CRITIQUE, 26è Festival de Pâques de DEAUVILLE, les 29, 30 avril 2022. David Kadouch, Edgarl Moreau, Justin Taylor… A l’orĂ©e d’une belle journĂ©e de printemps Ă Deauville, la plus belle des Ă©motions nait toujours de la contemplation des choses simples. La musique de chambre, dans le cadre de la Salle Elie de Brignac convoque le substrat le plus pur des sens et invite Ă un voyage en immersion au coeur de la musique. La sonate pour violoncelle en la mineur de Grieg a Ă©tĂ© composĂ©e Ă une pĂ©riode assez trouble pour le compositeur norvĂ©gien. Oeuvre unique dans sa production chambriste, dès le premier mouvement l’Ă©criture agitĂ©e et mĂ©lancolique reflète le contexte difficile de sa crĂ©ation. En effet Grieg sortait en 1882 d’une pĂ©riode de maladie et de grande activitĂ© en tant que chef d’orchestre. Or son esprit romantique s’imprime sur les trois mouvements, Ă la fois dans la citation Ă des extraits de ses propres oeuvres (Trauermarsch zum Andenken an Richard Nordraak and Sigurd Jorsalfar). DĂ©tail curieux, Ă partir de la mesure 119 du troisième mouvement, les oreilles latino-amĂ©ricaines pourront reconnaĂ®tre l’influence directe de Grieg sur le deuxième couplet de la chanson “Fiesta de los zapatos” (“La fĂŞte des chaussures”) du compositeur pour enfants des annĂ©es 1950, Francisco Gabilondo Soler, dit “Cri-Cri”. La musique voyage sans s’arrĂŞter aux frontières, rien n’arrĂŞte son influence.
ACTE DE FOI
En deuxième partie du concert, le Quatuor pour la fin du Temps d’Olivier Messiaen est une belle contrepartie au romantisme contemplatif de la sonate de Grieg. ComposĂ© dans un camp de prisonniers en pleine guerre, ce monument du genre porte un regard très complĂ©mentaire sur la contemplation. Grieg nous convie Ă entrer dans l’âme humaine, souvent ballotĂ©e dans les houles de l’Ă©motion, en revanche Messiaen dĂ©finit l’homme par rapport au divin. MĂŞme si l’esprit jacobin de notre temps ne voit cette oeuvre que sous des philtres purement musicaux, la foi catholique profonde d’Olivier Messiaen arrive Ă transparaĂ®tre avec un message d’espoir malgrĂ© les circonstances les plus terribles. Cette oeuvre est un acte de foi et, oserai-t-on le dire, quasiment une parabole doublĂ©e de prĂŞche. La fin du Temps des hommes, donc l’Apocalypse ne serait que l’inauguration du règne de Dieu, selon la narrative de Messiaen. Dans le contexte actuel du retour de la barbarie militariste aux confins de l’Europe, ce message d’espoir et de croyance intime peut conforter les uns et Ă©merveiller les autres. La force de cette partition est dans son universalitĂ©.
Pour un tel concert, le Festival de Deauville a rĂ©uni quatre de ses plus beaux talents. Le pianiste David Kadouch ne cesse de nous impressionner par la richesse de son jeu et la force de ses interprĂ©tations. Outre la maĂ®trise technique totale, notamment dans ces partitions redoutables, il nous convie Ă la contemplation avec Ă©lĂ©gance et une palette brillante de couleurs qui accrochent l’auditoire. Edgar Moreau, fabuleux dans le Grieg, est capable de faire chanter son instrument, dans les complaintes de la sonate et les affres du Messiaen, oĂą il Ă©quilibre son jeu de mille nuances. Dans le Quatuor, sa soeur RaphaĂ«lle Moreau, violoniste brillante, nous ravit par sa technique très solide et une rĂ©vĂ©lation de contrastes inattendus dans cette partition. Le clarinettiste RaphaĂ«l SĂ©vère s’attaque au solo de l’AbĂ®me des oiseaux avec une facilitĂ© qui provoque l’admiration. En plus de maĂ®triser absolument une des pages les plus difficiles de la musique pour clarinette, il y apporte une interprĂ©tation saisissante de vie, comme toutes les voix des oiseaux chantaient en choeur Ă travers le souffle de son instrument.
Après cette belle soirée, la nature humaine se dévoile. A travers incarnation musicale de si beaux talents et un programme qui semble nous rappeler que sous la voûte céleste nous ne sommes que des coeurs à la dérive entre le divin et la nature. Photo : CL. Doaré / Festival de Pâques de Deauville 2022
26e FESTIVAL DE PÂQUES DE DEAUVILLE
Vendredi 29 avril 2022 – 20h – Salle Elie de Brignac
Edvard Grieg
Sonate pour violoncelle et piano en la mineur, op. 36
Olivier Messiaen
Quatuor pour la fin du Temps
David Kadouch – piano
RaphaĂ«lle Moreau – violon
Edgar Moreau – violoncelle
RaphaĂ«l SĂ©vère – clarinette
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FILIATIONS
Johann Christian Bach (1735 – 1782) est un compositeur qui demeure très peu connu. Dernier fils de Johann Sebastian Bach, il est connu en France avec le patronyme “ChrĂ©tien” qui semble incorrect vu ses origines. Johann Christian Bach a Ă©tĂ© un des compositeurs les plus connus de la deuxième moitiĂ© du XVIIIème siècle. Elève de son père et de son demi-frère Carl-Philipp-Emmanuel Bach. C’est l’unique reprĂ©sentant de la dynastie Bach Ă avoir composĂ© des opĂ©ras et s’ĂŞtre Ă©tabli en Italie d’abord et Ă Londres ensuite. Le très jeune Mozart le rencontre Ă Milan et noue avec lui une relation d’admiration et de complicitĂ©. Le style du jeune compositeur salzbourgeois sera influencĂ© par celui du jeune Bach notamment dans ses opĂ©ras pour Milan, Mitridate et Lucio Silla. On reconnait la richesse de l’orchestration que Johann Christian Bach emploiera tout le long de sa carrière de compositeur dramatique. En suivant la tradition familiale, il produira aussi des sonates pour clavier et des concerti mais avec les nouveaux codes que ses demi-frères Wilhelm Friedemann et Carl-Philipp-Emmanuel dĂ©velopperont. Mozart, directement influencĂ© par les Bach de ces gĂ©nĂ©rations, adaptera dans des concertii des sonates de son aĂ®nĂ©.
