CRITIQUE, opéra. Lille, le 13 mai 2022. BRITTEN : Le Songe d’une nuit d’été. Guillaume Tourniaire / Laurent Pelly.

CRITIQUE, opéra. Lille, le 13 mai 2022. BRITTEN : Le Songe d’une nuit d’été. Guillaume Tourniaire / Laurent Pelly  -  Désignée capitale européenne de la culture en 2004, la ville de Lille a poursuivi depuis lors cet élan en organisant tous les trois ans le festival « Lille 3000 ». Avec son offre multiculturelle, l’édition 2022 « Utopia » valorise de nombreuses expositions de tout premier plan dans la métropole (notamment la présentation d’oeuvres inédites d’Annette Messager au Lam à Villeneuve d’Ascq) et pare les rues nordistes de nombreuses installations spectaculaires, dont les dix statues géantes en mousse entre la gare et l’Opéra, réalisées par le Finlandais Ken Simonsson. Ces elfes aux allures enfantines, emblématiques de la culture pop, illustrent le thème de cette édition dédiée à l’harmonie entre l’homme et la nature : c’est aussi une transition naturelle avec Le Songe d’une nuit d’été, l’un des chefs d’oeuvre lyrique les plus poétique et évocateur de Benjamin Britten, représenté dans le cadre du festival jusqu’au 22 mai prochain à Lille, mais également gratuitement le 20 mai sur de nombreux grands écrans des Hauts-de-France.

 

 

Laurent Pelly met en scène Britten pour Lille 3000

Finesse et féerie

 

 

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C’est lĂ  un Ă©vĂ©nement Ă  ne pas manquer, tant la féérie joue Ă  plein dans la mise en scène toute de finesse de Laurent Pelly. On retrouve le Français bien connu Ă  Lille après ses rĂ©ussites comiques dĂ©diĂ©es Ă  Cendrillon de Massenet en 2012 et Le Roi Carotte d’Offenbach en 2018 :  https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-lille-opera-le-11-fevrier-2018-offenbach-le-roi-carotte-schnitzler-pelly/ – Il se dĂ©marque de la mise en scène intemporelle de Robert Carsen, constamment reprise depuis 1991, en apportant plusieurs touches humoristiques mais jamais envahissantes, tout en diffĂ©renciant les trois mondes (merveilleux, amoureux, théâtreux) en un dĂ©cor unique bien revisitĂ© tout du long, qui laisse la place Ă  la poĂ©sie Ă©vocatrice et Ă  l’imagination. Avec ces nombreux effets de miroir (en panneaux mouvants, sur le sol ou en arrière-scène) admirablement mis en valeur par le travail sur les Ă©clairages, Laurent Pelly s’amuse Ă  renforcer le théâtre dans le théâtre, dĂ©jĂ  très prĂ©sent dans l’ouvrage : l’une des saynètes les plus saisissantes est certainement celle qui suit la danse bergamasque au III, lorsque les interprètes dĂ©couvrent le public sous leurs yeux Ă©bahis. Comme Ă  son habitude, Laurent Pelly impressionne par la justesse millimĂ©trĂ©e de sa direction d’acteur, toujours au service de l’action dramatique.

 

 

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La réussite de cette production vaut aussi pour l’excellent plateau vocal, en grand partie anglophone. A l’aise vocalement, Nils Wanderer (Oberon) et Marie-Eve Munger (Tytania) se saisissent ainsi de leurs rôles périlleux avec un sens théâtral jamais pris en défaut, à l’instar des tourtereaux impressionnants de brio et d’éloquence. Parmi eux, seul David Portillo (Lysander) peine à nuancer son chant trop en force, notamment dans les piani et le medium, ce qui est d’autant plus regrettable que la beauté de son timbre séduit. A ses côtés, Dominic Barberi compose un désopilant Bottom (et ce malgré un masque d’âne qui affaiblit sa projection), bien épaulé par ses acolytes ouvriers. Là encore, une réserve est à émettre concernant le Snug trop chantant de Thibault de Damas, mais il est vrai que le rôle est redoutable dans le dosage de comique à distiller. Rien de tel pour le Puck aux allures de Pierrot de la virevoltante et radieuse Charlotte Dumartheray, très engagée dans son rôle. Tout aussi bien préparé, le choeur d’enfants assure bien sa partie, même s’il se montre un rien trop tendre par endroit dans l’espièglerie attendue.

Dans la fosse, Guillaume Tourniaire se régale des couleurs exacerbées en distinguant chaque pupitre, le tout au service d’une direction brillante et incandescente, qui n’en oublie pas les passages plus apaisés par une attention soutenue à l’élan narratif global. De quoi ressortir avec des étoiles pleins les yeux, après l’ovation enthousiaste du public venu en nombre pour fêter les délices enchanteurs de Britten.

 

  

 
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CRITIQUE, opéra. Lille, le 13 mai 2022. Benjamin BRITTEN : Le Songe d’une nuit d’été, Nils Wanderer (Oberon), Marie-Eve Munger (Tytania), David Portillo (Lysander), Antoinette Dennefeld (Hermia), Charles Rice (Demetrius), Louise Kemény (Helena), Dominic Barberi (Bottom), Charlotte Dumartheray (Puck), Gwilym Bowen (Flute), David Ireland (Quince), Thibault de Damas (Snug), Dean Power (Snout), Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Starveling), Tomislav Lavoie (Theseus), Clare Presland (Hippolyta), Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Lille, direction musicale, Guillaume Tourniaire / mise en scène, Laurent Pelly. A l’affiche de l’Opéra de Lille jusqu’au 22 mai 2022  -  Photos : © Simon Gosselon / Opéra de Lille 2022.

 

 

 

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DIFFUSION EN PLEIN AIR ET EN LIVE : Opéra Live / Vendredi 20 mai 2022, retransmission gratuite, en direct et sur grand écran de la représentation du Songe d’une d’été de Britten, sur la place du Théâtre à Lille et dans une vingtaine de lieux des Hauts-de-France. Liste complète des lieux de la retransmission à venir sur opera-lille.fr

 
 
 

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VIDÉO
Laurent Pelly présente Le Songe d’une nuit d’été :

 

 

 

 

 

AUTRES PRODUCTIONS du Songe d’une Nuit d’Ă©tĂ© de BRITTEN :

OpĂ©ra de TOURS, avril 2018 – PrĂ©sentation / enjeux, synopsis du Songe d’une Nuite d’Ă©tĂ© de Britten / Pionnier / Vincey :  : https://www.classiquenews.com/opera-de-tours-le-songe-dune-nuit-dete-de-britten/

 

 

 

 

CRITIQUE, opéra. Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, le 28 mai 2021. Britten : Le Viol de Lucrèce. Léo Warynski / Jeanne Candel.

BrittenCRITIQUE, opĂ©ra. Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, le 28 mai 2021. Britten : Le Viol de Lucrèce. LĂ©o Warynski / Jeanne Candel. Si l’on excepte l’opĂ©rette Paul Bunyan, Ă©crite pendant son exil amĂ©ricain en 1941, Benjamin Britten composa ses trois premiers opĂ©ras coup sur coup : entre la dĂ©nonciation des notabilitĂ©s provinciales du chef d’oeuvre Peter Grimes (1945) et de son jumeau comique Albert Herring (1947), se dresse le sĂ©vère drame antique Le Viol de Lucrèce (1946), qui Ă©voque la chute de la monarchie romaine au profit de la RĂ©publique, sur fond de drame personnel. Ce bijou sombre est malheureusement desservi par un livret beaucoup trop statique, de surcroĂ®t mâtinĂ© d’exotiques rĂ©fĂ©rences chrĂ©tiennes – un choix voulu par Britten, notamment dans l’épilogue final.

C’est d’autant plus regrettable que le compositeur anglais se montre à son meilleur au niveau musical, manifestement inspiré par ce huis-clos incandescent, tout autant que le défi d’écrire pour seulement treize instrumentistes et huit chanteurs. Il bénéficia aussi d’une interprète d’exception en la personne de Kathleen Ferrier, créatrice du rôle du choeur féminin, dont la disparition tragique en 1953 ne lui permit pas de figurer sur l’enregistrement discographique réalisé par le compositeur en 1971 (Decca).

Créé pour la réouverture du festival de Glyndebourne en 1946, avant de faire le tour de l’Angleterre lors d’une tournée dans la foulée, l’opéra se prête particulièrement à l’atmosphère intimiste des Bouffes du Nord et son acoustique toujours aussi chaleureuse : c’est là un lieu idéal pour un tel ouvrage, à l’instar du Théâtre de l’Athénée qui a déjà accueilli une production du Viol de Lucrèce par les jeunes solistes de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris (ancien nom de l’Académie), en 2007 ( https://www.classiquenews.com/britten-le-viol-de-lucrece-1946paris-theatre-de-lathenee-du-26-au-30-juin-2007/ ), puis 2014.

La mise en scène a cette fois été confiée à Jeanne Candel, codirectrice du Théâtre de l’Aquarium depuis 2019, qui opte pour la sobriété d’une scénographie construite à vue par les interprètes, avec trois fois rien. La principale surprise vient du rideau de scène à moitié transparent, qui se révèle un immense filet de pêche, une fois déployé au sol. Avec cette évocation des origines géographiques de Britten en bord de mer, Jeanne Candel lie ainsi l’ouvrage avec le précédent (Peter Grimes), tout en montrant les femmes occupées à tisser, à la manière d’une Pénélope attendant le retour d’Ulysse. Candel choisit d’évacuer la contextualisation historique ou les références chrétiennes pour mieux se concentrer sur le drame de son héroïne, tandis que la présence quasi-omniprésente des deux chœurs apporte une distanciation avec le récit.

Cette proposition bénéficie de l’investissement scénique de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Lucretia), très convaincante dans sa dignité outragée, autant que dans sa performance vocale à l’émission charnue et bien articulée. A ses côtés, le Tarquinius d’Alexander York se distingue par sa présence physique animale, autour de phrasés vivants et colorés qui donnent une séduction trouble à son personnage. On aime aussi la classe vocale de Tobias Westman (Choeur masculin), à la ligne poétique du plus bel effet, tandis qu’Andrea Cueva Molnar (Choeur féminin) montre une voix plus puissante, avec une prononciation anglaise moins naturelle et quelques placements de voix limites par endroit. De même, Aaron Pendleton (Collatinus) impressionne par le volume sonore et la résonance de l’émission, mais déçoit au niveau stylistique, trop brut de décoffrage. Des seconds rôles parfaits, se détache la Bianca de Cornelia Oncioiu, aux phrasés superbes d’aisance et de souplesse, le tout soutenu par un timbre chaleureux.

Dommage que la direction froide et sérieuse de Léo Warynski vienne un peu gâcher la fête : la précision des attaques, autant que la qualité des instrumentistes, sont pourtant des atouts indéniables. Il faudra davantage lâcher la bride à l’avenir afin d’éviter l’impression d’uniformité, trop lassante sur la durée.

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CRITIQUE, opĂ©ra. PARIS, Théâtre des Bouffes du Nord, le 28 mai 2021. Britten : Le Viol de Lucrèce. Tobias Westman*/Kiup Lee (Male Chorus), Andrea Cueva Molnar*/Alexandra Flood (Female Chorus), Aaron Pendleton*/Niall Anderson (Collatinus), Alexander Ivanov/Danylo Matviienko* (Junius), Alexander York*/TimothĂ©e Varon (Tarquinius), Marie-AndrĂ©e Bouchard-Lesieur*/Ramya Roy (Lucretia), Cornelia Oncioiu (Bianca), Kseniia Proshina (Lucia) – Musiciens de l’AcadĂ©mie de l’OpĂ©ra national de Paris, de l’Ensemble MultilatĂ©rale et de l’Orchestre-Atelier OstinatO – LĂ©o Warynski , direction musicale / mise en scène Jeanne Candele. A l’affiche du Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 29 mai 2021.

Benjamin BRITTEN : PETER GRIMES

britten_jeune_piano-570FRANCE MUSIQUE, sam 15 mai 2021, 20h. BRITTEN : PETER GRIMES. Madrid, Teatro Real, avril 2021. Le premier drame abouti du britannique Benjamin Britten, créé après la guerre (1945) incarne l’esthétique réaliste et onirique de son auteur : alors que les sublimes interludes marins (joués séparément en concert comme les éléments d’un polyptique orchestral particulièrement puissant et original, inscrivent l’action dans le paysage marin dévasté et épique tant chéri par l’auteur, l’intrigue mêle le cas d’un marginal honni, décrié, pourchassé, inquiété par la foule imbécile et le poids d’un secret terrible…

Qui est Peter ?
Le héros du premier opéra de Benjamin Britten suscite plus de soixante ans après sa création (1945), un débat jamais résolu. Est ce parce que au fond des choses, dans leur identité tenue secrète par le compositeur, les personnages de Britten se dérobent à toute identité claire, parlant au nom de leur concepteur pour une ambivalence qui nourrit leur forte attraction? Rien de plus fascinant sur la scène qu’un être véritable, contradictoire et douloureux, exprimant le propre de la nature humaine, velléités, espoirs, fantasmes, soupçons, poison de la dissimulation, terrible secret. A la manière des héros d’Henri James, le héros ne livre rien de ce qu’il est : il laisse en touches impressionnistes, suggestives, affleurer quelques clés de sa complexité.
A propos de Peter Grimes, Britten et son compagnon le ténor Peter Pears qui créa le rôle, reviennent à plusieurs reprises sur l’identité du héros : solitaire et presque sauvage mais bon et foncièrement compassionnel. Sa différence se révèle dans le rapport à la société qui l’entoure : “à part” donc coupable. Le soupçon qu’il suscite, vient de sa différence. Est-il coupable d’avoir tuer ses apprentis pêcheurs? Britten en épinglant le naturel accusateur des citoyens, décrit la haine du différent, la délation facile, la peur de l’autre… la foule imbécile.

Que Grimes cache un autre secret : tel serait en définitive le vrai sujet, mais infanticide, il ne l’est pas. L’homme incarne la figure du paria car il y a en lui, terrée, imperceptible, une profonde et inavouable blessure.
Sa nature sombre et brutale favorise le soupçon. Il est en décalage avec le monde, un “idéaliste torturé”. En cela, Britten n’a pas franchi la frontière de la barbarie et de la méchanceté du personnage de Georges Crabbe (1754-1832) dont le Poème a inspiré le sujet de son opéra. Britten reprend le cadre, ce lieu battu par les vents et les embruns, le village d’Alteburgh, village de marins mais surtout berceau du compositeur. Mais il s’autorise un changement primordial dans la personnalité du héros.

