nâest pas le mĂȘme pour toutes les voix. LâidĂ©al est dâadapter la technique selon les besoins et les capacitĂ©s de chaque voix.
En crĂ©ant notre propre label, nous avons voulu ĂȘtre le plus proche de la rĂ©alitĂ© du concert et du spectacle vivant : il est essentiel quâun enregistrement reflĂšte ce qui se passe dans les conditions rĂ©elles dâun rĂ©cital ou dâun opĂ©ra;
Jâai souhaitĂ© aussi que mon label ne soit pas uniquement rĂ©servĂ© Ă mes projets et Ă ma voix. Nous avons dĂ©jĂ Ă©tabli un planning comprenant de nombreux projets avec de grands chanteurs, des orchestres, des chefs. PRIMA CLASSICS est donc un nouveau label indĂ©pendant, ayant sa propre philosophie, toujours Ă lâaffĂ»t des grands interprĂštes, et soucieux de les aider dans leur carriĂšre.
COMMENT AVEZ VOUS CONCU LE PROGRAMME « SPIRITO » ?
LâidĂ©e de ce programme dĂ©coule de ma passion pour le bel canto, de lâexpĂ©rience que jâai pu en recueillir sur scĂšne, des dĂ©fis que jâai dĂ» relever en prĂ©parant mes rĂŽles puis en les chantant sur les planches. Je travaille dâabord les sources oroginales – manuscrits, exemplaires autographes afin dâĂȘtre au plus proches des intentions de lâauteur, afin de dĂ©celer ses idĂ©es, de comprendre son Ă©criture. Jâai dĂ©jĂ incarnĂ© Norma, Maria Stuarda, ce plusieurs fois sur scĂšne, et je chante actuellement Ă Bordeaux, Anna Bolena. Tout cela mâamĂšne peu Ă peu vers Il Pirata, vers le rĂŽle dâImogĂšne. Dans Spirito, jâai associĂ© les scĂšnes cĂ©lĂšbres et les plus difficiles de ces opĂ©ras, Ă deux sĂ©quences extraites de La Vestale de Spontini, deux Ă©pisodes moins connus mais dâune grande beautĂ©. A propos de La Vestale, jâai trouvĂ© le manuscrit de ce chef dâoeuvre lyrique, – dĂ©jĂ admirĂ© et commentĂ© par nombre de compositeurs et de critiques, Ă la BibliothĂšque Nationale de France. Spontini a Ă©crit La Vestale en français, alors que la version italienne est plus connue, entre autres grĂące Ă Maria Callas. Jâai trouvĂ© que la version française est celle qui exige le plus et se rĂ©vĂšle plus convaincante.
Sur le plan vocal, et si nous nous questionnons Ă propos de la voix et du style vocal les mieux adaptĂ©s pour chanter le bel canto, il convient de souligner quâaprĂšs Verdi, le vĂ©risme a brouillĂ© les cartes. Le Bel canto exige une personnalitĂ© dramatique, une couleur vocale affirmĂ©e, sans pour autant rĂ©clamer une grande voix (Ă la Turandot par exemple). Pour des salles plus petites, lâorchestration y est diffĂ©rente (comparĂ©e Ă celle des opĂ©ras de Puccini) ; le diapason des orchestres a Ă©tĂ© modifiĂ© depuis, et les cordes des violons Ă©taient alors en boyau, (et non pas mĂ©talliques). Tout cela explique combien le bel canto est une esthĂ©tique qui a essentiellement favorisĂ© la ligne et la voix, la mĂ©lodie et lâharmonie. La technique vocale est surtout diffĂ©rente : le bal canto expose comme nul autre style, le chant. Vous devez autant jouer comme actrice que chanter : il y est impossible de dissimuler dâaucune maniĂšre. Tout se voit et sâentend.
Personnellement, jâai dĂ©butĂ© ma carriĂšre de chanteuse en chantant le bel canto. Quand jâavais 13 ans, mon grand-pĂšre mâa conduit Ă lâopĂ©ra, câĂ©tait Norma de Bellini. Jâai Ă©tĂ© tellement saisie et enchantĂ©e par la musique, le drame, la totalitĂ© du spectacle que aprĂšs le premier acte, Ă lâentracte, jâai dit Ă mon grand-pĂšre que je serai plus tard une chanteuse dâopĂ©ra. Evidemment, Ă lâĂ©poque, personne ne mâa pris au sĂ©rieux. Et puis Ă force de volontĂ© et aprĂšs avoir traversĂ© tant dâobstacles, 23 ans aprĂšs, je chantait ma premiĂšre Norma Ă Trieste, sur la scĂšne mĂȘme oĂč Callas en 1951, dĂ©butait⊠Comme vous le voyez, le Bel Canto est une histoire dâamour depuis le dĂ©but.