Les concertii pour clavier de Mozart sont rĂ©gulièrement interprĂ©tĂ©s sur des instruments modernes. Quoi qu’il en soit des interprètes, il semble Ă chaque Ă©coute qu’il manque quelque chose, comme une patine qui ne permet qu’une Ă©coute relative de ces oeuvres, bien trop souvent relĂ©guĂ©es aux complĂ©ments de concerts symphoniques dans les programmes des salles ou des orchestres. Or, Mozart a dĂ©ployĂ© une palette riche et sonore dans ces concertii. Outre la virtuositĂ©, on remarque une fantaisie sans limites. Ecouter ces oeuvres avec des instruments d’Ă©poque et une interprĂ©tation historiquement informĂ©e, nous a permis de redĂ©couvrir ces partitions dans toutes les nuances que Mozart a souhaitĂ© transmettre. On ne s’attarde pas sur la virtuositĂ© redoutable, mais l’on remarque avec plaisir les ciselures de ces petits trĂ©sors dans toute la maĂ®trise de l’orfèvre.
Ce concert a Ă©tĂ© exceptionnel dans beaucoup d’aspects. C’est une plongĂ©e auditive dans l’univers de l’Ă©criture pour clavier concertant. De plus, Le Consort nous emmène explorer les sonoritĂ©s du clavecin, de l’orgue positif et du pianoforte. On remarque ainsi l’inventivitĂ© gĂ©niale de Mozart et l’on prend plaisir Ă goĂ»ter chaque page avec gourmandise dans les diverses expressions instrumentales.
Le Consort est un ensemble Ă l’enthousiasme communicatif. IntĂ©grĂ© par des instrumentistes Ă l’Ă©nergie vivifiante, on adore les voir jouer avec une grande complicitĂ© qui s’imbibe dans des interprĂ©tations qui mĂ©tamorphosent l’Ă©coute et le ressenti sensoriel. On les connait bien dans Händel, mais on aime les entendre dans Mozart. Le seul regret c’est que nous les rĂŞvons dans des programmes de l’Ecole de Mannheim qu’ils dĂ©fendront avec la subtilitĂ© et la brillance qu’on leur connaĂ®t.
On a dĂ©jĂ louĂ© par le passĂ© le talent de Justin Taylor. Qu’il interprète du rĂ©pertoire français pour clavier seul, ou des formes concertantes, le claveciniste dĂ©montre ici sa maitrise et l’Ă©lĂ©gance de son jeu sur trois types de clavier. D’emblĂ©e au clavecin le jeu est vif sans dĂ©bordements, il sait ciseler les harmonies avec rondeur et prĂ©cision. A l’orgue positif son jeu est virtuose et Ă©quilibrĂ©. La plus belle interprĂ©tation Ă notre avis fut au pianoforte, instrument difficile Ă maĂ®triser. Justin Taylor nous a proposĂ© une fabuleuse interprĂ©tation de la Fantaisie en rĂ© mineur. L’oeuvre renvoie aux pages du romantisme qui allait s’installer en Europe dès la fin des annĂ©es 1790. Justin Taylor touche son pianoforte avec introspection et construit une narration lunaire et dĂ©sespĂ©rĂ©e digne des dessins de FĂĽssli. On part dans cette pièce aux contrastes quasiment beethovĂ©niens, un clair-obscur parfait. Les premières mesures du troisième mouvement du concerto en mi bĂ©mol majeur nous rappellent des pages de Händel, dont Mozart apprĂ©ciait le talent de mĂ©lodiste. Justin Taylor s’attaque Ă ces pages avec l’Ă©nergie des grands interprètes et assure ainsi une fin apothĂ©otique Ă ce concert qui clĂ´t le week-end avec les mille feux du Consort.
Samedi 30 avril 2022 – 20h – Salle Elie de Brignac
Wolfgang Amadeus Mozart
Concerto en ré majeur pour clavecin, deux violons et violoncelle K.107 (I)
Sonate en ut majeur pour deux violons, orgue, violoncelle et basse n°13 K. 328
Concerto en sol majeur pour clavecin, deux violons et violoncelle K. 107 (II)
Fantaisie en ré mineur pour pianoforte K. 397
Concerto en mi bémol majeur pour pianoforte et quatuor à cordes K. 449
LE CONSORT
ThĂ©otime Langlois de Swarte – violon
Sophie de Bardonnèche – violon
Mathurin Bouny – alto
Hanna Salzenstein – violoncelle
Hugo Abraham – contrebasse
Justin Taylor – clavecin, orgue positif & pianoforte