Peter Grimes, anecdote ou mythe?
L’idée d’un enfant sacrifié, image de l’innocence tuée, récurrente dans l’oeuvre de Britten, exprime la perte de l’état d’enfance et d’insouciance. Le héros de Britten est un être tragique, auquel fut arrachée trop tôt l’innocence au monde. La force de la souillure originelle et le sentiment de fatalité qui en découle, poursuivent le compositeur et ses personnages.
Certains ont souhaité donner à la figure de Peter Grimes, le visage de l’homosexuel honni. C’est vrai et c’est faux. Vrai, pourquoi pas ? Britten et Pears ne cachaient rien du couple qu’ils formaient. Et alors? Avons-nous envie d’ajouter. En quoi cela éclaire-t-il la perception et surtout la compréhension de l’oeuvre?
Il s’agit plutôt d’une allégorie contre l’intolérance. Tout autre relecture aussi pertinente soit-elle, mise en rapport avec la vie et l’identité de l’auteur, réduit considérablement la portée de l’oeuvre. D’ailleurs, lorsque John Vickers chante le rôle, il refuse de ne voir en Peter Grimes, qu’un homosexuel car cela enferme la perception du personnage dans une vision étroite et anecdotique, voire colle au rôle une revendication militante qui est étrangère à la sensibilité de Britten.
Les interludes marins élèvent manifestement l’ouvrage au niveau de l’allégorie : la légende tragique de Grimes gagne grâce aux commentaires de la musique, une portée poétique indiscutable, rehaussant l’anecdote marine à l’échelle du mythe. LIRE notre dossier complet PETER GRIMES, le poids de l’interdit :
http://www.classiquenews.com/benjamin-britten-peter-grimes-2/

Benjamin Britten : PETER GRIMES
Opera in a prologue, three acts and an epilogue
Music by Benjamin Britten (1913-1976)
Libretto by Montagu Slater, based on a poem from the collection The Borough (1810) by George Crabbe
Premiered at the Sadler’s Wells Theatre of London on the 7th of June, 1945 – Premiered at the Teatro Real on the 15th of November, 1997

Peter Grimes I Allan Clayton
Ellen Orford I Maria Bengtsson
Cap. Balstrode I Christopher Purves
Auntie I Catherine Wyn-Rogers
Bob Boles I John Graham Hall
Swallow I Clive Bayley
Mrs. Sedley I Rosie Aldridge
Rev. Horace Adams I James Gilchrist
Ned Keene I Jacques Imbrailo
Hobson I Barnaby Rea
First Niece I Rocío Pérez
Second Niece I Natalia Labourdette
Orchestre et choeur du Teatro Real MADRID
Ivor Bolton, direction

FRANCE MUSIQUE, sam 15 mai 2021, 20h. BRITTEN : PETER GRIMES. Madrid, Teatro Real, avril 2021

PLUS d’INFOS sur le site du Teatrio Real MADRID
https://www.teatroreal.es/en/show/peter-grimes

 

STREAMING opĂ©ra : Toby Spence chante Mort Ă  Venise de Britten Ă  l’OpĂ©ra du Rhin

benjamin_britten_vieuxSTREAMING, Opéra. Dim 18 avril 2021. BRITTEN : Mort à Venise. L’Opéra national du Rhin (OnR) a filmé sa nouvelle production signée du collectif « Clarac-Deloeuil > le Lab », annulée en février, mais cependant captée. A voir sur le site de l’OnR dès le 18 avril 2021. Le 17 avril sur certaines chaînes de télévision (*)

Après les coups d’éclats de la jeunesse – Peter Grimes, Billy Budd – partitions proches de la comédie mais parfois sombres et toujours tendues vers le mystère, le britannique Benjamin Britten au début des années 1970, mettre en musique le chef d’œuvre de Thomas Mann : Mort à Venise (Death in Venice). L’ouvrage sera son dernier opéra. La librettiste Myfanwy Piper adapte cette réflexion crépusculaire sur l’art où le protagoniste, un écrivain malade et condamné (Gustav von Aschenbach) a la révélation de la beauté à Venise, alors qu’une épidémie (de Choléra) rappelle à tous les habitants de la cité lacunaire combien est fragile la condition humaine. Son errance dans la Cità devient labyrinthe initiatique jalonné de rencontres magiques voire énigmatiques…
Britten invente un monde lunaire, à la fois onirique et létal qui mêle visions érotiques et fantasmatiques d’Aschenbach et séduction du jeune homme, Apollon moderne, sujet de l’admiration de l’esthète qui se sait mourir… et qui juste avant d’expirer a cette vision voluptueuse et salvatrice de la beauté aux pouvois transcendants voire rédempteurs.

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Avec
Gustav von Aschenbach : Toby Spence
Les 7 personnages : Scott Hendricks

Mise en scène : Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil
Direction musicale : Jacques Lacombe.

VOIR Mort Ă  Venise de BrittenBritten
sur le site de l’Opéra national du Rhin
Ă  partir du 18 avril 2021 :
https://www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2020-2021/opera/abgesagt-der-tod-in-venedig

Opéra en deux actes
Livret de Myfanwy Piper d’après Thomas Mann
Créé à The Maltings, Snape, le 16 juin 1973
Le spectacle devait être donné du 12 février au 2 mars 2021.
Il a été capté les 10 et 12 février à Strasbourg
Il fera ensuite l’objet d’une diffusion sur France 3 Grand Est (date de programmation Ă  venir)

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TELE. Diffusée par les chaînes régionales selon le planning suivant :
• Le 17 avril à 20 h 45 sur vià Vosges et Canal 32
• Le 17 avril à 22 h 30 sur vià Moselle
• le 18 avril à 20 h 45 sur Alsace 20.
Par ailleurs, si vous disposez d’une box internet pour recevoir les chaînes sur votre téléviseur, le programme sera également accessible au niveau national sur le canal 30.

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LIRE notre dossier BRITTEN : Mort Ă  Venise

Leighton_brittenBritten traite après Visconti, le sujet rédigé par Thomas Mann. Le désir de l’adulte pour l’enfant, son regard contemplatif provoque ici une résolution inverse. Le sujet désiré n’est pas sacrifié. Rongé par le remords et la culpabilité, c’est l’adulte désirant qui succombe à la terrible vérité de ses fantasmes pédophiles. En esthète impuissant, Aschenbach reste fasciné, “médusé” au sens propre, par la beauté apollinienne du garçon Tadzio. L’adorateur semble écartelé entre l’aspiration à la beauté et la crudité charnelle qui compose aussi sa coupable attraction. En décidant de se taire toujours, Aschenbach semble avoir choisi l’autodestruction et l’anéantissement. Chaque silence dicté par le remords, quand paraît le jeune adolescent, est semblable à un coup de poignard. Et chaque regard désirant se retourne contre lui : il se transforme en lente agonie.
Britten a remarquablement illustré l’évolution de la contemplation vécue par Aschenbach, en ses débuts spirituelle et esthétique, ensuite confusément trouble et sexuelle (le cauchemar de la Bacchanale dans lequel Aschenbach rêve qu’il rejoint Tadzio) : l’apollinien, le bacchique… au final, dans une vision pessimiste, l’idéalisme et le spirituel sont corrompus par le poison du désir…

Golo Mann : de Doktor Faustus à “Death in Venice”

Avant de mourir en 1955, Thomas Mann aurait reconnu que, si son Doctor Faustus devait être porté à l’opéra, il n’y aurait qu’un musicien capable de le faire : Benjamin Britten. Or depuis janvier 1971, le compositeur qui se sait condamné, -il souffre d’une insuffisance de l’aorte : endocardite-, souhaite écrire un dernier opéra, “pour Peter”.
Britten a bien connu l’un des fils Mann, Golo, à Brooklyn, pendant son “exil américain”. Les deux hommes se retrouvent et Golo Mann, lui souffle l’idée d’adapter” Mort à Venise” que Visconti réécrit pour le cinéma.
EN LIRE PLUS dossier complet MORT A VENISE de Benjamin Britten
http://www.classiquenews.com/britten-mort-a-venise/

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Rappel SYNOPSIS

(Acte I) – Scène I : Aschenbach solitaire traverse le cimetière de Munich. Sa femme est morte et sa fille vient de se marier. Un voyageur lui rappelle la fascination pour Venise. Il dĂ©cide de s’y rendre.

Scène II : arrivée dans Venise, transfert crépusculaire vers le Lido.
Scène IV : accueil du directeur de l’Hôtel des Bains au Lido. Au moment du dîner, Aschenbach voit pour la première fois le jeune Tadzio : des sonorités orientales et mystérieuses qui rappellent le Gamelan, expriment la beauté foudroyante du garçon et l’impossibilité pour son adorateur d’exprimer aucun mot. C’est la musique qui évoque le choc de la vision.
Scène V : sur la plage du Lido. Aschenbach continue d’être traversé par son désir pour le jeune éphèbe. Il programme de partir mais une erreur d’enregistrement de ses bagages retarde son départ. Peu à peu, le climat étouffant de Venise se précise.

(Acte II) – Scène VIII : après s’être rendu chez le barbier, Aschenbach a la confirmation que Venise est le foyer d’une Ă©pidĂ©mie de cholĂ©ra. Laquelle est tenue secrète par les autoritĂ©s de la ville.
De fait, le vieil homme succombe à la maladie comme il est terrassé par l’ivresse des sens que lui a causé, la beauté révélée de l’adolescent polonais, et la confusion et la folie qui se sont emparées de lui.
Scène XIV : Aschenbach sur la plage du Lido contemple à nouveau son idole. Il assiste au départ de la famille inquiète face à la diffusion du choléra. Aschenbach se morfond sur sa chaise, seul. Il meurt sur les accords de l’hymne à Apollon. Les résonances incantatoires et célestes du vibraphone semblent l’emporter.
Peter Pears indique l’importance que revĂŞt “Death in Venice” pour Britten, lui-aussi aux portes de la mort lorsqu’il compose son opĂ©ra : l’ouvrage rĂ©sume la quĂŞte artistique et personnelle du compositeur, en ce sens, la partition peut-ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme son testament…

Le Viol de Lucrèce de BRITTEN

britten-titien-tiziano-lucrezia-concert-opera-critique-opera-annonce-opera-classiquenewsFrance 2, jeudi 17 janv 2019, 00h05. BRITTEN : LE VIOL DE LUCRECE. OpĂ©ra de chambre mais drame incandescent, Le Viol de Lucrèce, The Rape of Lucrecia, selon les tableaux saisissant du dernier Titien, est certes une partition chambriste mais dĂ©ploie une intensitĂ© dĂ©cuplĂ©e. L’ouvrage créé en 1946 rappelle combien Benjamin Britten a rĂ©ussi Ă  dĂ©velopper en Grande-Bretagne, un genre lyrique revitalisĂ© et efficace, alliant sobriĂ©tĂ© voire modestie du dispositif (1 chĹ“ur rĂ©duit Ă  deux voix : le choeur fĂ©minin et masculin, quelques solistes, un orchestre rĂ©duit) et passions humaines portĂ©es Ă  leur incandescence. D’après l’Histoire romaine, – en une vision morale (le chĹ“ur qui commente Ă  deux voix, dĂ©fend une conception chrĂ©tienne du mariage, soulignant l’obligation Ă  la fidelitĂ©), le fils du roi de Rome Tarquinius profite de l’absence de Collatin, gĂ©nĂ©ral vertueux, pour abuser de l’hospitalitĂ© de son Ă©pouse pour la violer : car Lucrèce Ă©tait la femme rĂ©putĂ©e la plus loyale. DĂ©truite, humiliĂ©e, Lucrèce ne sait pas si son mariage pourra durer après cette ignominie. Tarquinius Sextus le violeur retors provoqua ensuite la chute de la dynastie Ă©trusque Ă  cause de son esprit corrompu et dĂ©cadent. France 2 diffuse la production de l’opĂ©ra rĂ©alisĂ©e au Festival de Glyndebourne 2015.

Avant que ne soit proclamée la République de Rome, c’est la dynastie des Tarquins qui régnait. Le viol de Lucrèce par Tarquinius Sextus, fils du roi étrusque de Rome, qui la conduisit à se suicider provoqua un soulèvement qui contribua au renversement de la royauté.
Dans le livret, l’action est introduite et commentée par deux observateurs contemporains, un chœur féminin et un chœur masculin.

 

 

 

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BRITTEN : LE VIOL DE LUCRECElucrecia-lucrezia-titien-britten-opera-critique-concert-classiquenews
OpĂ©ra en deux actes
Livret de Ronald Duncan
D’après la pièce d’AndrĂ© Obey
CrĂ©ation : Glyndebourne, 12 juillet 1946

Direction musicale : Leo Hussain
London Philharmonic Orchestra
Mise en scène : Fiona Shaw
Décors : Michael Levine
Costumes : Nicky Gillibrand
Lumières : Paul Anderson
Distribution
Lucretia : Christine Rice
Male Chorus : Allan Clayton
Female Chorus : Kate Royal
Tarquinius : Duncan Rock
Collatinus : Matthew Rose
Bianca : Catherine Wyn-Rogers
Junius : Michael Sumuel
Lucia : Louise Alder
Enregistré en août 2015, au Festival de Glyndebourne.
DurĂ©e : 1h54mn – AnnĂ©e : 2015

Réalisation : François Roussillon

 

 

 

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Argument

Premier acte
Le Chœur masculin et le Chœur féminin nous racontent comment les anciens Étrusques se sont emparés de Rome et comment ils y règnent.
Dans un camp militaire à l’extérieur de la ville, les généraux Collatin, Junius et Tarquin relatent comment, la nuit précédente, ils sont retournés à Rome avec les autres généraux pour voir si leurs épouses étaient fidèles, et les ont toutes trouvées infidèles – à l’exception de Lucrèce, l’épouse de Collatin. Junius, cocu, est jaloux de la fidélité de Lucrèce ; il se moque de Tarquin, qui est célibataire, et se querelle avec lui. Junius insiste sur le fait que toutes les femmes sont des putains par nature, mais Tarquin, qui est ivre, affirme que ce n’est pas le cas de Lucrèce. « Je prouverai qu’elle est chaste », dit-il, et il part pour Rome.
Dans un interlude, le Chœur masculin décrit la chevauchée de Tarquin vers Rome.
Ce soir-là, dans la maison de Lucrèce à Rome, ses servantes Bianca et Lucia sont en train de filer. En travaillant, elles parlent des hommes et de l’amour.
On frappe violemment à la porte d’entrée. Tarquin entre et demande à Lucrèce de lui donner du vin et de l’héberger. Elle lui donne une chambre pour la nuit.

Deuxième acte
Le Chœur masculin et le Chœur féminin décrivent la domination de Rome par les Étrusques.
Tarquin se glisse dans la chambre de Lucrèce. Il l’embrasse et elle, rêvant de Collatin, l’attire plus près de lui. Mais elle s’éveille, se rend compte que l’homme à ses côtés est Tarquin, et ils luttent. Tarquin fait céder Lucrèce.
Dans un interlude, le Chœur masculin et le Chœur féminin interprètent les événements de la nuit de leur point de vue de chrétiens pieux.
Le lendemain matin, Lucia et Bianca arrangent des fleurs. Lucrèce entre et demande à Lucia d’aller chercher Collatin, mais Bianca tente d’arrêter le messager. Collatin arrive avec Junius. Lucrèce raconte à Collatin ce qui s’est passé. Il soutient que les événements ne changeront rien à leur mariage, mais Lucrèce sait que ce ne sera pas le cas.
Dans un épilogue, le Chœur féminin se demande s’il y a une signification à ces événements tragiques. Le Chœur masculin affirme que Jésus-Christ apporte la rédemption. Mais la question reste : « Est-ce tout ? »

 

 

 

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Opéra national du Rhin : The Turn of the screw de Britten par Robert Carsen

britten-the-turn-of-the-screw-review-compte-rendu-critique-classiquenews-582-Compte rendu, opĂ©ra. Strasbourg, le 21 septembre 2016. Britten : The Turn of the screw. Robert Carsen, mise en scène. Pour Robert Carsen, le titre de la nouvelle d’Henri James (Le tour d’écrou / The turn of the screw) met en avant les portes et les ouvertures, – fenĂŞtres, baies vitrĂ©es, …-, des lieux de passage et d’apparition dont sa mise en scène, taillĂ©e au cordeau et d’une prĂ©cision haute couture, use et abuse dans chaque sĂ©quence ; hautes fenĂŞtres du vaste vestibule d’entrĂ©e;  très subtile rĂ©fĂ©rence Ă  Hammershoi pour la chambre de Miles mais sous des lumières plus froides et bleutĂ©es (- rien Ă  voir avec le visuel affichĂ© par l’OpĂ©ra de Strasbourg en rouge sang : couleur bannie ici) ;  fenĂŞtre mirador Ă  la Edward Hopper, d’oĂą la Gouvernante s’exerce Ă  la peinture sur le motif … Tout est suggĂ©rĂ©  (davantage qu’exprimĂ©) au seuil, dans l’embrasure, dans un passage… oĂą l’ombre de plus en plus Ă©touffante suscite les apparitions fantomatiques sans que le mystère en soit dĂ©finitivement Ă©lucidĂ©.

Ce jeu visuel et limpide qui reste lĂ©gitime fait la force d’un spectacle très esthĂ©tique, comme toujours chez Carsen. En outre, les rĂ©fĂ©rences aux films d’Hitchcock  (prĂ©sentation de la gouvernante dont le profil et le voyage jusqu’au château de Bly sont exposĂ©s Ă  la façon d’une confĂ©rence / projection dans l’esprit d’une audition / recrutement ou d’une enquĂŞte ; d’emblĂ©e ce dispositif avec narrateur devenu confĂ©rencier, place  le spectateur en voyeur analyste.