QUELLE EST VOTRE PROPRE CONCEPTION DU ROLE DâANNA BOLENA ?
Quand je prĂ©pare un rĂŽle, je compare toutes les sources, historiques, littĂ©raires, musicales. La reine que portraiture Donizetti dans son opĂ©ra, est diffĂ©rente de lâAnne Boleyn historique. Celle ci a Ă©tĂ© manipulatrice, sage, intelligente, douĂ©e dâun grand sens politique et pleine de bon sens. Elle nâa pas seulement rĂ©ussi Ă devenir la maĂźtresse du Roi, mais elle est restĂ©e libre, tout en sâassurant la passion du souverain : son parcours est incroyable ! Elle aura convaincu Henry VIII, de dĂ©sobĂ©ir au Vatican, de divorcer dâavec Catherine dâAragon, de lâĂ©pouser et dâen faire la nouvelle reine. Elle devait possĂ©der un immense sens de persuasion. Câest la premiĂšre fois qâun souverain ose dĂ©fier lâautoritĂ© du Pape. Et la cause en est lâamour pour Anne.
Rien de tel dans la vision trĂšs romanesque dĂ©veloppĂ©e par Donizetti. Certes, le compositeur dĂ©peint une femme forte, qui est amoureuse dâHenry, mais qui est trahie par ce dernier. Donizetti a souhaitĂ© que les spectateurs compatissent au sort dâAnna dont il fait une victime. Le fait que lâopĂ©ra dĂ©bute en rĂ©vĂ©lant dĂ©jĂ la trahison du Roi, renforce la sympathie que lâon peut Ă©prouver pour cette reine fragile.
Sur le plan vocal, le rĂŽle est lâun des plus difficiles pour les sopranos. Il faut avoir le cĆur embrasĂ© mais la pensĂ©e dĂ©tendue pour ne pas ĂȘtre submergĂ© par la puissance Ă©motionnel du personnage, pour surtout cultiver lâendurance pendant toute la performance sur scĂšne. Il faut garder Ă lâesprit quâĂ la fin de lâouvrage, le rĂŽle comporte une immense scĂšne de folie comprenant des difficultĂ©s techniques et des sommets Ă©motionnels, littĂ©ralement Ă©crasants.
QUELLES SERAIENT LES PRINCIPAUX DEFIS POUR REUSSIR LE BEL CANTO DE DONIZETTI ET EN PARTICULIER LE ROLE DâANNA BOLENA?
Les plus importants sont : la beautĂ© vocale et lâendurance physique (dâautant que le rĂŽle est important en durĂ©e sur scĂšne comme en intensitĂ©) ; maĂźtriser une tessiture dâau moins 2 octaves et demi (en particulier si lâon chante toutes les notes aiguĂ«s dans la scĂšne de folie finale) ; maĂźtriser aussi la technique de la coloratoure, ĂȘtre capable dâĂ©crire vous-mĂȘme les variations oĂč il le faut et quand le style le demande ; enfin trouver la cohĂ©rence qui inclut tout cela pour en dĂ©duire un portrait vocal et dramatique convaincant.
Propos recueillis en novembre 2018, peu de temps avant que Marina Rebeka ne rĂ©alise la premiĂšre dâANNA BOLENA Ă lâOpĂ©ra de Bordeaux. A lâaffiche de lâOpĂ©ra de Bordeaux, jusqu’au 18 nov 2018
________________________________________________________________________________________________
ACTUALITES CD. En novembre 2018, MARINA REBEKA sort un nouvel album : SPIRITO, dédié au bel canto, sous son propre label PRIMA CLASSICS. LIRE ici notre crtiique complÚte de SPIRITO, élu « CLIC » de CLASSIQUENEWS de novembre 2018
http://www.classiquenews.com/cd-critique-spirito-marina-rebeka-soprano-anna-bolena-1-cd-prima-classic-juillet-2018/
