Initiative courageuse de la part de l’Opéra de Tours que de monter The Turn of the Screw – Le Tour d’écrou – de Britten, ouvrage encore insuffisamment joué dans l’Hexagone. Composé d’après la nouvelle du même nom écrite par Henry James et créé à la Fenice de Venise en septembre 1954, cet opéra en deux actes et un prologue nous narre les déboires d’une gouvernante – dont on ne saura jamais le nom – aux prises avec les esprits des anciens serviteurs de la maison désireux d’entraîner avec eux les deux enfants dont elle a nouvellement la garde. Une intrigue propice aux audaces harmoniques et aux couleurs inquiétantes, dont a parfaitement tiré parti le compositeur, créant une atmosphère angoissante, dont l’étau se resserre tel un écrou toute la soirée durant, pour un moment fort de vrai théâtre musical. C’est par un long silence que la représentation débute, laissant résonner le théâtre de tous ses murmures comme autant de fantômes, et ce n’est qu’ensuite que la musique peut occuper l’espace sonore.
Un Tour de très haut niveau
La maison tourangelle a servi cette pièce avec les honneurs qu’elle mérite, réunissant une distribution en tous points exemplaire et aux vocalités généreuses. Isabelle Cals coule sans effort son superbe soprano dans le personnage tourmenté de la Gouvernante, déployant sa voix riche et ronde, incarnant parfaitement cette figure complexe, dont on ignore si les spectres ne naissent pas uniquement dans son imagination.
Elle est secondée par une Hanna Schaer idéale en Mrs Grose, un rôle qu’elle a déjà incarné de nombreuses fois. On ne peut que se réjouir devant la fraicheur et la puissance de la voix de la mezzo suisse – qualités que sa Mistress Benson dans Lakmé ne laissait pas soupçonner – ne faisant qu’un avec ce personnage dépassé par les évènements et tout de tendresse maternelle.
Superbe également, le couple fantomatique. Cécile Perrin incarne une Miss Jessel à l’âme torturée, mélancolique et effrayante à la fois, à la présence scénique aussi magnétique que son instrument large et étendu, emplissant sans effort la salle. A ses côtés, Jean-Francis Monvoisin joue des particularités de son timbre pour dépeindre un Peter Quint menaçant, utilisant toutes les possibilités de sa voix pour un résultat saisissant. Et ce tableau ne serait pas complet sans deux enfants très convaincants, dont la performance est à saluer : Louise Van der Mee et Samuel Miles, tous deux d’une crédibilité redoutable, jusqu’aux couleurs inquiétantes qu’ils parviennent à trouver, notamment le jeune garçon, aussi ambigu qu’insondable.
Tous se révèlent en outre stylistiquement impeccables, et s’expriment dans un anglais au-dessus de tout reproche, une performance pour une distribution exclusivement francophone.
Et c’est avec évidence que les chanteurs évoluent dans la mise en scène réglée au cordeau par Dominique Pitoiset. Le scénographe a imaginé un lieu unique, le salon d’une maison des années 60 à la décoration sobre et dont la grande baie vitrée donne sur un petit jardin enneigé, au haut mur bordé de thuyas. Un véritable huis clos rendu plus étouffant encore par les éclairages remarquables de Christophe Pitoiset. La direction d’acteurs se révèle à la hauteur du cadre de scène, éblouissante de précision et de tension, tout temps mort paraissant interdit, sinon impossible.
Dans la fosse, les treize musiciens de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Tours s’en donnent à cœur joie, chacun en position de soliste, et créent avec un plaisir évident les ambiances irrespirables imaginées par Britten. Participant activement au drame, Ariane Matiakh couve les instrumentistes de sa baguette et leur insuffle son énergie, prenant cette partition, qu’elle dirige pour la première fois, très à cœur. Une très belle soirée d’opéra, un ouvrage dramatiquement et musicalement très fort, de grandes voix, une mise en scène intelligente ainsi que des musiciens profondément impliqués, que demander de plus ?
Tours. Grand Théâtre, 18 mars 2014. Benjamin Britten : The Turn of the Screw. Livret de Myfanwy Piper, d’après la nouvelle éponyme de Henry James. Avec La Gouvernante : Isabelle Cals ; Mrs Grose : Hanna Schaer ; Miss Jessel : Cécile Perrin : Narrateur / Peter Quint : Jean-Francis Monvoisin ; Flora : Louise Van der Mee ; Miles : Samuel Mallet. Chœurs de l’Opéra de Tours ; Chef de chœur : Emmanuel Trenque. Orchestre Symphonique Région Centre-Tours. Ariane Matiakh, direction musicale ; Mise en scène et scénographie : Dominique Pitoiset ; Costumes : Nathalie Prats ; Lumières : Christophe Pitoiset ; Assistant mise en scène : Stephen Taylor ; Chef de chant : Matthieu Le Levreur.