Tout est parfaitement Ă  sa place soulignant bien que ce qui est reprĂ©sentĂ© toujours sur la scène, peut ne pas avoir Ă©tĂ©, mais a Ă©tĂ© effectivement vu, pensĂ©, imaginĂ© : jeu sur l’image et son interprĂ©tation ; ce qui est visible est-il rĂ©el ? / jeu sur l’illusion en perspectives et plans illimitĂ©s, troubles, entre songe et rĂŞverie… plutĂ´t cauchemar. La gouvernante qui voit les spectres menaçants est-elle folle ou de bonne foi?  Et si elle disait vrai,  les interprĂ©tations et conjectures qu’elle Ă©chafaude et en dĂ©duit, sont-elles justes ? Miles et Quint sont-ils bien les acteurs d’un duo dominant / dominĂ© tel qu’elle se l’imagine ?

britten-carsen-strasbourg-582-the-turn-of-the-screw_0499-sally-matthews-the-governesscwilfried-hoesl1467899151MĂŞme si dans l’entretien publiĂ© Ă  l’occasion de la crĂ©ation viennoise, et reproduit dans le livret du programme Ă  Strasbourg, Robert Carsen souhaite que le spectateur se fasse sa propre idĂ©e sur ce qui se joue, le metteur en scène est cependant très directif dans son  choix visuel en montrant en une sĂ©quence video hautement hitchcokienne, que l’ancien intendant Quint ouvrageait nuitamment l’ancienne gouvernante  (Miss Jessel),  sexualitĂ© ardente et copieusement suggĂ©rĂ©e, du reste tout Ă  fait banale, si le pervers Quint n’avait fait du jeune Miles … le tĂ©moin de ses frasques sensuelles : ainsi la manipulation et la pression qu’exerceraient dĂ©sormais les fantĂ´mes de Quint et Jessel sur les enfants, serait d’ordre sexuel mais de façon indirecte, une initiation traumatique en quelque sorte qui ici tue l’innocence.

 

 

 

Carsen offre à Britten l’une de ses plus belles mises en scène

Pur fantastique

 

 

La scène qui conclue la première partie en marque le point culminant quand le jeune Miles rejoint le lit de sa gouvernante et tente un baiser des plus troublants car il se comporte comme un adulte au fait des choses de l’amour. Ce point est crucial dans la mise en scène de Carsen car il fait Ă©cho aussi dans la propre psychĂ© de la Gouvernante, un ĂŞtre fragile et passionnĂ©, d’autant plus vulnĂ©rable et sensible Ă  cette “agression” de l’intime qu’il s’agit comme le dit très justement Carsen “d’une jeune femme probablement encore vierge, tombĂ©e amoureuse Ă©perdue de son employeur”, le tuteur des enfants, jamais prĂ©sent car il est restĂ© Ă  Londres pour ses affaires…

 

 

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Ainsi les cartes sont battues et dĂ©voilĂ©es dans une mise en scène d’une rare justesse d’autant plus convaincante qu’elle reste toujours esthĂ©tique et exceptionnellement prĂ©cise, collectionnant des tableaux littĂ©ralement picturaux et fantastiques : le lit de la gouvernante d’abord projetĂ© Ă  l’Ă©cran comme si les spectateurs Ă©taient au plafond, puis en un basculement spectaculaire, renversĂ© sur le plateau de façon rĂ©elle;  c’est aussi la scène terrible et d’une possession dĂ©moniaque quand Quint paraĂ®t après la gouvernante dans la chambre du jeune Miles, le lit du garçon glissant Ă  cour Ă  mesure que le dĂ©mon marche sur le plateau dans sa direction … La mĂ©canique théâtrale est prodigieusement inventive et fluide, crĂ©ant ce que nous attendons Ă  l’opĂ©ra : des images de pure magie qui rĂ©tablissent Ă  l’appui du chant, l’impact du jeu théâtral.

Un autre thème se distingue nettement et fait sens d’une façon aussi criante ici que la perte de l’innocence et la manipulation perverse : l’absence de communication. Tous les individus de ce huit-clos Ă  6 personnages  ..  ne communiquent pas (ou prĂ©cisĂ©ment ne dialoguent pas). On ne nomme pas les choses pour ce qu’elles sont. Celui qui en paie le prix fort (donnant Ă  la pièce sa profondeur tragique) est le jeune garçon  dont on comprend très bien dans la dernière scène -, qu’il a Ă©tĂ© la proie de forces dĂ©mesurĂ©es.

Ce voeu du silence absurde, ce culte du secret – comme la gouvernante hĂ©site Ă  Ă©crire Ă  l’oncle absent pour lui faire part de la menace qui pèse sur les enfants-, est un vĂ©hicule qui propage la terreur et la folie; corsetĂ©e, hypocrite, socialement lisse et conforme, cette loi de l’omerta gangrène les fondements du collectif : Britten en a suffisamment souffert en raison de son homosexualitĂ©, d’autant plus Ă  l’Ă©poque de Henry James, acteur tĂ©moin du puritanisme britannique dont il n’a cessĂ© d’Ă©pingler avec Ă©lĂ©gance et raffinement, la stupiditĂ© Ă©coeurante.

Par sa finesse et son intelligence, Carsen exprime tout cela, dĂ©voilant mais dans l’allusion la plus subtile, les forces en prĂ©sence… jusqu’Ă  l’atmosphère d’un château hantĂ© par les esprits. Ce fantastique psychologique est captivant d’un bout Ă  l’autre. C’est mĂŞme l’une des plus remarquable mise en scène du Canadien (avec Capriccio au Palais Garnier).

 

 

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Côté interprètes, deux formidables artistes dominent la distribution par leur trouble sincère, leur intensité progressive déchirante : la Gouvernante de Heather Newhouse (beauté souple de la voix, expressivité très canalisée), et révélation, le jeune Miles du jeune Philippe Tsouli : intelligence dramatique et justesse du jeu scénique, de toute évidence, le jeune artiste est très prometteur). Leur duo crée des étincelles et restitue à ce drame onirique et tragique, sa profonde humanité. L’issue fatale n’en est que plus saisissante. Dans la fosse, le jeu précis et flexible lui aussi de Patrick Davin souligne les éclats ténus de cet opéra de chambre qui murmure et séduit, captive et ensorcèle, en particulier dans chaque prélude orchestral, véritable synthèse annonciatrice du drame à l’oeuvre. Depuis Peter Grimes, Benjamin Britten a, on le sait, le génie des interludes. Production événement de cette rentrée lyrique en France, absolument incontournable aussi captivante qu’esthétique ; et indiscutablement par l’imbrication réussie du chant et du théâtre, sans omettre la vidéo, l’une des réalisations les plus fortes et justes de Robert Carsen à l’opéra. A voir à Strasbourg et Mulhouse, jusqu’au 9 octobre 2016.

A l’affiche de l’Opéra national du Rhin, les 21, 23, 25, 27 et 30 septembre à Strasbourg, puis les 7 et 9 octobre 2016 à Mulhouse (La Filature). Incontournable.

 

 

 

LIRE aussi notre présentation de l’opéra The Turn of the screw à l’Opéra national du Rhin

 

 

Opéra en deux actes avec prologue
Livret de Myfanwy Piper, d’après la nouvelle d’Henri James
Création le 14 septembre 1954 à Venise
Présenté en anglais, surtitré en français
Direction musicale: Patrick Davin
Mise en scène: Robert Carsen
Reprise de la mise en scène Maria Lamont et Laurie Feldman
Décors et costumes: Robert Carsen et Luis Carvalho
Lumières: Robert Carsen et Peter Van Praet
Vidéo: Finn Ross
Dramaturgie: Ian Burton
Le Narrateur / Peter Quint: Nikolai Schukoff
La Gouvernante: Heather Newhouse
Mrs Grose: Anne Mason
Miss Jessel: Cheryl Barker
Miles: Philippe Tsouli
Flora: Odile Hinderer / Silvia Paysais
Petits chanteurs de Strasbourg
Maîtrise de l’Opéra national du Rhin
Aurelius Sängerknaben Calw
Orchestre symphonique de Mulhouse

Toutes les illustrations : © Klara Beck / Opéra national du Rhin 2016

The Turn of the screw Ă  l’OpĂ©ra national du Rhin

britten_jeune_piano-570STRASBOURG, OpĂ©ra. Britten: The Turn of the screw. Les 21, 23, 25, 27, 30 septembre 2016. Monde rĂ©el et fantĂ´mes, inquiĂ©tude, refoulement, questions, conscient et inconscient, enfance en danger, sacrifiĂ©e, bafouĂ©e, se conjuguent dans le monde de Benjamin Britten d’après l’extraordinaire nouvelle d’Henry James. Accessible et novatrice, toute en couleurs sans cesse renouvelĂ©es, la musique habite cet univers prenant, protĂ©iforme Ă  laquelle toute mise en scène doit apporter un Ă©clat intĂ©rieur, lumineux et hypnotique, rĂ©vĂ©ler le trouble et la menace. Peu Ă  peu, la musique et l’architecture dramatique nourrissent l’emprise du pervers Quint sur Miles, le jeune garçon, pourtant dĂ©fendu (vainement) par la nouvelle gouvernante… L’innocence en danger, l’enfance ciblĂ©e sont des thèmes chers Ă  James comme Ă  Britten, qui aborde aussi le sujet dans premier opĂ©ra, Peter Grimes.

Le Tour d’Ă©crou est créé Ă  Venise en septembre 1954 Ă  la Fenice. Entre fantastique et horreur, l’action dĂ©peint la lente possession de deux enfants par deux fantĂ´mes pernicieux, Peter Quint et Miss Jessel, chacun infĂ©odant le jeune Miles et sa soeur Flora. Britten se passionne surtout pour la figure de l’Ă©trangère, la gouvernante qui très attachĂ©e au jeune garçon, tente vainement de le protĂ©ger de la figure diabolique de Peter Quint : si le fantĂ´me s’efface, il laisse dans les bras de la gouvernante, le petit corps de Miles… sans vie. ComposĂ© de 8 tableaux strictement agencĂ©s et ponctuĂ©s lĂ  aussi d’interludes musicaux particulièrement suggestifs, The Turn of the screw reste l’opĂ©ra de chambre, inventĂ© par Britten le plus saisissant par sa progression lente et oppressante, sa parfaite construction dramatique. Un modèle, avec The Rape of Lucretia et aussi le peu connu Owen Windgrave, dans le genre du théâtre intimiste. Le huit clos est saisissant, l’action prĂ©cise, fulgurante, et la musique d’une âpretĂ© poĂ©tique et mordante.

 

 

 

 

Strasbourg, Opéra
Les 21, 23, 25, 27, 30 septembre 2016
Benjamin Britten : The Turn of the screw

Production reprise Ă  Mulhouse, La Filature, les 7 et 9 octobre 2016

Conférence
Mardi 20 septembre 2016, 18h
Club de la presse

Opéra en deux actes avec prologue
Livret de Myfanwy Piper, d’après la nouvelle d’Henri James
Création le 14 septembre 1954 à Venise
Présenté en anglais, surtitré en français

Direction musicale: Patrick Davin
Mise en scène: Robert Carsen
Reprise de la mise en scène Maria Lamont et Laurie Feldman
Décors et costumes: Robert Carsen et Luis Carvalho
Lumières: Robert Carsen et Peter Van Praet
Vidéo: Finn Ross
Dramaturgie: Ian Burton

Le Narrateur / Peter Quint: Nikolai Schukoff
La Gouvernante: Heather Newhouse
Mrs Grose: Anne Mason
Miss Jessel: Cheryl Barker
Miles: Lucien Meyer / Philippe Tsouli
Flora: Odile Hinderer / Silvia Paysais

Petits chanteurs de Strasbourg
MaĂ®trise de l’OpĂ©ra national du Rhin
Aurelius Sängerknaben Calw
Orchestre symphonique de Mulhouse

 

 

 

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Opéra du Rhin : The Turn of the screw

britten_jeune_piano-570STRASBOURG, OpĂ©ra. Britten: The Turn of the screw. Les 21, 23, 25, 27, 30 septembre 2016. Monde rĂ©el et fantĂ´mes, inquiĂ©tude, refoulement, questions, conscient et inconscient, enfance en danger, sacrifiĂ©e, bafouĂ©e, se conjuguent dans le monde de Benjamin Britten d’après l’extraordinaire nouvelle d’Henry James. Accessible et novatrice, toute en couleurs sans cesse renouvelĂ©es, la musique habite cet univers prenant, protĂ©iforme Ă  laquelle toute mise en scène doit apporter un Ă©clat intĂ©rieur, lumineux et hypnotique, rĂ©vĂ©ler le trouble et la menace. Peu Ă  peu, la musique et l’architecture dramatique nourrissent l’emprise du pervers Quint sur Miles, le jeune garçon, pourtant dĂ©fendu (vainement) par la nouvelle gouvernante… L’innocence en danger, l’enfance ciblĂ©e sont des thèmes chers Ă  James comme Ă  Britten, qui aborde aussi le sujet dans premier opĂ©ra, Peter Grimes.

Le Tour d’Ă©crou est créé Ă  Venise en septembre 1954 Ă  la Fenice. Entre fantastique et horreur, l’action dĂ©peint la lente possession de deux enfants par deux fantĂ´mes pernicieux, Peter Quint et Miss Jessel, chacun infĂ©odant le jeune Miles et sa soeur Flora. Britten se passionne surtout pour la figure de l’Ă©trangère, la gouvernante qui très attachĂ©e au jeune garçon, tente vainement de le protĂ©ger de la figure diabolique de Peter Quint : si le fantĂ´me s’efface, il laisse dans les bras de la gouvernante, le petit corps de Miles… sans vie. ComposĂ© de 8 tableaux strictement agencĂ©s et ponctuĂ©s lĂ  aussi d’interludes musicaux particulièrement suggestifs, The Turn of the screw reste l’opĂ©ra de chambre, inventĂ© par Britten le plus saisissant par sa progression lente et oppressante, sa parfaite construction dramatique. Un modèle, avec The Rape of Lucretia et aussi le peu connu Owen Windgrave, dans le genre du théâtre intimiste. Le huit clos est saisissant, l’action prĂ©cise, fulgurante, et la musique d’une âpretĂ© poĂ©tique et mordante.

 

 

 

 

Strasbourg, Opéra
Les 21, 23, 25, 27, 30 septembre 2016
Benjamin Britten : The Turn of the screw

Production reprise Ă  Mulhouse, La Filature, les 7 et 9 octobre 2016

Conférence
Mardi 20 septembre 2016, 18h
Club de la presse

Opéra en deux actes avec prologue
Livret de Myfanwy Piper, d’après la nouvelle d’Henri James
Création le 14 septembre 1954 à Venise
Présenté en anglais, surtitré en français

Direction musicale: Patrick Davin
Mise en scène: Robert Carsen
Reprise de la mise en scène Maria Lamont et Laurie Feldman
Décors et costumes: Robert Carsen et Luis Carvalho
Lumières: Robert Carsen et Peter Van Praet
Vidéo: Finn Ross
Dramaturgie: Ian Burton

Le Narrateur / Peter Quint: Nikolai Schukoff
La Gouvernante: Heather Newhouse
Mrs Grose: Anne Mason
Miss Jessel: Cheryl Barker
Miles: Lucien Meyer / Philippe Tsouli
Flora: Odile Hinderer / Silvia Paysais

Petits chanteurs de Strasbourg
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CD, coffret Ă©vĂ©nement, annonce : “Raconte-moi en musique….” (4 cd Deutsche Grammophon)

Raconte-moi_rectoCD, coffret Ă©vĂ©nement, annonce : ” Raconte-moi en musique… .” (4 cd Deutsche Grammophon). C’est encore NoĂ«l en fĂ©vrier, grâce Ă  Deutsche Grammophon. Le 12 fĂ©vrier 2016 sort un coffret incontournable qui ravira la famille, parents et enfants. La force de la musique, c’est sa capacitĂ© Ă  parler Ă  notre imaginaire : ajoutez un texte rĂ©citĂ© ; le rĂ©sultat dĂ©passe souvent tout ce que l’on peut imaginer. Les nĂ©ophytes s’y familiarisent avec des Ă©critures et des styles particulièrement expressifs ; les dĂ©jĂ  connaisseurs redĂ©couvrent des partitions (signĂ©es Prokofiev, Debussy, Britten, Mozart…) dont la poĂ©sie exquise continue de saisir, d’Ă©merveiller, de captiver… Dès l’enfance, cette promesse est offerte aux jeunes mĂ©lomanes (et Ă  leurs parents) grâce aux contes et histoires dont la magie a façonnĂ© des gĂ©nĂ©rations de jeunes âmes devenues mĂ©lomanes. Mais davantage qu’un coffret exclusivement dĂ©diĂ© aux tous petits, c’est plutĂ´t Ă  tous, Ă  chacun de nous ayant/voulant cultiver toujours encore sa part d’enfance (c’est Ă  dire sa capacitĂ© Ă  ĂŞtre enchantĂ© encore et encore) que s’adresse le recueil de 4 cd comprenant 6 fleurons poĂ©tiques intemporels… (et par des interprètes de premier plan : acteurs rĂ©citants (la crème des voix radiophoniques et dramatiques : Jeanne Moreau, Mireille, Peter Ustinov, Denis Manuel, Claude Rich…), chefs inspirĂ©s (Claudio Abbado, Ferenc Fricsay, Semyon Bychkov, Lorin Maazel…) musiciens solistes ou collectifs (les pianistes Jean-Marc Luisada, Alberto Neuman, Orchestre de chambre d’Europe, Orchestre de Paris, Orchestre Lamoureux…).

