Entretien avec le compositeur Samuel ANDREYEV à propos de « Moving »… A l’occasion de son premier disque monographique édité par le label français KLARTHE, le compositeur Samuel Andreyev répond aux questions de CLASSIQUENEWS.
CLASSIQUENEWS : Vous utilisez des titres « très poétiques » ou faisant référence à un épisode narratif choisi. De quelle façon la poésie s’immisce dans votre écriture et nourrit votre œuvre de compositeur?
SAMUEL ANDREYEV : Je suis venu très tôt à la poésie. À l’époque où je vivais encore à Toronto, je fus davantage impliqué dans le monde littéraire que celui de la musique… je suis allé jusqu’à diriger une petite maison d’édition spécialisée dans la poésie contemporaine. J’ai publié deux recueils de poésies, dont le plus récent est sorti en octobre dernier. Aujourd’hui, je lis énormément, en anglais comme en français. Je consacre donc un temps important à cette activité. Les deux domaines de la poésie et de la musique ont beaucoup en commun, si bien que je me demande parfois, à part la question du « sens » que portent toujours les mots, et dont on ne trouve pas de réel équivalent dans la musique, ce qui les sépare réellement..
Samuel Andreyev :
« Il faut savoir calibrer le degré de complexité de son écriture »
CLASSIQUENEWS : L’album MOVING regroupe 7 pièces. Pouvez vous en extraire une sorte d’évolution de votre écriture ? Vers quelle direction s’est affirmée votre inspiration ?
SAMUEL ANDREYEV : Dans mes premières partitions, j’avais la volonté d’exprimer une énorme tension dans ma musique. Souvent, je mettais en opposition deux idées diamétralement opposées, les menant jusqu’au paroxysme. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus focalisé sur la qualité presque plastique du son comme agent de l’expressivité. Mon écriture rythmique est devenue plus pulsée, son rapport à la métrique plus direct. Ma musique est devenue plus subtile au fil des années, et plus simple. Cela m’a demandé un effort considérable car j’ai un style qui tend naturellement vers la complexité ; je dois constamment m’efforcer d’aller au cœur des choses. Ce qui paraît simple au moment de l’écriture devient, une fois passé par la crible de la perception de l’auditeur, 10 fois plus complexe que l’on n’imagine.. il faut donc savoir calibrer le degré de complexité de son écriture.
J’écris constamment, mais je ne garde pas tout : j’ai déjà retiré environ la moitié de mes pièces écrites depuis 2002. Le monde est déjà plein de musique jetable, je crois que ça n’a aucun sens de garder autre chose que mes pièces les plus solides. Pour moi, une œuvre n’est définitivement achevée qu’au moment où elle est créée, reprise plusieurs fois, éditée, enregistrée — il faut qu’elle existe dans le monde. Tout cela demande, outre le temps de composition (déjà très considérable) — un gigantesque travail et des collaborateurs aussi fous que moi — des personnes qui respectent mon rythme de création et qui partagent mes exigences. Il faut dire que pour ce CD, j’ai eu une équipe merveilleuse autour de moi : l’ensemble proton bern a fait un travail extrêmement minutieux sur ces 7 pièces sur une période de plus de 2 ans, et Klarthe Records a pris un risque en soutenant, avec une patience incroyable, un projet très complexe à mettre en place, pour ne pas dire insolite.. ce dont je ne saurais trop les remercier !
CLASSIQUENEWS : Quels sont les compositeurs présents ou contemporains qui continuent de vous inspirer ?
SAMUEL ANDREYEV : Je trouve inspirant tout artiste qui, par son attitude, fait preuve d’une certaine ténacité, d’une absence de compromission si je puis dire… quand j’aborde un nouveau compositeur, ou un quelconque artiste, tous domaines confondus, c’est l’attitude qui me marque en premier, plus que le style. Dans une époque où les artistes sont encouragés à se « professionnaliser » et à développer le sens du marketing très tôt, il est encourageant de voir que certains résistent aux facilités du marché. Dans la poésie, les enjeux économiques et/ou professionnels sont minimes, voire inexistants, donc la question ne se pose pas trop. En revanche, dans la musique, il y a une réelle pression car les contraintes sont nombreuses et les projets musicaux peuvent être extrêmement onéreux. Parmi les grands classiques du XXème siècle, je me sens très proche de Varèse, Webern, Feldman.. ou Carl Ruggles, figure dont on entend trop peu parler.
CLASSIQUENEWS : Seriez vous tenté par la grande forme ? Opéra ou Symphonie ? Pourquoi ? et quel en serait le sujet, le prétexte (poétique)?
SAMUEL ANDREYEV : Absolument. D’ailleurs, j’ai déjà écrit deux pièces pour orchestre, et j’envisage d’en rajouter une troisième d’ici un ou deux ans, pour ainsi former un grand cycle. Il s’agit de mon premier véritable projet d’envergure et cela m’occupe depuis déjà deux ans. Pour ce qui est de l’opéra, ce serait fascinant. Si j’abordais l’opéra, ce serait pour exploser la narrativité et en proposer une vision alternative. Encore faudrait-il que je trouve des collaborateurs « de rêve ». Un opéra ne se monte pas tout seul, le compositeur à certes un rôle important à jouer, mais le succès (où l’insuccès) d’une telle aventure tourne souvent sur la mise en scène et le livret autant que sur la musique. Je ne suis pas pressé, pour autant : l’art a son rythme, je m’efforce de le respecter.
Propos recueillis en mai 2016. — Illustration : Portrait de Samuel Andryev © M. Lambert 2015
CD : « Moving », premier cd monographique dédié aux œuvres de Samuel Andreyev, 1 cd Klarthe, CLIC de CLASSIQUENEWS. LIRE notre grande critique développée :
CD, compte rendu critique. MOVING. Pièces de Samuel Andreyev (2003-2015) : Bern Trio, Moving,… ensemble proton bern (1 cd Klarthe, 2015). Le nouveau label discographique Klarthe nous dévoile la sensibilité crépitante et très réfléchie du jeune compositeur d’origine canadienne, Samuel Andreyev. Moving est un remarquable album monographique d’un jeune compositeur à l’exigence sonore aiguë. Ses oeuvres très écrites ne cèdent en rien à l’artifice de la seule performance mais accréditent l’idée d’une modernité soucieuse de sens et de développement et de temporalité sonore. Le programme dans son ensemble est lumineux, intelligent et pour les interprètes autant que l’auditeur, d’un impact continu, exaltant. En mai et juin 2015 à Paris (Maison de Radio France), les instrumentistes de l’ensemble proton bern, sous la direction de Matthias Kuhn, enregistrent plusieurs oeuvres de Samuel Andreyev, né en 1981, rassemblant comme en un album monographique, les pièces les plus emblématiques du jeune compositeur, soit 7 compositions, de la plus ancienne PLP (2003) à Bern Trio (2015). …