Reber, Berlioz, Liszt: Chauvin, Chamayou, Rhorer (2011)
Souffle, respiration, surtout volumétrie et espace sonore totalement régénérés restituent ici toutes les nuances et les accents d’une oeuvre admirablement écrite: la lecture de la Symphonie du compositeur Napoléon Henri Reber, aujourd’hui totalement méconnu, affirme en 1857, toute la brillance de ce symphonisme romantique français à redécouvrir d’urgence. Le présent album en marque une étape importante.
D’ailleurs, à l’origine du programme, le Palazzetto Bru Zane (Centre de musique romantique française à Venise) s’ingénie peu à peu depuis sa création, à nous en dévoiler les étapes et les facettes désormais indispensables: Napoléon Henri Reber (1807-1880) ici, comme précédemment Onslow (dont la mort permet à Reber d’être élu à l’Institut en 1853… avant Berlioz qui devient immortel en 1856), Joncières et plus récemment Dubois… Quelle nouvelle découverte ! Défrichement et pertinence: le Centre de musique romantique française et son directeur scientifique, d’une intuition si juste, Alexandre Dratwicki, comblent nos attentes. La Symphonie de Reber ressuscite avec flamme et superbe. On comprend pourquoi Saint-Saëns (qui la transcrit dès 1858 pour piano à 4 mains) en fut si admiratif. L’élan, le muscle, les idées saisissent du début à la fin, du premier au quatrième et dernier mouvement. 37 mn de pure délectation.
irrésistible symphonie de Napoléon Henri Reber
La vitalité, la richesse de texture, servies par un chef expert en finesse agogique, défendent l’écriture d’un vrai tempérament symphonique, véritable dramaturge orchestral déployant une grande culture orchestrale citant Schubert et Mendelssohn, et aussi Berlioz… mais pas seulement. Le Napoléon de la Symphonie, portant avec raison un prénom prédestiné, se distingue non sans éclat: la Symphonie n°4 en sol majeur opus 33 connaît son Beethoven: fluidité percutante des cuivres (les 4 cors du Scherzo), langueur des cordes, fruité des bois … le spectre sonore et la palette instrumentale enchantent et donnent le tournis. Même le mouvement lent, Andantino (le plus original; avec le final du dernier mouvement qui cite une mélodie populaire française) est frappé par la brillance et la grandeur: une lumière révolutionnaire et conquérante, très française dans son goût pour les couleurs. Pas une solennité guindée mais a contrario des préjugés, un concentré d’énergie superbement tenue, racée, nerveuse… Il y a de l’élégance viennoise et évidemment la connaissance précise de… Haydn et Beethoven (en particulier dans le foisonnant et flamboyant premier mouvement qui balance constamment entre les deux compositeurs, avec une étonnante sensibilité instrumentale en plus). Le Cercle de l’harmonie et son chef précisent toutes les teintes de la transparence et de la clarté (vertus hautement françaises).
Mêmes superbes respirations pour la Rêverie pour violon d’un Berlioz, traversé par la grâce virtuose; même vitalité fruitée des interprètes qui rappellent non sans pertinence là encore les accents et couleurs de la Fantastique. La partition datée de 1841 que dirigea Berlioz lors de ses tournées à l’étranger, et jouée par les plus grands virtuoses solistes, attend toujours une juste réhabilitation… Julien Chauvin en restitue toute la finesse et l’introspection. S’il n’était un défaut persistant dans la captation: la prise de son trop proche parfois des instruments capte des bruits parasites à peine masqués. Friture imprévue (la Rêverie en particulier est littéralement parasitée par des bruits de râclures étonnants! Le violon toucherait-il la perche du micro?) ; voilà qui gêne passablement la délectation que suscite le travail des interprètes sur la couleur et le son comme les équilibres entre les pupitres… On n’engagera pas l’ingénieur du son !
Concert éclectique romantique et français
L’intérêt du programme va croissant: l’apport des instruments d’époque (dont pour le piano, un Erard de 1837 de la collection Edwin Beunk) dans le Concerto pour piano n°1 de Liszt confirme évidemment la justesse de l’expérience; le bénéfice en terme de couleurs, mais surtout de rapport et d’équilibre entre les masses, les pupitres, le soliste et l’orchestre sont jubilatoires; d’autant que la finesse et la fluidité du toucher de Bertrand Chamayou déploient toute leur brillante intelligence dans une partition passionnante… qui respire, palpite, déborde d’accents et de nuances emperlées (relief de chaque instrument soliste dans le final du Quasi adagio). Le soliste sait faire briller l’instrument d’époque avec un feu raffiné, rappelant tout ce que doit la partition au genre virtuose et… chambriste. Les aigus accrochent des couleurs étincelantes qui rivalisent d’angélisme conquérant avec le triangle par exemple (fin du Scherzo). C’est tout le Concerto de Liszt qui gagne en ferveur et chatoiement, contrastes et aspérités; la magie du timbre, et la richesse harmonique brillent comme jamais: voici donc la première et très réussie lecture « historique » du Concerto lisztéen: tous les pianistes sur piano moderne devraient évidemment l’écouter pour « fertiliser » leur imagination et leur approche, comme le précise avec justesse Bertrand Chamayou dans la notice très documentée.
La cohérence stylistique de la réalisation qui prend appui sur la pertinence du programme, donne vie aux oeuvres ainsi révélées (pour les deux premières); le concert live dont le disque rend compte offre une photographie esthétique d’un grand moment de romantisme français. A l’époque de Louis-Philippe, vers 1840 (La Rêverie de Berlioz remonte à 1841; le Concerto de Liszt à 1848), puis à la fin des années 1850 (la Symphonie de Reber date de 1857), les auditeurs parisiens ont peu écouter au concert comme en 2011, cette succession formelle qui fait sens alors: symphonie classique, concerto héroïque et virtuose, pièce concertante très inspirée de l’opéra… Le feu et la sensibilité des interprètes, l’intelligence du programme (moins les défauts de l’enregistrement dans la Rêverie), la révélation de la Symphonie de Reber font toute la réussite de ce disque. Ils le rendent même indispensable. Coup de coeur de la Rédaction cd de classiquenews.com
Napoléon-Henri Reber (1807-1880): Symphonie n°4 en sol majeur op.33. Hector Berlioz (1803-1869): Rêverie et Caprice pour violon et orchestre op.8. Franz Liszt (1811-1886) Concerto pour piano n°1 en mi bémol majeur S.124. Bertrand Chamayou, piano. Le Cercle de l’Harmonie. Julien Chauvin, violon. Jérémie Rhorer, direction. 1 cd Naïve. Réf.: AM Ambroisie 207.