 

 

 

Pierre, Babar, Polichinelle, La FlĂ»te enchantĂ©e… Florilège des contes mis en musique

7 histoires musicales pour petits et grands

 

La sĂ©lection parle d’elle mĂŞme et promet des heures d’Ă©coute, de narration, de complicitĂ© enchanteresse. Rien de tel qu’une musique inspirĂ©e, un texte drĂ´latique et poĂ©tique et aussi, en complĂ©ment, comme ici, un livre de coloriage Ă  l’adresse des plus jeunes, pour revivre pour soi les sentiments Ă©prouvĂ©s pendant la dĂ©couverte de l’histoire…
Au programme du coffret “Raconte-moi en musique…” : Pierre et le loup (musique de Prokofiev), Le Carnaval des animaux (musique de Saint-SaĂ«ns), L’histoire de Babar l’Ă©lĂ©phant (musique pour piano de Poulenc), La BoĂ®te Ă  joujoux de Debussy (ballet pour enfants, ici dans sa version pour piano, composĂ© en 1913 pour sa fille Claude-Emma dite “Chouchou”), sans omettre, le cycle indĂ©passĂ© depuis sa crĂ©ation en 1956, destinĂ© Ă  faire dĂ©couvrir l’orchestre par tous les curieux, petits et grands : “Piccolo, Saxo et compagnie, ou la petite histoire d’un grand orchestre” d’AndrĂ© Pop (oĂą l’humour pincĂ©, allusif du rĂ©citant Peter Ustinov sait exprimer les nuances du texte de Jean Broussolle) ; “Variations et fugue sur un thème de Purcell” de Benjamin Britten (créé en 1946, aussi intitulĂ© “The Young Person’Guide to the Orchestra” avec la voix du jeune Lorin Maazel) ; enfin opĂ©ra magique par excellence, – et aussi conte initiatique et philosophique, c’est le propre des Ĺ“uvres les plus fascinantes d’ĂŞtre aussi des leçons de vie outre leur caractère poĂ©tique et d’enchantement, une version Ă©courtĂ©e mais irrĂ©sistible de La FlĂ»te enchantĂ©e de Mozart (l’ultime opĂ©ra de Wolfgang créé en 1791), dans la version berlinoise de Ferenc Fricsay (texte de Lucien Adès, dit par Claude Rich). MĂŞme pour les mĂ©lomanes les plus avertis, chacun des contes musicaux rĂ©unis ici affirme une force poĂ©tique irrĂ©sistible oĂą la musique, langage universel, touche immĂ©diatement l’esprit et le cĹ“ur de chaque auditeur. On est constamment saisi par le chant des instrument et le langage de l’orchestre. Grâce Ă  la musique, la magie opère. L’Ă©ducation musicale des enfants et de leurs parents est ainsi magistralement rĂ©alisĂ©e. Coffret Ă©vĂ©nement alliant dĂ©couverte, amusement, jubilation… le coffret, par son contenu, relève d’un mĂ©dicament nĂ©cessaire, d’un baume pour l’esprit : un must pour votre santĂ© culturelle et musicale. Heureuse réédition. A ne manquer sous aucun prĂ©texte.

 

 

 

CLIC D'OR macaron 200CD, coffret Ă©vĂ©nement, annonce : “Raconte-moi en musique….” (4 cd Deutsche Grammophon). Parution du coffret : le 12 fĂ©vrier 2016. Coffret CLIC de CLASSIQUENEWS de fĂ©vrier 2016, grande critique Ă  venir dans le mag cd livres dvd de classiquenews.com

 

 

 

Compte rendu, opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 21 novembre 2014. Benjamin Britten (1913-1976) : Owen Windgave, Le Tour d’écrou. David Syrus, Walter Sutcliffe.

Quelle intelligence de proposer Ă  Walter Sutcliffe une telle gageure ! FrĂ©dĂ©ric Chambert a en effet osĂ© demander au metteur en scène britannique dâ€utiliser le mĂŞme dĂ©cor pour deux opĂ©ras de Britten crĂ©ant ainsi une perspective vertigineuse sur la maltraitance infantile dans les familles.  Nous garderons en effet de cette aventure un enrichissement inattendu des Ĺ“uvres de Britten. Si chaque opĂ©ra seul, de part sa puissance théâtrale, vaut  habituellement une soirĂ©e dâ€opĂ©ra, ce qui sera rĂ©alisĂ© plus tard Ă  Toulouse qui propose chaque opĂ©ra sĂ©parĂ©ment, nous pouvons Ă©crire que la puissance de ces deux Ĺ“uvres dans leur suite, donne Ă  penser comme rarement Ă  l’opĂ©ra. La mise en scène de Walter Sutcliffe est digne du théâtre : chaque acteur-chanteur fait bien plus que d’habitude Ă  l’opĂ©ra. Physiques parfaitement liĂ©s aux rĂ´les, voix belles et diction parfaite permettent au spectateur de suivre avidement deux actions théâtrales fulgurantes, grâce Ă  des artistes très engagĂ©s.

 

 

 

Choc salutaire

 

_59P9160Owen Wingrave défend avec audace un pacifisme pensé, argumenté, courageux dans une famille où plus personne ne pense plus depuis longtemps, chacun répétant sans en rien comprendre, tels des perroquets décérébrés, une ode à la mort des mâles et agissant en serviteurs zélés de Thanatos. Le pauvre Owen, de retour dans sa famille après sa formation, abasourdi par tant de bêtise et de méchanceté entremêlées perdra la vie, volontairement … ou tué par un membre de la famille, la question reste ouvert. Chacun dans cette pièce oppressante joue et chante à merveille : Dawid Kimberg  avec une voix lumineuse en Owen, une dignité et une noblesse perceptible touche le cœur dans son monologue pacifiste. Voilà des mots puissants à se répéter sans cesse :

La paix nâ€est pas oisive mais vigilante. La paix n’est pas consentement mais quĂŞte. La paix n’est pas muette, elle est la voix de l’amour.

Toutefois face Ă  tant de vide de pensĂ©e et tant de haines, rien de  cette intelligence et de cette force d’ âme n’a pu tenir… Le dĂ©cor est rĂ©duit en hauteur afin de permettre aux acteurs de gagner en prĂ©sence pour le spectateur. Le jeu est habile et naturel. Vocalement chaque voix est parfaitement choisie et lâ€Ă©quilibre gĂ©nĂ©ral est remarquable.

Le manoir de Paramore est sinistre à souhait. Les éclairages de Wolfgang Goebbel accentuent le malaise et rendent perceptible l’oppression d’ Owen.

Lâ€orchestre est magnifique, les choeurs surnaturels glacent le sang. Et la ballade macabre de la famille Wingrave est chantĂ©e de manière inoubliable par Thomas Randle. Les costumes parfaitement assortis aux dĂ©cors dans des tons subtilement associĂ©s sont du meilleur goĂ»t. Kaspar Glarner a fait un travail d’orfèvre.

_59P9454Retrouver des Ă©lĂ©ments de dĂ©cors dĂ©tournĂ©s avec esprit dans Le Tour d’écrou accentue le malaise face Ă  lâ€enfance maltraitĂ©e. LĂ -bas, les ancĂŞtre en portrait avaient menĂ©s Orwen Ă  la mort autant que les vivants. Ici, La prĂ©sence du tuteur si coupablement absent de la vie des enfants,  en des portraits gĂ©ants prend un sens nouveau. C’est par son abandon que les enfants ont Ă©tĂ© manipulĂ©s par des pervers, devenus fantĂ´mes prĂ©sents pour jamais dans lâ€Ă˘me, l’esprit et le corps des enfants. La pĂ©dophilie ne pouvant jamais ĂŞtre exclue, on devine que les mauvaises rencontres les ont dĂ©truit. Les deux rĂ´les dâ€enfants chantĂ©s ont Ă©tĂ© remarquables et la puissance des voix parfaitement Ă©quilibrĂ©s avec celle des adultes. Plus lyrique que Owen Wingrave le Tour dâ€Ă©crou offre un rĂ´le Ă©mouvant Ă  la gouvernante. Anita Watson est un beau soprano lyrique qui joue ce personnage sensible et bon avec force et Ă©motion. Le Quint de Jonathan Boyd est aussi sĂ©duisant vocalement que le jeu de son personnage est rĂ©pugnant par sa lascivitĂ©, crĂ©ant une tension entre la vue et l’ouĂŻe qui dĂ©stabilise. Du grand art !

Avec concentration et une main de fer David Syrus obtient de l’Orchestre du Capitole une tension dramatique quasi insoutenable, dans une splendeur sonore de chaque instant. Bravo à tous les musiciens de  l’orchestre !

La mise en scène  de Walter Sutcliffe trouve tout au long de la soirée une théâtralité naturelle, comme la musique coule et le texte se déploie, en un spectacle total.

Cette association gĂ©nĂ©reuse offre un spectacle de près de quatre heures dont le spectateur ressort plus lucide, loin du conformisme ambiant. Un moment trop rare dans une salle dâ€opĂ©ra. Merci Ă  FrĂ©dĂ©ric Chambert qui signe ici l’une de ses plus audacieuses productions au Capitole de Toulouse.

Compte rendu, opéra. Toulouse. Théâtre du Capitole, le 21 novembre 2014. Benjamin Britten (1913-1976) : Owen Windgave, Le Tour d’écrou.  

Owen Wingrave, Opéra en deux actes sur un livret de Myfanwy Piper d’après la nouvelle de Henry James créé le 16 mai 1971 à la télévision, BBC 2, création scénique le 10 mai 1973 au Royal Opera House, Covent Garden, Londres. Walter Sutcliffe, mise en scène ; Kaspar Glarner, décors et costumes ; Wolfgang Goebbel, lumières. Avec : Dawid Kimberg, Owen Wingrave ; Steven Page, Spencer Coyle ; Steven Ebel, Lechmere ; Elisabeth Meister, Miss Wingrave ; Janis Kelly, Mrs Coyle ; Elizabeth Cragg, Mrs Julian ; Kai Rüütel, Kate Julian ; Richard Berkeley-Steele, Général Sir Philip Wingrave ; Thomas Randle, Le Narrateur / Le Chanteur de ballades. Production Opéra de Francfort (2010).

 

Et

 

Le Tour d’écrou, Opéra en deux actes et un prologue sur un livret de Myfanwy Piper d’après la nouvelle de Henry James créé le 14 septembre 1954 au Teatro la Fenice, Venise ; Nouvelle production ; Walter Sutcliffe, mise en scène ; Kaspar Glarner, décors et costumes; Wolfgang Goebbel, lumières. Avec: Jonathan Boyd, Le Narrateur / Peter Quint ; Anita Watson, La Gouvernante ; Francis Bamford / Matthew Price, Miles ; Lydia Stables / Eleanor Maloney, Flora ; Anne-Marie Owens, Mrs Grose ; Janis Kelly, Miss Jessel.

Maîtrise du Capitole, Alfonso Caiani direction ; Orchestre national du Capitole ; Direction musicale, David Syrus.

 

 

 

 

Illustrations : F. Nin © Capitole 2014.

 

 

Compte rendu, opéra. Lyon. Opéra, les 25 et 27 avril 2014. Benjamin Britten : Curlew River, m.e.s. Olivier Py, dir. A.Woodbridge ; Turn of screw, m.e.s.V.Carrasco, dir. Kazushi Ono.

BrittenL’Opéra de Lyon choisit chaque saison des groupes d’œuvres en thématique : au printemps 2014, ç’aura été un Trio de Britten. A côté de Peter Grimes, on aura entendu et vu Curlew River, une « parabole d’église », rareté  à la scène française, rigoureusement mis en scène  par Olivier Py et dirigé par Alan Woodbridge. Et le désormais classique Turn of Screw, où les images  accumulatives de Valentina Carrasco méritent  le retrait relatif devant la superbe musicalité de Kazushi Ono.

Un creuset du mystère dans la parabole

Et d’abord, la rituelle question : est-ce un opéra, une «parabole  d’église » qui d’un côté regarde vers « la possibilité d’une île » lyrique et de l’autre est ancrée dans le théâtre japonais du nô ? Va-t-on assister à quelque mise en espace mental  d’un « Orient-Occident » dont Xenakis donna  le titre sinon la substance musicale ? En réalité, si Britten fut fasciné  par l’art japonais, c’est en considérant la charge théâtrale dans la pièce Sumidagawa, non par un langage sonore et musical de l’Extrême-Orient. L’écriture si originale et forte du compositeur anglais s’enracine dans ses propres recherches « occidentales » en même temps –pour la part chorale – que dans le chant religieux médiéval. Et ce qui  fascine en nous le spectateur – « croyant » ou non -, c’est l’obstination de Britten à créer au centre de ce qui est nommé parabole (chrétienne)  un creuset du mystère où les « terribles passions humaines » montrent « le cœur mis à nu » : primordialement l’amour maternel, et aussi l’empathie vers les souffrants , une « fureur de vivre » la religion et tous les fantasmes de symboliques qui s’y agrègent, quels ques soient les lieux et les époques.

Le Styx, Erlkönig et l’Enfant-Roi

Car la campagne anglaise peut bien accueillir en ses connotations fantastiques d’autres  résonances mythologiques : l’Antique – une Curlew River, Rivière aux Courlis comme un Styx avec son Passeur qui emmène les (sur)vivants en Voyage des Morts, et transpose l’Enfant en Eurydice que l’on perdra malgré tout, la Germanique de l’enfant assassiné par un  Erlkönig, et alors  nulle mère ne saurait sauver du péril, la Christique  où l’on couronne l’Enfant martyr même si son « Royaume n’est pas de ce monde »… Dans le foisonnement des  possibles et des rêves, Olivier Py a choisi de ne pas se laisser déborder par les séduisantes tentations d’une  dramaturgie  réaliste.

En témoigne le superbe  espace, conçu et réalisé avec  P.A.Weitz,  d’acier, d’argent, de noir, de blanc et ses vibrations de matières bruissantes comme rideau d’arbres, qui justement «épargne » la relation trop facile d’un paysage précis. De toute façon, les attachements, séductions  voire tournis du metteur en scène le portent plutôt vers le centre et les  marges  d’une théologie dévoreuse de gestes, signes et symboles : et bien sûr ici on est  dans un  territoire du sacré, quitte à ce que certains éléments virent au maniérisme (la table de maquillage côté cour,  les déshabillages , les  marquages  à la  peinture rouge-sang…), en une  pan-masculinité reposant sur la tradition du théâtre-nö-sans-(trop)- de femmes…

Un Passeur brassant l’onde du Temps

Il  s’établit donc un contrepoint permanent, subtil et fort entre rudesse des adultes –sauf le Voyageur- et l’innocence que  sĂ©crète l’enfant ( dĂ©guisĂ©e aux yeux du monde en folie de la mère), toutes les formes, aussi,  de solitude Ă©perdue qui gouverne le destin des personnages. Le hiĂ©ratisme s’exprime  dans une  science  des mouvements : allure processionnelle du chĹ“ur – des pèlerins quelque part en route entre …  Bayreuth et Solesmes…-, gestes de beautĂ©-en-soi, tel celui, ample et harmonieux, du Passeur brassant l’onde avec sa rame Ă  tĂŞte cruciforme, ou de terrible silence, le sanglot de la mère au masque rouge.  Et ces images violentes ne prolifèrent en rien sur le langage  de Britten, respectĂ© et sublimĂ© dans sa nouveautĂ© d’époque (nous sommes un demi-siècle  après la crĂ©ation, pourtant), dramaturgie musicale souvent bouleversante (trio  lyrique au centre de l’œuvre, discours de la percussion, « souffle » – mystique ?- de la flĂ»te, nuditĂ© homophonique des chants de groupe, conception  d’un Temps massif Ă  travers  les dĂ©chirements des personnages et de leur mise en confrontation…).

La rareté d’un choix

 On réalise alors mieux combien l’interprétation d’ensemble est portée par le travail en toute discrétion du chef de chœur de l’Opéra, Alan Woodbridge, communiquant pleine émotion aux  cinq solistes vocaux, aux huit pèlerins et aux sept instrumentistes. Six ans après –cette version de Curlew River avait déjà paru « sous les couleurs » de l’Opéra Lyonnais -, une telle vision garde  tous les prestiges  pour  ce programme en Trio d’œuvres lyriques de Britten 2014, dans la rareté de son choix. Les interprètes-solistes  sont admirables : Michael Slaterry dans sa vaillance vocale et son étrangeté maternelle et folle,  William Dazeley en Passeur solennel de haute noblesse intransigeante, Ivan Ludlow, Voyageur compassionnel, Lukas Jakobski, Abbé incorruptible, avec  l’apparition très visionnaire  de l’enfant , Cléobule Perrot.

Psychanalyse implicite et nécessaire

Tbenjamin_britten_vieuxurn of screw – comment faut-il traduire et comprendre ce « tour de vis », et non « tour d’écrou »?, interroge le livret-programme-, figure, lui, parmi les classiques de l’opĂ©ra au XXe, et comme le souligne  Dominique Jameux, n’est pas sans rĂ©pondre  en Ă©cho de solitude et de grandeur au « Wozzeck » de Berg. Son  sujet continue Ă  porter le trouble, plongeant le spectateur dans un processus fusionnel de fantastique, d’onirisme et  de doute psychanalytique obsessionnel. L’écriture du texte-support par l’anglo-amĂ©ricain Henry James est d’ailleurs tout Ă  fait contemporaine  de la dĂ©couverte freudienne du « sous-continent de l’inconscient », et on imagine que la Jeune Gouvernante (sans prĂ©nom et nom !) eĂ»t  pu figurer parmi les clients  exemplaires du bon Doktor Siegmund, en compagnie de Dora, d’Anna O, de mĂŞme d’ailleurs que Miles et Flora du cĂ´tĂ© de chez le Petit Hans. On ajoutera les sĂ©ductions vĂ©nĂ©neuses du roman noir en  demeures gothiques anglaises au XIXe, un rapport consubstantiel du Domaine  avec les lĂ©zardes scrutĂ©es par Edgar Poe dans la Maison Usher, sans oublier la terrible « Big-Mother -Queen Victoria » qui avait  eu l’œil sur toutes dĂ©viances morales et sexuelles.

Deux Pervers polymorphes et  leur Gouvernante

 Bref,  univers idĂ©al pour transfĂ©rer un demi-siècle plus tard les tourments et dĂ©sirs de  Britten Ă  la recherche d’un Ă©nigmatique « courant de conscience »(musical et autre) comme le frère aĂ®nĂ© de Henry James, William, l’illustra en philosophie…Mais alors que faut-il « montrer » en dĂ©cor et mise en scène, pour souligner les profondes et foisonnantes ambiguĂŻtĂ©s qui rĂ©gissent le Tour dâ€Ă©crou ?  Les hallucinations (peut-ĂŞtre ?) qui emprisonnent la Gouvernante et ces deux petits « pervers polymorphes » de prĂ©-ados, l’existence (peut-ĂŞtre aussi ?) des fantĂ´mes de  Mr Quint et  de Miss Jessell, la lutte du Bien et du Mal, du Vrai et du Faux en ce domaine hantĂ© de Bly ? L’ordonnatrice  Valentina Carrasco, habile illustratrice qui d’ailleurs pose de bonnes questions en dĂ©claration d’intentions (Ă  lire le livret-programme) eĂ»t pourtant mieux fait de modĂ©rer  sa tendance Ă  multiplier les images et leur symbolique, se rappelant qu’au temps des frères James MallarmĂ© recommandait : « SuggĂ©rer, ne pas nommer » pour garder « la jouissance du poème ».

Le pull rouge de la Parque

 SoulignĂ© par deux  vidĂ©os d’introduction, le discours spatial (dĂ©cors de Carles Berga),  plus Ă©vocateur  dans le sous-bois automnal, ne convainc guère avec  le mobilier genre vide-grenier-en- lĂ©vitation du Château  et surtout s’emmĂŞle dans les rĂ©seaux de cordes  et toiles (d’araignĂ©es ?) qui Ă©voquent  l’action sournoise de la Parque-Destin, tricoteuse d’un pull-over rouge par trop surligné…Du coup n’est pas mĂŞme Ă©pargnĂ© le risque d’ accident du travail –justice immanente ? – Ă  ce (pauvre)-mĂ©chant Quint qui n’arrive plus Ă  se rĂ©tablir sur les Ă©chelles et trapèzes terminaux… Heureusement, la direction musicale de Kazushi Ono Ă©tablit Ă  la fois une emprise sur le dĂ©tail instrumental, ciselĂ©, scintillant ou sombre selon les scènes, et  « tient » les interprètes dans une temporalitĂ© angoissante qui compense le relatif  Ă©parpillement de la mise en scène.

La jeune Canadienne Heather Newhouse,  Lyonnaise d’adoption (CNSM, Opéra) ne démérite pas dans un rôle difficile entre tous, et  sa réserve pudique – son manque de flamboyance, diraient certains peu convaincus – ne messied pas à une hypothèse de manipulée flottant de cauchemar en désirs informulables. Ses partenaires – Katherine Goeldner, Andrew Tortise, Giselle Allen – manifestent décision vocale comme mobilité théâtrale, et on n’oubliera pas l’ambivalente subtilité de Flora – Loleh Pottier – et de Miles – Remo Ragonese. Ainsi le  mystère subsiste,  s’épaissit, laisse ouvertes  les interrogations, et  malgré les réserves qu’inspire une mise en espace trop soucieuse d’intentions décoratives  et  dispersée dans ses effets,  revit  bien ici  l’Enigme.

Lyon. Opéra, les 25 et 27 avril 2014. Benjamin Britten (1913-1976). Curlew River, mise en scène Olivier Py, direction Alan Woodbridge, avec Michaël Slattery, William Dazeley, Ivan Ludlow, Lukas Jakobski, Cléambule Perrot. Turn of Screw, m.e.s. Valentina Carrasco, dir. Kazushi Ono, avec Heather Newhouse, Katharine Goeldner, Giselle Allen, Remo Ragonese, Loleh Pottier. Orchestre et Maîtrise de l’Opéra de Lyon.

Compte rendu, opéra. Tours. Grand Théâtre, le 18 mars 2014. Benjamin Britten : The Turn of the Screw. Isabelle Cals, Hanna Schaer, Cécile Perrin, Jean-Francis Monvoisin. Ariane Matiakh, direction musicale. Dominique Pitoiset, mise en scène

Le Tour d'ecrou Opéra de Tours mars 2014 © François Berthon  4895Initiative courageuse de la part de l’Opéra de Tours que de monter The Turn of the Screw – Le Tour d’écrou – de Britten, ouvrage encore insuffisamment joué dans l’Hexagone. Composé d’après la nouvelle du même nom écrite par Henry James et créé à la Fenice de Venise en septembre 1954, cet opéra en deux actes et un prologue nous narre les déboires d’une gouvernante – dont on ne saura jamais le nom – aux prises avec les esprits des anciens serviteurs de la maison désireux d’entraîner avec eux les deux enfants dont elle a nouvellement la garde. Une intrigue propice aux audaces harmoniques et aux couleurs inquiétantes, dont a parfaitement tiré parti le compositeur, créant une atmosphère angoissante, dont l’étau se resserre tel un écrou toute la soirée durant, pour un moment fort de vrai théâtre musical. C’est par un long silence que la représentation débute, laissant résonner le théâtre de tous ses murmures comme autant de fantômes, et ce n’est qu’ensuite que la musique peut occuper l’espace sonore.

Un Tour de très haut niveau

La maison tourangelle a servi cette pièce avec les honneurs qu’elle mérite, réunissant une distribution en tous points exemplaire et aux vocalités généreuses. Isabelle Cals coule sans effort son superbe soprano dans le personnage tourmenté de la Gouvernante, déployant sa voix riche et ronde, incarnant parfaitement cette figure complexe, dont on ignore si les spectres ne naissent pas uniquement dans son imagination.
Elle est secondée par une Hanna Schaer idéale en Mrs Grose, un rôle qu’elle a déjà incarné de nombreuses fois. On ne peut que se réjouir devant la fraicheur et la puissance de la voix de la mezzo suisse – qualités que sa Mistress Benson dans Lakmé ne laissait pas soupçonner – ne faisant qu’un avec ce personnage dépassé par les évènements et tout de tendresse maternelle.
Superbe également, le couple fantomatique. Cécile Perrin incarne une Miss Jessel à l’âme torturée, mélancolique et effrayante à la fois, à la présence scénique aussi magnétique que son instrument large et étendu, emplissant sans effort la salle. A ses côtés, Jean-Francis Monvoisin joue des particularités de son timbre pour dépeindre un Peter Quint menaçant, utilisant toutes les possibilités de sa voix pour un résultat saisissant. Et ce tableau ne serait pas complet sans deux enfants très convaincants, dont la performance est à saluer : Louise Van der Mee et Samuel Miles, tous deux d’une crédibilité redoutable, jusqu’aux couleurs inquiétantes qu’ils parviennent à trouver, notamment le jeune garçon, aussi ambigu qu’insondable.
Tous se révèlent en outre stylistiquement impeccables, et s’expriment dans un anglais au-dessus de tout reproche, une performance pour une distribution exclusivement francophone.
Et c’est avec évidence que les chanteurs évoluent dans la mise en scène réglée au cordeau par Dominique Pitoiset. Le scénographe a imaginé un lieu unique, le salon d’une maison des années 60 à la décoration sobre et dont la grande baie vitrée donne sur un petit jardin enneigé, au haut mur bordé de thuyas. Un véritable huis clos rendu plus étouffant encore par les éclairages remarquables de Christophe Pitoiset. La direction d’acteurs se révèle à la hauteur du cadre de scène, éblouissante de précision et de tension, tout temps mort paraissant interdit, sinon impossible.

Dans la fosse, les treize musiciens de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Tours s’en donnent à cœur joie, chacun en position de soliste, et créent avec un plaisir évident les ambiances irrespirables imaginées par Britten. Participant activement au drame, Ariane Matiakh couve les instrumentistes de sa baguette et leur insuffle son énergie, prenant cette partition, qu’elle dirige pour la première fois, très à cœur. Une très belle soirée d’opéra, un ouvrage dramatiquement et musicalement très fort, de grandes voix, une mise en scène intelligente ainsi que des musiciens profondément impliqués, que demander de plus ?

Tours. Grand Théâtre, 18 mars 2014. Benjamin Britten : The Turn of the Screw. Livret de Myfanwy Piper, d’après la nouvelle éponyme de Henry James. Avec La Gouvernante : Isabelle Cals ; Mrs Grose : Hanna Schaer ; Miss Jessel : Cécile Perrin : Narrateur / Peter Quint : Jean-Francis Monvoisin ; Flora : Louise Van der Mee ; Miles : Samuel Mallet. Chœurs de l’Opéra de Tours ; Chef de chœur : Emmanuel Trenque. Orchestre Symphonique Région Centre-Tours. Ariane Matiakh, direction musicale ; Mise en scène et scénographie : Dominique Pitoiset ; Costumes : Nathalie Prats ; Lumières : Christophe Pitoiset ; Assistant mise en scène : Stephen Taylor ; Chef de chant : Matthieu Le Levreur.

Britten : Le tour d’Ă©crou Ă  l’OpĂ©ra de Tours

britten_jeune_piano-570Tours, OpĂ©ra. Britten: The Turn of the screw. Les 14,16,18 mars 2014. Monde rĂ©el et fantĂ´mes, inquiĂ©tude, refoulement, questions, conscient et inconscient, enfance en danger, sacrifiĂ©e, bafouĂ©e, se conjuguent dans le monde de Benjamin Britten d’après l’extraordinaire nouvelle d’Henry James. Accessible et novatrice, toute en couleurs sans cesse renouvelĂ©es, la musique habite cet univers prenant, protĂ©iforme Ă  laquelle la rĂ©alisation signĂ©e par Dominique Pitoiset, dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ©e Ă  Bordeaux, apporte un Ă©clat intĂ©rieur, lumineux et hypnotique. Peu Ă  peu, la musique et l’architecture dramatique nourrissent l’emprise du pervers Quint sur Miles, le jeune garçon, pourtant dĂ©fendu (vainement) par la nouvelle gouvernante…

Le Tour d’Ă©crou est créé Ă  Venise en septembre 1954 Ă  la Fenice. Entre fantastique et horreur, l’action dĂ©peint la lente possession de deux enfants par deux fantĂ´mes pernicieux, Peter Quint et Miss Jessel, chacun infĂ©odant le jeune Miles et sa soeur Flora. Britten se passionne surtout pour la figure de l’Ă©trangère, la gouvernante qui très attachĂ©e au jeune garçon, tente vainement de le protĂ©ger de la figure diabolique de Peter Quint : si le fantĂ´me s’efface, il laisse dans les bras de la gouvernante, le petit corps de Miles… sans vie. ComposĂ© de 8 tableaux strictement agencĂ©s et ponctuĂ©s lĂ  aussi d’interludes musicaux particulièrement suggestifs, The Turn of the screw reste l’opĂ©ra de chambre, inventĂ© par Britten le plus saisissant par sa progression lente et oppressante, sa parfaite construction dramatique. Un modèle, avec The Rape of Lucretia et aussi le peu connu Owen Windgrave, dans le genre du théâtre intimiste. Le huit clos est saisissant, l’action prĂ©cise, fulgurante, et la musique d’une âpretĂ© poĂ©tique et mordante.

Tours, Opéra
Les 14,16,18 mars 2014
Benjamin Britten : The Turn of the screw

Conférence
Samedi 8 mars Ă  14h30
Grand Théâtre de Tours
Salle Jean Vilar • Entrée gratuite dans la limite des places disponibles

Opéra en deux actes avec prologue
Livret de Myfanwy Piper, d’après la nouvelle d’Henri James
Création le 14 septembre 1954 à Venise
Editions Boosey et Hawkes
Présenté en anglais, surtitré en français

Direction : Ariane Matiakh
Mise en scène et scénographie : Dominique Pitoiset
Costumes : Nathalie Prats
Lumières : Christophe Pitoiset
Assistant mise en scène : Stephen Taylor

Narrateur / Peter Quint : Jean-Francis Monvoisin
Gouvernante : Isabelle Cals
Mrs Grose : Hanna Schaer
Miss Jessel : Cécile Perrin

Orchestre Symphonique Région Centre-Tours

Production Décors, costumes et accessoires Opéra de Bordeaux

Le Tour d’Ă©crou de Britten Ă  Tours

britten_jeune_piano-570Tours, OpĂ©ra. Britten: The Turn of the screw. Les 14,16,18 mars 2014. Monde rĂ©el et fantĂ´mes, inquiĂ©tude, refoulement, questions, conscient et inconscient, enfance en danger ou bafouĂ©e, se conjuguent dans le monde de Benjamin Britten d’après James. Accessible et novatrice, toute en couleurs sans cesse renouvelĂ©es, la musique habite cet univers prenant, protĂ©iforme Ă  laquelle la rĂ©alisation signĂ©e par Dominique Pitoiset, dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ©e Ă  Bordeaux, apporte un Ă©clat intĂ©rieure lumineux et hypnotique.

Le Tour d’Ă©crou est créé Ă  Venise en septembre 1954 Ă  la Fenice. entre fantastique et horreur, l’action dĂ©peint la lente possession de deux enfants par deux fantĂ´mes pernicieux, Peter Quint et Miss Jessel, chacun infĂ©odant le jeune Miles et sa soeur Flora. Britten se passionne surtout pour la figure de l’Ă©trangère, la gouvernante qui très attachĂ©e au jeune garçon, tente vainement de le protĂ©ger de la figure diabolique de Peter Quint : si le fantĂ´me s’efface, il laisse dans les bras de la gouvernante, le petit corps de Miles… sans vie. ComposĂ© de 8 tableaux strictement agencĂ©s et ponctuĂ©s lĂ  aussi d’interludes musicaux particulièrement suggestifs, The Turn of the screw reste l’opĂ©ra de chambre, inventĂ© par Britten le plus saisissant par sa progression lente et oppressante, sa parfaite construction dramatique.

Tours, Opéra
Les 14,16,18 mars 2014
Benjamin Britten : The Turn of the screw

Conférence
Samedi 8 mars Ă  14h30
Grand Théâtre de Tours
Salle Jean Vilar • Entrée gratuite dans la limite des places disponibles

Opéra en deux actes avec prologue
Livret de Myfanwy Piper, d’après la nouvelle d’Henri James
Création le 14 septembre 1954 à Venise
Editions Boosey et Hawkes
Présenté en anglais, surtitré en français

Direction : Ariane Matiakh
Mise en scène et scénographie : Dominique Pitoiset
Costumes : Nathalie Prats
Lumières : Christophe Pitoiset
Assistant mise en scène : Stephen Taylor

Narrateur / Peter Quint : Jean-Francis Monvoisin
Gouvernante : Isabelle Cals
Mrs Grose : Hanna Schaer
Miss Jessel : Cécile Perrin

Orchestre Symphonique Région Centre-Tours

Production Décors, costumes et accessoires Opéra de Bordeaux

Livres. Xavier de Gaulle : Benjamin Britten l’impossible quiĂ©tude (Actes Sud)

Livres. Xavier de Gaulle : Benjamin Britten l’impossible quiĂ©tude (Actes Sud)   …
Voici la nouvelle Ă©dition d’un essai biographique paru en 1996 et actualisĂ© Ă  la faveur du centenaire Britten 2013. Cette ” impossible quiĂ©tude ” vient de l’obligation viscĂ©rale du compositeur Ă  exprimer ce qu’il est profondĂ©ment : un ĂŞtre libre soucieux de dĂ©fendre sa diffĂ©rence… peut-ĂŞtre violĂ© pendant son adolescence, Britten affirme dans son oeuvre non pas la nostalgie de l’innocence, trĂ©sor sacrĂ© de l’enfance, mais sa ” sublimation ” : une question Ă©thique qui est au centre de son oeuvre et qui est magistralement dĂ©mĂŞlĂ©e dans cette Ă©tude Ă  la fois exhaustive et très personnelle.

Un homme libre soucieux de sa diffĂ©rence …

britten_de_gaulle_actes_sud_britten_2013_benjamin_brittenIl ne saurait en ĂŞtre autrement car l’oeuvre et la vie de Britten n’appartiennent qu’Ă  lui-mĂŞme : singulières et uniques. Un goĂ»t pour le rapport texte-musique, une refonte du langage lyrique, sans ornement, sans pompe mais essentiel tournĂ© vers le secret le plus intime des ĂŞtres, un festival dĂ©diĂ© Ă  son oeuvre (Aldeburgh), et en fond sonore et entĂŞtant, telle une permanente humeur identitaire, la mer : nĂ© sur la cĂ´te Est de l’Angleterre (Ă  jamais nostalgique de son cher Suffolk), Britten reste un homme attachĂ© Ă  la nature ocĂ©ane. La stature de ce pacifiste objecteur de conscience s’affirme pendant la guerre oĂą il dĂ©cide de s’exiler au Canada, accord tacite du gouvernement britannique sous condition qu’il y travaille comme compositeur et comme interprète : auteur surtout reconnu après la guerre avec Peter Grimes, Britten fut aussi un pianiste inspirĂ© et un chef prĂ©cis autant qu’Ă©lectrisant, admirĂ© de Dietrich Fischer-Dieskau ou de Janet Baker …Les entrĂ©es sont variĂ©es, parfois thĂ©matiques et toujours particulièrement pertinentes (Britten et ses interprètes, Britten et les compositeurs contemporains dont Chostakovitch, autre pacifiste forcenĂ©-, Britten et les poètes, Britten et ses librettistes, les sources d’inspiration chez Britten …).

L’organisation du texte suit la chronologie, indiquant pĂ©riode par pĂ©riode, les grandes oeuvres, leur contexte, leur enjeu esthĂ©tique, et surtout peu Ă  peu, liĂ©e Ă  une force de travail admirable autant qu’Ă  une claire conscience de sa vocation, l’Ă©volution de son art : marquĂ© par l’Ă©pure, une certaine Ă©conomie que traverse le goĂ»t pour la musique orientale.

Chaque opĂ©ra, de Peter Grimes Ă  Mort Ă  Venise (mais aussi toutes les oeuvres chambristes et symphoniques, les cycles de lieder…), est minutieusement prĂ©sentĂ©, analysĂ© avec la finesse d’une Ă©criture passionnĂ©e, pourtant soucieuse de clartĂ© et d’accessibilitĂ©. Voici le livre rĂ©fĂ©rence sur Britten, opportunĂ©ment rééditĂ© en 2013 pour le centenaire Britten.

Xavier de Gaulle : Benjamin Britten, l’impossible quiĂ©tude (Actes Sud 1996, réédition 2013). ISBN 978 2 330 02479 6. Parution octobre 2013.

Britten : Owen Windgrave (1971)

bronzino_Owen_windgraveD’après Henri James, l’opĂ©ra illustre l’engagement du compositeur antimilitariste. Mais le sujet assemble aussi plusieurs idĂ©es centrales du théâtre de Britten : la mort de l’adolescent et le soupçon de la fascination homosexuelle que le jeune hĂ©ros suscite chez son maĂ®tre Coyle. Britten est fidèle Ă  la qualitĂ© d’attraction virile qui unit dans le roman de James, le maĂ®tre Ă  son Ă©lève. Il y a peut-ĂŞtre aussi dans cette affection rĂ©ciproque, le souvenir du premier amour de James comme en tĂ©moignent les lettres que l’Ă©crivain adressa au jeune sculpteur amĂ©ricain, Henrik Andersen. Sur le thème d’une admiration partagĂ©e, James Ă©crit aussi “L’Ă©lève”, nouvelle qui dĂ©crit sur le mode contemplatif l’affinitĂ© qui unit le prĂ©cepteur et son protĂ©gĂ©.
Mais chez Melville comme chez James, le poison du meurtre est absent : il n’apparaĂ®t que chez Britten. Toute attraction homosexuelle semble inĂ©luctablement tourner au meurtre ou au suicide. La quĂŞte de l’absolu et de la beautĂ© doivent-elles inĂ©luctablement mener au chaos? Cette question rĂ©currente sera autrement posĂ©e avec plus de noirceur et de poison, dans “Mort Ă  Venise” (1973).

A l’Ă©cran comme au théâtre
En 1968, Britten travaille Ă  son nouvel opĂ©ra, aidĂ© pour le livret, de Myfanwy Piper. Le sujet, inspirĂ© du roman Ă©ponyme d’Henry James, et publiĂ© en 1892, lui permet d’aborder un sujet cher, qu’il a vĂ©cu lui-mĂŞme au moment de la Seconde Guerre mondiale : la dĂ©nonciation du non fondĂ© de la violence et de la guerre, d’autant plus critiquĂ©es pour les victimes qui en payent le prix fort et que le compositeur s’est rĂ©vĂ©lĂ© un anti-militariste convaincu. En novembre 1970, selon ce qui Ă©tait prĂ©vu, l’opĂ©ra fut d’abord rĂ©alisĂ© pour la tĂ©lĂ©vision, Ă  l’initiative du commanditaire, la chaĂ®ne BBC : scĂ©nario, montage, distribution, tout fut validĂ© par le compositeur. L’ouvrage fut ainsi créé en mai 1971, puis reprĂ©sentĂ© sur la scène, en 1973 Ă  Covent Garden. Au final, l’ouvrage devait autant se prĂŞter Ă  l’Ă©cran qu’au théâtre.

Après avoir adaptĂ© The Turn of the screw, (Le tour d’Ă©crou) Ă©galement d’Henri James, Britten dĂ©couvre la nouvelle de l’Ă©crivain qui correspond exactement Ă  ses engagements pacifistes. Owen Windgrave, hĂ©ritier d’une famille prestigieuse d’illustres guerriers, refuse de poursuivre son Ă©ducation militaire et dĂ©cide, contre les plans du clan familial, y compris sa fiancĂ©e, de cesser ses Ă©tudes. Mais comment montrer son courage dans un combat très difficile oĂą les tenants de l’ordre et de la tradition n’aiment ni les tire au flanc, ni les lâches? Il y a autant de force d’âme Ă  combattre qu’Ă  refuser de tuer son ennemi, et Owen Windgrave le prouvera en payant cependant le prix fort, lui aussi.

Sur le plan musical, le compositeur aborde la gamme dodĂ©caphonique, en concevant un opĂ©ra de chambre qui exige cependant  46 musiciens. La violence et l’efficacitĂ© de l’Ă©criture traite avec grandeur un thème d’autant plus dĂ©licat et sensible qu’il engage l’identitĂ© virile et l’une des valeurs essentielles qui a fait la gloire de l’empire britannique, l’hĂ©roĂŻsme patriotique. Mais au prix de combien de vies humaines ? proclame Britten par la voix de son hĂ©ros, Owen Windgrave.

Solitaire mais entourĂ©, rebelle et diffĂ©rent, Britten est cĂ©lĂ©brĂ© de son vivant comme le plus grand compositeur britannique après Purcell. Il est vrai que son gĂ©nie qui s’exprime essentiellement au théâtre, atteint l’universel grâce Ă  la force de ses Ă©vocations poĂ©tiques. A ce titre, il sera anobli par la Reine en 1953, et fait “Lord”, en 1967.

Illustrations
Bronzino, portrait d’un jeune collectionneur (Florence, musĂ©e des Offices)

Britten : Mort Ă  Venise

benjamin_britten_vieuxBritten traite après Visconti, le sujet rĂ©digĂ© par Thomas Mann. Le dĂ©sir de l’adulte pour l’enfant, son regard contemplatif provoque ici une rĂ©solution inverse. Le sujet dĂ©sirĂ© n’est pas sacrifiĂ©. RongĂ© par le remords et la culpabilitĂ©, c’est l’adulte dĂ©sirant qui succombe Ă  la terrible vĂ©ritĂ© de ses fantasmes pĂ©dophiles. En esthète impuissant, Aschenbach reste fascinĂ©, “mĂ©dusĂ©” au sens propre, par la beautĂ© apollinienne du garçon Tadzio. L’adorateur semble Ă©cartelĂ© entre l’aspiration Ă  la beautĂ© et la cruditĂ© charnelle qui compose aussi sa coupable attraction. En dĂ©cidant de se taire toujours, Aschenbach semble avoir choisi l’autodestruction et l’anĂ©antissement. Chaque silence dictĂ© par le remords, quand paraĂ®t le jeune adolescent, est semblable Ă  un coup de poignard. Et chaque regard dĂ©sirant se retourne contre lui : il se transforme en lente agonie.
Britten a remarquablement illustrĂ© l’Ă©volution de la contemplation vĂ©cue par Aschenbach, en ses dĂ©buts spirituelle et esthĂ©tique, ensuite confusĂ©ment trouble et sexuelle (le cauchemar de la Bacchanale dans lequel Aschenbach rĂŞve qu’il rejoint Tadzio) : l’apollinien, le bacchique… au final, dans une vision pessimiste, l’idĂ©alisme et le spirituel sont corrompus par le poison du dĂ©sir…

Golo Mann : de Doktor Faustus Ă  “Death in Venice”

david_britten_tadzioAvant de mourir en 1955, Thomas Mann aurait reconnu que, si son Doctor Faustus devait ĂŞtre portĂ© Ă  l’opĂ©ra, il n’y aurait qu’un musicien capable de le faire : Benjamin Britten. Or depuis janvier 1971, le compositeur qui se sait condamnĂ©, -il souffre d’une insuffisance de l’aorte : endocardite-, souhaite Ă©crire un dernier opĂ©ra, “pour Peter”.
Britten a bien connu l’un des fils Mann, Golo, Ă  Brooklyn, pendant son “exil amĂ©ricain”. Les deux hommes se retrouvent et Golo Mann, lui souffle l’idĂ©e d’adapter” Mort Ă  Venise” que Visconti réécrit pour le cinĂ©ma.

Britten partage avec Thomas Mann, la fascination pour la ville suspendue sur les eaux : objet des fantasmes les plus poĂ©tiques, la CitĂ© offre aux crĂ©ateurs la matière au rĂŞve, tant recherchĂ©e par les artistes. C’est moins la CitĂ  que les plages du Lido, cette longue bande de terre entre deux mers, qui suscite chez Mann, la rĂ©vĂ©lation de la beautĂ©, dans la figure du jeune Tadzio qui lui semble ĂŞtre dans sa primitive et juvĂ©nile beautĂ©, l’incarnation renouvelĂ©e des dieux. Une telle expĂ©rience esthĂ©tique devait Ă©videmment marquer profondĂ©ment Britten qui y trouve, au bord de sa vie, l’expression exacte de sa propre expĂ©rience, artistique et intime.

Dès octobre 1971, le compositeur et son compagnon, Peter Pears sont à Venise. Mais le processus créatif, hier si fluide, demande au Britten malade et amoindri, davantage de temps et de concentration.
On sait que Mann rĂ©digea sa nouvelle au moment oĂą Gustav Mahler trouva la mort, en 1911. Les deux Ă©vĂ©nements, Ă©criture du roman dĂ©cisif pour Britten et dĂ©cès d’un compositeur admirĂ©, augmentent l’attraction du musicien pour le texte de  l’Ă©crivain. L’annĂ©e 1971 est marquĂ©e aussi par l’engagement, le dernier, de Britten dans la conduite musicale de son festival d’Aldeburgh : il interrompt la composition de “Death in Venice”, pour s’immerger dans les Scènes de Faust de Robert Schumann, dont la rĂ©alisation au concert reste mĂ©morable, comme en tĂ©moignera Dietrich Fischer Dieskau qui chante dans la production.

manet_veniseEn 1972, le travail redouble pour l’opĂ©ra. Britten s’est assurĂ© la complicitĂ© de sa librettiste Myfanwy Piper. L’action est portĂ©e par le rĂ´le central d’Aschenbach, chantĂ© par Pears : ses monologues, accompagnĂ©s sobrement par le piano, structurent toute la narration. Autour de lui, sept personnages paraissent, tous incarnĂ©s par le mĂŞme interprète. Chacun compose diverses facettes d’une mĂŞme force souterraine dont l’activitĂ© conduit en un rituel initiatique, Aschenbach vers la mort. Chacun est un thurifĂ©raire qui l’aide Ă  passer les portes de l’au-delĂ , traverser le styx, passĂ© de l’autre cĂ´tĂ© du miroir. Observateur et contemplateur, Aschenbach regarde l’Ă©phèbe Tadzio et sa famille qui ne chantent pas : pour stigmatiser le monde dans lequel ils Ă©voluent, un monde dans lequel en rĂ©alitĂ©, ne pĂ©nètre jamais Aschenbach, Myfanwy Piper imagine la danse. Tous animent ainsi une chorĂ©graphie dont le monde est parallèle Ă  celui du hĂ©ros, Aschenbach.

Synopsis

Opéra en deux actes
(Acte I) Scène I : Aschenbach solitaire traverse le cimetière de Munich. Sa femme est morte et sa fille vient de se marier. Un voyageur lui rappelle la fascination pour Venise. Il dĂ©cide de s’y rendre.
Scène II : arrivée dans Venise, transfert crépusculaire vers le Lido.
Scène IV : accueil du directeur de l’HĂ´tel des Bains au Lido. Au moment du dĂ®ner, Aschenbach voit pour la première fois le jeune Tadzio : des sonoritĂ©s orientales et mystĂ©rieuses qui rappellent le Gamelan, expriment la beautĂ© foudroyante du garçon et l’impossibilitĂ© pour son adorateur d’exprimer aucun mot. C’est la musique qui Ă©voque le choc de la vision.
Scène V : sur la plage du Lido. Aschenbach continue d’ĂŞtre traversĂ© par son dĂ©sir pour le jeune Ă©phèbe. Il programme de partir mais une erreur d’enregistrement de ses bagages retarde son dĂ©part. Peu Ă  peu, le climat Ă©touffant de Venise se prĂ©cise.
(Acte II) Scène VIII : après s’ĂŞtre rendu chez le barbier, Aschenbach a la confirmation que Venise est le foyer d’une Ă©pidĂ©mie de cholĂ©ra. Laquelle est tenue secrète par les autoritĂ©s de la ville.
De fait, le vieil homme succombe Ă  la maladie comme il est terrassĂ© par l’ivresse des sens que lui a causĂ©, la beautĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e de l’adolescent polonais, et la confusion et la folie qui se sont emparĂ©es de lui.
Scène XIV : Aschenbach sur la plage du Lido contemple Ă  nouveau son idole. Il assiste au dĂ©part de la famille inquiète face Ă  la diffusion du cholĂ©ra. Aschenbach se morfond sur sa chaise, seul. Il meurt sur les accords de l’hymne Ă  Apollon. Les rĂ©sonances incantatoires et cĂ©lestes du vibraphone semblent l’emporter.

Peter Pears indique l’importance que revĂŞt “Death in Venice” pour Britten, lui-aussi aux portes de la mort lorsqu’il compose son opĂ©ra : l’ouvrage rĂ©sume la quĂŞte artistique et personnelle du compositeur, en ce sens, la partition peut-ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme son testament.

Britten : le tour d’Ă©crou

Leighton_brittenBritten traite de l’Ă©ducation d’une jeune âme par un adulte, hĂ©ritĂ©e des moeurs grecques (Ă©romène/Ă©raste) mais en y ajoutant l’Ă©toffe du conflit et la perversitĂ© d’une lecture diabolique. Ici, l’enfant Miles est l’objet d’un tutorat exercĂ© contre/de son grĂ© par le pervers et machiavĂ©lique Quint. La gouvernante tente d’interrompre le pacte infâme. Par sa voix, s’exprime la vĂ©ritĂ© et la dĂ©nonciation de Quint. Mais le diabolisme du jeune corrupteur qui a vendu son âme au diable, exerce sa pernicieuse influence qui se rĂ©vĂ©lera lĂ  encore fatale pour sa jeune proie. D’autant que le jeune garçon convoitĂ©, souffle le chaud et le froid : ne sachant pas encore distinguer le bien du mal, le petit ĂŞtre se rĂ©vèle aussi sĂ©ducteur et calculateur. CulpabilitĂ© partagĂ©e entre un jeune tentateur et un adulte corrupteur?
La rĂ©vĂ©lation de la relation honteuse et immorale de Quint/Miles est d’autant plus terrifiante que Britten imagine pour tĂ©moin et spectatrice, la tendre et loyale figure de la gouvernante. De sorte qu’au travers des yeux de la jeune femme, le compositeur prend parti et revendique clairement la dĂ©fense de l’innocence. Cet aspect de l’oeuvre renverrait Ă  un Ă©pisode de la vie intime de Britten qui jeune garçon, aurait Ă©tĂ© violentĂ© par un adulte. Ce traumatisme de l’enfance, explicitĂ© par Eric Crozier et Humphrey Carpenter, serait la source thĂ©matique de tout le théâtre lyrique Ă  venir.

Dvd
Lire notre critique du dvd de l’opĂ©ra reprĂ©sentĂ© au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2001 avec Mireille Delunsch dans le rĂ´le de la Gouvernante. L’une des meilleures productions aixoises de ces dernières annĂ©es.

Illustration
Lord Leighton, Icare (DR)

 

Britten : Billy Budd

girodet : endymion (britten)Britten demande la collaboration de l’Ă©crivain Forster pour adapter le roman de Melville, Billy Budd. Le jeune garçon est l’objet des dĂ©sirs des deux hommes, le capitaine Vere, le maĂ®tre d’armes Claggart. Passion entre hommes, l’opĂ©ra Billy Budd interroge surtout l’attraction ambivalente que suscite le jeune Billy dans le coeur du capitaine Vere sans qu’aucune scène explicite clairement la nature de leur relation. A la diffĂ©rence du roman de Melville, Forster et Britten approfondissent l’ambiguĂŻtĂ© des sentiments du capitaine pour le jeune marin.
Mais au bout du compte, c’est l’innocence qui paiera le prix fort, et l’opĂ©ra s’achève sur le sacrifice de l’enfant sur l’autel de la morale.

Illustration
Girodet, le sommeil d’Endymion (esquisse prĂ©paratoire) (DR)

 

Benjamin Britten : Peter Grimes

Girodet_jeune_hommeLe hĂ©ros du premier opĂ©ra de Benjamin Britten suscite plus de soixante ans après sa crĂ©ation (1945), un dĂ©bat jamais rĂ©solu. Est ce parce que au fond des choses, dans leur identitĂ© tenue secrète par le compositeur, les personnages de Britten se dĂ©robe Ă  toute identitĂ© claire, parlant au nom de leur concepteur pour une ambivalence qui nourrit leur forte attraction? Rien de plus fascinant sur la scène qu’un ĂŞtre vĂ©ritable, contradictoire et douloureux, exprimant le propre de la nature humaine, vellĂ©itĂ©s, espoirs, fantasmes, soupçons, poison de la dissimulation, terrible secret. A la manière des hĂ©ros d’Henri James, le hĂ©ros ne livre rien de ce qu’il est : il laisse en touches impressionnistes, suggestives, affleurer quelques clĂ©s de sa complexitĂ©.
A propos de Peter Grimes, Britten et son compagnon le tĂ©nor Peter Pears qui crĂ©a le rĂ´le, reviennent Ă  plusieurs reprises sur l’identitĂ© du hĂ©ros : solitaire et presque sauvage mais bon et foncièrement compassionnel. Sa diffĂ©rence se rĂ©vèle dans le rapport Ă  la sociĂ©tĂ© qui l’entoure : “Ă  part” : donc coupable. Le soupçon qu’il suscite, vient de sa diffĂ©rence. Est-il coupable d’avoir tuer ses apprentis pĂŞcheurs? Britten en Ă©pinglant le naturel accusateur des citoyens, dĂ©crit la haine du diffĂ©rent, la dĂ©lation facile, la peur de l’autre. Que Grimes cache un autre secret : tel serait en dĂ©finitive le vrai sujet, mais infanticide, il ne l’est pas. L’homme incarne la figure du paria car il y a en lui, terrĂ©e, imperceptible, une profonde et inavouable blessure.
Sa nature sombre et brutale favorise le soupçon. Il est en dĂ©calage avec le monde, un “idĂ©aliste torturĂ©”. En cela, Britten n’a pas franchi la frontière de la barbarie et de la mĂ©chancetĂ© du personnage de Georges Crabbe (1754-1832) dont le Poème a inspirĂ© le sujet de son opĂ©ra. Britten reprend le cadre, ce lieu battu par les vents et les embruns, le village d’Alteburgh, village de marins mais surtout berceau du compositeur. Mais il s’autorise un changement primordial dans la personnalitĂ© du hĂ©ros.

Peter Grimes, anecdote ou mythe?
L’idĂ©e d’un enfant sacrifiĂ©, image rĂ©currente dans l’oeuvre de Britten, exprime la perte de l’Ă©tat d’enfance et d’insouciance. Le hĂ©ros de Britten est un ĂŞtre tragique, auquel fut arrachĂ©e trop tĂ´t l’innocence au monde. La force de la souillure originelle poursuit le compositeur.
Certains ont souhaitĂ© donner Ă  la figure de Peter Grimes, le visage de l’homosexuel honni. C’est vrai et c’est faux. Vrai, pourquoi pas ? Britten et Pears ne cachaient rien du couple qu’ils formaient. Et alors? Avons-nous envie d’ajouter. En quoi cela Ă©claire-t-il la perception et surtout la comprĂ©hension de l’oeuvre?
Il s’agit plutĂ´t d’une allĂ©gorie contre l’intolĂ©rance. Tout autre relecture aussi pertinente soit-elle, mise en rapport avec la vie et l’identitĂ© de l’auteur, rĂ©duit considĂ©rablement la portĂ©e de l’oeuvre. D’ailleurs, lorsque John Vickers chante le rĂ´le, il refuse de ne voir en Peter Grimes, qu’un homosexuel car cela enferme la perception du personnage dans une vision Ă©troite et anecdotique, voire colle au rĂ´le une revendication militante qui est Ă©trangère Ă  la sensibilitĂ© de Britten.
Les interludes marins Ă©lèvent manifestement l’ouvrage au niveau de l’allĂ©gorie : la lĂ©gende tragique de Grimes gagne grâce aux commentaires de la musique, une portĂ©e poĂ©tique indiscutable, rehaussant l’anecdote marine Ă  l’Ă©chelle du mythe.

Poids de l’interdit 
L’interdit qui pèse sur les oeuvres de Britten et colore immanquablement l’identitĂ© de ses hĂ©ros, est renforcĂ© par le cadre lĂ©gal Ă  son Ă©poque. Toute Ă©vocation ou description d’une relation homosexuelle est punie par la loi britannique jusqu’en 1967. Le procès d’Oscar Wilde et son humiliation publique, sont encore dans les mĂ©moires. Contexte qui nous semble aujourd’hui terrifiant quand ont Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ©es officiellement les noces d’Elton John, après que le mariage homosexuel ait Ă©tĂ© autorisĂ©.
Pour Britten, Ă  l’endroit de Grimes, il s’agit moins d’un homosexuel en prise avec la morale de son temps, que du conflit habituel sur la scène lyrique, de l’individu opposĂ© au système ; et sur le plan psychologique, la complexitĂ© tragique d’un personnage, sombre et solitaire, impuissant Ă  exprimer ses sentiments : observateur du bonheur des autres et non acteur de sa propre destinĂ©e. Pour Britten, Grimes donne le prĂ©texte d’une lecture de la folie humaine : haine sadique de la sociĂ©tĂ©, passivitĂ© et dĂ©mence du protagoniste. Le soupçon d’infanticide Ă  l’endroit du hĂ©ros, aiguise d’autant plus la noirceur du tableau.
La suite de l’Ă©criture de Britten met en scène des hĂ©ros solitaires, accablĂ©s par le poids du secret. Chaque nouvel opĂ©ra, est un acte ajoutĂ© au chapitre de la tragĂ©die personnelle : comment vivre avec le poids d’un secret oĂą la perte de l’innocence, le poison d’une malĂ©diction suggĂ©rĂ©e jamais dite explicitement, l’expĂ©rience des pulsions homosexuelles, en particulier pĂ©dophiles, disent ce mal-ĂŞtre imperceptible dont la tension conflictuelle donne son Ă©toffe au hĂ©ros lyrique ? Albert Herring, Billy Budd, Le tour d’Ă©crou, Owen Windgrave, Mort Ă  Venise disent cette obligation de l’ĂŞtre Ă  nier au non de la morale, sous la pression de la sociĂ©tĂ© permissive et puritaine, l’expression de ses fantasmes les plus intimes. Et dans ce paysage diffus, oĂą le refoulĂ© exacerbe l’angoisse de vivre, l’amour des jeunes garçons aggrave encore une situation qui avoisine le souffre.

Illustrations
Girodet, Portrait d’un jeune chasseur (DR)

Britten: identité du héros chez Benjamin Britten

brittenLa question de l’identitĂ© du hĂ©ros chez Britten dĂ©voile la part du secret coupable qui scelle le destin de ses personnages : qui est Peter Grimes ? Faire le portrait du protagoniste de son premier opĂ©ra, suscite immanquablement une sĂ©rie d’interrogations sur l’ensemble des portraits psychologiques que Britten a abordĂ©s : ĂŞtre homosexuel pour le compositeur, c’est Ă©prouver la difficile aventure de la diffĂ©rence. Or cette diffĂ©rence suscite la condamnation de la sociĂ©tĂ©, la marginalisation du hĂ©ros et souvent l’action tragique du remords et de la culpabilitĂ©…

Sommaire

Qui est Peter Grimes ? 
Par Alexandre Pham
Opéra en un prologue et trois actes
Livret de Montaigu Slater d’après le poème
“The Borough” de Georges Crabbe (1810)
Créé à Londres, le 7 juin 1945

Billy Budd
Par Hugo Papbst
Opéra en quatre actes
Livret de E.M. Forster et Eric Crozier
d’après la nouvelle inachevĂ©e de Melville (1891)
Créé à Londres, le 1er décembre 1951

Le Tour d’Ă©crou
Par Adrien DeVries
Opéra en un prologue et 2 actes
Livret de Myfanwy Piper
d’après la nouvelle d’Henru James (1898)
Créé à Venise, le 14 septembre 1954

Mort Ă  Venise
Par Alexandre Pham
Opéra en 2 actes
Livret de Myfanwy Piper
d’après la nouvelle de Thomas Mann (1911)
Créé au festival d’Aldeburgh,
le 18 octobre 1974

Albert Herring
Par Elvire James
Opéra comique de chambre
Livret d’Eric Crozier d’après
la nouvelle de Maupassant,
“Le rosier de madame Husson” (1888)
Créé à Glyndebourne, le 20 juin 1947

Owen Windgrave 
Par Stéphanie Bataille
Opéra en deux actes
Livret de Myfanwy Piper,
d’après le roman d’Henri James (1892)
Ecrit pour la télévision et créé à la BBC
Le 16 mai 1971

En conclusion, qu’avons-nous? 
Divagations obsessionnelles d’un compositeur en proie Ă  un traumatisme jamais apaisĂ© ?
Sujets scandaleusement portĂ©s sur la scène lyrique? Ames sensibles et prudes, passez votre chemin. Pourtant, l’ambivalence et l’ambiguĂŻtĂ© ne laissent pas d’inspirer les auteurs, Ă©crivains, dramaturges, compositeurs, peintres.
Les contradictions et l’essence tragique des Grimes, Vere, la passion colĂ©rique de Claggart, l’innocence ambivalente du jeune Miles, l’affectation partagĂ©e entre Owen et Coyle, appartiennent dĂ©sormais Ă  la mythologie de l’OpĂ©ra. Britten a offert de sublimes portraits psychologiques, des situations non moins fascinantes en ce qu’elles nous invitent Ă  nous interroger sur nous-mĂŞmes, en ce qu’elles rĂ©vèlent des aspects inconnus de la nature humaine…
Curieusement en traitant de thèmes délicats, plus tus que décrits, le théâtre de Britten porte au centre de son action, le dévoilement de la vérité, la révélation du secret.

Chez Britten, l’obligation de rĂ©vĂ©ler son secret et la nature de son identitĂ©, fut-elle rĂ©prĂ©hensible sous le poids de la morale puritaine, est une activitĂ© vitale. Il s’agit de dĂ©noncer une situation dont le silence imposĂ© par la loi sociale, tue, empoisonne celui qui en vit les consĂ©quences.
En dĂ©finitive, le hĂ©ros de Britten exprime la mort de l’individu qui se soumet Ă  l’ordre social et accepte de taire sa honteuse identitĂ©, dut-il en mourir. Dès lors, aspiration Ă  un ordre tolĂ©rant, l’opĂ©ra de Britten ne souhaite-il pas peindre a contrario le rĂŞve des identitĂ©s assumĂ©es et pleinement comprises pour ce qu’elles sont. Mais le compositeur est plus clair que ses personnages : il oeuvre pour l’acceptation de l’homosexualitĂ© mais condamne sans ambiguĂŻtĂ© la pĂ©dophilie, comme il le montre clairement dans Le Tour d’Ă©crou. A ce titre, le personnage et le sens des actions de la Gouvernante sont explicites : elle prend la dĂ©fense de l’enfance trompĂ©e et abusĂ©e. En tentant de rompre le pacte machiavĂ©lique qui unit le jeune Miles avec l’infâme Quint, la jeune femme entend protĂ©ger l’innocence contre les pervers, mais aussi Ă©veiller (en pure perte) l’innocence contre ses propres ambiguĂŻtĂ©s.

En résumé
Certes, il y a bien une action menĂ©e par Britten sur la scène lyrique, selon les tourments de sa propre vie intime. Mais, avec le recul, ne veut-il pas Ă©veiller notre conscience Ă  plus de tolĂ©rance, vis Ă  vis de nous mĂŞmes comme vis Ă  vis de l’autre, cet Ă©tranger suspect du seul fait de sa diffĂ©rence ?
Utopie et humanisme. C’est Ă  l’aune de ses deux aspects que le théâtre et les hĂ©ros de Britten peuvent ĂŞtre justement compris. Dossier rĂ©alisĂ© par l’Ă©quipe rĂ©dactionnelle de classiquenews.com, sous la coordination d’Alexandre Pham.

 

 

Hommage Ă  Benjamin Britten (2006)

BrittenDossier Britten 2006    …    2006 marque les 30 ans de la disparition de Benjamin Britten. Arthaus Musik rĂ©unit en un coffret, 8 dvds incontournables pour qui souhaite se familiariser avec l’univers lyrique du compositeur britannique. L’Ă©dition mĂ©rite d’autant plus d’ĂŞtre soulignĂ©e que les interprĂ©tations particulièrement soignĂ©es, rendent justice Ă  une oeuvre cohĂ©rente par ses thèmes, mais tout autant diverse dans les styles et les univers musicaux dĂ©veloppĂ©s. Voici une prĂ©sentation du coffret, prĂ©texte pour nous, Ă  une Ă©vocation de l’Ă©criture lyrique de Benjamin Britten, mort le 4 dĂ©cembre 1976.

Compositeur pour l’opĂ©ra
“Je suis un compositeur pour l’opĂ©ra, et c’est ce que je vais ĂŞtre jusqu’Ă  la fin de ma vie”, Benjamin Briiten Ă  Michael Tipett. Pour le compositeur britannique, l’Ă©criture lyrique est une prioritĂ© dĂ©clarĂ©e, le coeur de son travail de musicien.
Après la fin de la guerre, Britten, créée le 6 juin 1945, pour la rĂ©ouverture du Sadler’s Wells Opera, Ă  32 ans, son premier opĂ©ra, Peter Grimes, Ă©crit hors des conflits aux Etats-Unis- rejoints en 1939-, car il est pacifiste. Le sujet aborde le thème de la diffĂ©rence, et de l’oppression d’un marin prĂ©sumĂ© criminel, par une population hostile. L’Ă©loignement du Sussex, sa terre natale, a suscitĂ© chez Britten des Ă©vocations nostalgiques de son lieu de naissance, un hymne aux embruns marins soufflant sur les cĂ´tes habitĂ©es. Peter Grimes est musicalement Ă©blouissant : c’est un poème qui chante la duretĂ© de la sociĂ©tĂ© du village d’Aldeburg et tout autant la force des Ă©lĂ©ments de la nature. L’oeuvre tout en affirmant le gĂ©nie d’un auteur aussi adulĂ© que le fut Purcell Ă  son Ă©poque, prĂ©lude Ă  un cycle personnel, de 1945 Ă  1973, dans lequel le compositeur ne cesse de se poser la question : qu’est ce qu’un opĂ©ra? Comment renouveler le genre ? Comment et pourquoi rĂ©concilier drame, musique, poĂ©sie, action théâtrale?
Au dĂ©marrage de son travail, Britten cofonde l’English Opera Group, en 1946, dont l’activitĂ© remet Ă  l’honneur la production lyrique tout en recourant Ă  un effectif rĂ©duit, celui de l’opĂ©ra de chambre. Dans le mĂŞme temps, Britten et son compagnon, le tĂ©nor Peter Pears, crĂ©ateur du rĂ´le de Peter Grimes, comme il chantera aussi pour la première, le rĂ´le du docteur Aschenbach dans son dernier opĂ©ra, Death in Venice (1973), créée en 1948, le festival d’Aldeburgh, son lieu de rĂ©sidence, un festival qui chaque annĂ©e donne opĂ©ras et concerts, dont certains dirigĂ©s par Britten car le compositeur fut aussi pianiste et chef d’orchestre. L’Ă©vĂ©nement musical se dĂ©roule toujours.

Humaniste et ami de Chostakovitch
benjamin_briiten_chostakoviDès lors, se succèdent de nombreuses oeuvres majeures qui montrent l’Ă©volution de la pensĂ©e musicale : s’y mĂŞlent le thème central de la diffĂ©rence et de l’identitĂ©, liĂ© Ă  l’homosexualitĂ© de l’auteur ; celui de l’enfance sacrifiĂ©e, oĂą l’enfant n’est pas citĂ© comme un objet Ă  corrompre mais comme la figure d’un Ă©tat d’innocence et d’insouciance, vĂ©nĂ©rĂ©, recherchĂ© dans toute l’oeuvre ; la question de l’hypocrisie de l’ordre bourgeois…
Sur des idĂ©es graves, le musicien Ă©difie un langage dense, serrĂ© qui recherche l’expression sans dĂ©tours, tout en hissant l’anecdote sur le plan de la mĂ©taphore universelle. Plus tard, en particulier dans les trois paraboles d’Ă©glise (Curlew river, 1964 ; The burning fiery furnace, 1966 ; The prodigal son, 1968), Briiten atteint une forme théâtre dont l’Ă©pure expressive se rapproche du théâtre NĂ´. Humaniste, Britten le fut assurĂ©ment. Et son amitiĂ© avec Chostakovitch (rencontrĂ© en 1960), le dĂ©montre clairement : “Depuis des annĂ©es, votre travail et votre vie ont Ă©tĂ© pour moi un modèle -de courage, d’intĂ©gritĂ©, et de sympathie humaine, aussi de crĂ©ativitĂ© et de vision claire. Personne parmi les compositeurs actuels n’ a sur moi une influence Ă©gale”, Ă©crit-il au musicien russe, en dĂ©cembre 1963, peu après la crĂ©ation londonienne de Katerina IsmaĂŻlova (version rĂ©visĂ©e de sa Lady Macbeth).

Les oeuvres majeures
Après Peter Grimes, se succèdent ainsi : The rape of Lucretia (1946), Albert Herring (1947), Let’s make an opera (1949, oeuvre chère composĂ©e pour enfants), Billy Budd (1951), Gloriana (composĂ© pour le couronnement d’Elisabeth II en 1953), The turn of the screw (1954), A midsummer night’s dream (1960), Owen Windgrave (1970, pour la BBC), enfin Death In Venice (1973).

Benjamin_britten_coffret_ArSommaire
du coffret “A tribute to Benjamin Britten”,
paru en décembre 2006 chez Arthaus Musik

1. Peter Grimes, 1945

2. The Rape of Lucretia, 1946

3. Billy Budd, 1951

4. Gloriana, 1953

5. The turn of the screw, 1954

6. Owen Windgrave, 1970

7. Death in Venice, 1973

8. Let’s make an opera, 1949

Mildred Clary, “Benjamin Britten” (Buchet Chastel)

Livres. Mildred Clary, “Benjamin Britten” (Buchet Chastel)     …     Il manquait une biographie française du plus grand compositeur britannique de l’après-guerre. Lacune rĂ©parĂ©e avec maestriĂ  et conviction par Mildred Clary. Le texte n’est pas seulement documentĂ© : il ajoute la justesse du portrait et la pertincence des Ă©vocations musicales. Avec “Benjamin Britten ou le mythe de l’enfance”, Mildred Clary nous offre une biographie essentielle.

 

 

Britten : le mythe de l’enfance

 

Britten, le mythe de l'enfance (Buchet Chastel)Un homme pacifiste, qui assumait pleinement son homosexualitĂ© et sa vie avec le tĂ©nor Peter Pears ; un ĂŞtre secret qui n’aimait pas parler de son oeuvre, prĂ©fĂ©rant composer… en particulier ses opĂ©ras. Le portrait que brosse Mildred Clary qui a travaillé  pour France musique, Ă©voque avec tact et un matĂ©riel documentaire très complet, la vie, la carrière et l’oeuvre du plus grand compositeur britannique de l’après-guerre.
L’auteur connaĂ®t le sujet pour avoir consacrĂ© Ă  Benjamin Britten de nombreuses heures d’antenne, en particulier en 1986, quand Ă  Aldeburgh, le berceau du poète musicien, oĂą il est nĂ© en 1913 et oĂą il s’Ă©teint en 1976, elle consacrait près de quinze heures Ă  l’oeuvre du compositeur.L’Ă©vocation suit la chronologie des faits marquants d’une vie aspirant au grand large. La naissance baignĂ©e par les embruns marins, l’apprentissage auprès du compositeur Franck Bridge qui fut pour lui, plus qu’un passeur : le mentor qui allait dĂ©terminer une vocation.
EntrĂ©e au Royal college of Musik de Londres, “l’Ă©cole de la tradition” ; la place du piano qui fait de lui un interprète au clavier, fin et recherchĂ© (admirĂ© entre autres par Yehudi Menuhin…) ; l’admirateur de Stravinsky et de Berg, rencontre plusieurs personnalitĂ©s qui vont Ă©largir ses horizons culturels et accĂ©lĂ©rer sa maturitĂ© de compositeur: le poète Wystan Hugh Auden, son compagnon Peter Pears (1937) ;  Les premiers chefs-d’oeuvre, comme Les Illuminations (1939), l’affirmation de son antimilitarisme forcenĂ©… au fil des pages, le style clair et vivant, renforce l’attraction d’une oeuvre concise et puissante, en relation avec les engagements et les positions tranchĂ©es. Britten reste un homme de théâtre, soucieux de rĂ©tablir une nouvelle Ă©criture dramatique grâce Ă  l’appui de ses librettistes et poètes, grâce au concours de son compagnon, Peter Pears qui crĂ©era bon nombre de rĂ´les importants dont Peter Grimes.

Outre le théâtre auquel Britten consacre une activitĂ© rĂ©gulière, couronnĂ©e par le succès et la reconnaissance, tous les aspects de l’oeuvre sont abordĂ©s : musique de chambre et musique vocale, musique orchestrale et chorale. L’enfance reste un thème cher et longuement traitĂ©. Il est au coeur d’une oeuvre Ă  clĂ©s dont on commence de mesurer la modernitĂ© poĂ©tique et l’originalitĂ©. Mildred Clary suit pas Ă  pas les journĂ©es d’Ă©critures et les rencontres ; lectrice de la correspondance, les pages descriptives ou Ă©vocatrices des oeuvres, ajoutent les pensĂ©es et les dĂ©clarations autographes.
Poignantes sont les derniere chapitres qui brossent le portrait d’un homme malade dont l’opĂ©ra “Mort Ă  Venise” d’après Thomas Mann, est son testament. Un oeuvre centrale qui dĂ©voile la teneur d’une sensibilitĂ© Ă  part et d’une exceptionnelle intensitĂ© poĂ©tique : “la poursuite de la beautĂ©, de l’amour, doit-elle nĂ©cessairement aboutir au chaos?”

Outre la biographie proprement dite, Mildred Clary prĂ©sente la chronologie des oeuvres et une bibiliographie “sommaire” parfaitement prĂ©sentĂ©e, et commentĂ©e, titre par titre.

DVD. Britten: The turn of the screw (Jakub Hrůša,2011). Fra Musica

DVD. Britten: The Turn of the Screw (Hrusa, 2011).

dvd_britten_tour_screw_fra_Miah_PerssonDans le cas du Tour d’Ă©crou, le nombre de productions enregistrĂ©es montre qu’abondance ne nuit pas Ă  la qualitĂ©. Le catalogue actuel compte dĂ©jĂ  de très bonnes versions (dont celle aixoise publiĂ©e par Bel Air classiques).

Qu’en est-il de celle-ci en provenance de Glyndebourne, Ă©ditĂ©e par Fra Musica ? Relève-t-elle tous les dĂ©fis d’une partition insidieuse, oĂą ce chambrisme brittenien s’il confine Ă  l’Ă©pure, dĂ©voile en vĂ©ritĂ© la face cachĂ©e souterraine des esprits machiavĂ©liques tapis dans l’ombre … Au cĹ“ur de l’action du Tour d’Ă©crou, il y a cette innocence menacĂ©e (thème central dans l’Ĺ“uvre de Britten et que l’on retrouve dans Peter Grimes, Billy Bud…), sujet de toutes les aspirations et turpitudes d’entitĂ©s mi rĂ©elles mi rĂŞvĂ©es qui agressent ici les enfants. Certes le texte de Henry James offre le sujet mais la musique de Britten souligne la force des tensions implicites, l’Ă©touffement psychologique dont sont victimes les innocents (comme dans Le viol de Lucrèce, autre opĂ©ra dans une forme personnelle, chambriste).

Terreur secrète, climats psychologiques…

Le chef tchèque Jakub Hrůša comprend les aspĂ©ritĂ©s de la partition; il en souligne les ombres et les plis porteurs de sens comme d’ambivalence.
Dans la mise en scène de Jonathan Kent, l’intrigue a lieu au XXè siècle, soit Ă  l’Ă©poque de Britten, vers 1950 : trop narrative et anecdotique, il y manque le souffle, le jaillissement du fantastique saisissant, ce surnaturel qui captive et effraie tout autant les enfants. La production remonte Ă  2006; de cette annĂ©e, rescapĂ©e toujours aussi convaincante, la Flora de Joanna Songi.
Pur et innocent idĂ©al, le Miles de l’excellent Thomas Parfitt s’impose, comme est aussi Ă©vidente et naturelle, la limpide gouvernante de Miah Persson.
Consciente des agissements du pernicieux et pervers Quint, la très prĂ©sente et aboutie Susan Bickley dĂ©voile une Ă©paisseur nouvelle pour le personnage de Mrs Grose. Jouant sur la seule musicalitĂ© de sa voix agile et fĂ©line, Toby Spencer excelle Ă  offrir un nouveau visage de Quint, plus insidieux, parfaitement double, terriblement ambivalent. DĂ©stabilisant par sa fausse perfection… un modèle d’incarnation vocale.
Pour le centenaire Britten en 2013, le dvd édité par Fra Musica suscite le plus grand intérêt. A raisons. Publication légitime, donc hautement recommandable.

Benjamin Britten : The Turn of the Screw. Opéra en deux actes et un prologue, livret de Myfanwy Piper, d’après Henry James. Créé au Teatro La Fenice, Venise, le 14 septembre 1954.

avec
The Governess :  Miah Persson
Prologue / Peter Quint : Toby Spence
Mrs Grose :  Susan Bickley
Miss Jessel : Giselle Allen
Flora : Joanna Songi
Miles : Thomas Parfitt
London Philharmonic Orchestra
Jakub Hrůša, direction
Mise en scène : Jonathan Kent
Enregistré au Festival de Glyndebourne en août 2011

1 dvd FRA Musica 0709399 9. 1h51 minutes + bonus (22 minutes)

VIDEO. Le Viol de Lucrèce de Britten par Carlos Wagner à Angers Nantes Opéra (février 2011)

Angers Nantes OpĂ©ra. Le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten. Violent et chambriste, remarquablement Ă©crit pour des chanteurs aguerris et un orchestre en petite formation, l’opĂ©ra Le Viol de Lucrèce de Benjamin Britten est Ă©crit après la guerre, en 1946: il en dĂ©nonce la barbarie et l’inhumanitĂ©, faisant du mythe de Lucrèce, l’exemple d’un traumatisme perpĂ©trĂ© par la cruautĂ© et qu’il faut nĂ©anmoins surmonter. Comment? Pourquoi? Angers Nantes OpĂ©ra en donne une lecture lumineuse et pudique d’une indiscutable rĂ©ussite scĂ©nique et musicale… jusqu’au 1er fĂ©vrier 2011. Reportage classiquenews.com